Les menaces de guerre commerciale de Donald Trump sont devenues réalité le 4 mars dernier, lorsque le président américain a imposé des tarifs douaniers de 25 % sur la plupart des produits canadiens. Des experts ont souligné que la guerre commerciale injustifiée de Trump nuira profondément aux travailleurs, aux agriculteurs et aux familles des deux pays. Face aux menaces répétées du président contre la souveraineté canadienne depuis son entrée en fonction le 20 janvier, nombreux sont ceux qui affirment que notre économie est devenue beaucoup trop dépendante des États-Unis. C'est exactement ce dont les féministes canadiennes nous ont alertés, il y a de cela quarante ans.
Des centaines de documents papier conservés aux Archives des femmes de l'Université d'Ottawa démontrer l'opposition des féministes à la ratification de l'ALECE (Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis de l’Amérique) en 1988 et de l'ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) en 1994. Le Comité national d'action sur le statut des femmes et sa vice-présidente de l'époque, l'économiste Marjorie Griffin Cohen, affirmaient qu'un accord de libre-échange Mulroney-Reagan aurait un impact considérable sur les travailleuses du secteur manufacturier. Après la mise en œuvre de l'ALECE, des dizaines de milliers de travailleurs ont perdu leur emploi syndiqué dans l'industrie textile, où les femmes représentaient 90 % de la main-d'œuvre.

La campagne de Brian Mulroney favorable au libre-échange a ciblé les électrices en joignant du matériel promotionnel aux chèques d'allocations familiales. En réaction, les comités de femmes du NPD de l'Ontario, la Fédération du travail de l'Ontario et d'autres groupes intéressés ont créé une coalition appelée Women Against Free Trade (Les femmes contre le libre-échange) en 1988. Leur manifeste avertissait qu'en plus de la perte de milliers d'emplois bien rémunérés et syndiqués, l'accord commercial de Mulroney conduirait à : 1) une dégradation constante des conditions de travail et au déclin de la syndicalisation, 2) une augmentation des emplois à temps partiel, mal rémunérés et non syndiqués, 3) la perte de notre fragile souveraineté culturelle, et 4) l'enrichissement des Canadiens les plus riches sur le dos des travailleurs.
Plus important encore, les Femmes contre le libre-échange ont prévenu que « plus nous devenons économiquement et culturellement dépendants des États-Unis, moins nous avons d'autonomie politique », ce qui compromet la capacité du Canada à adopter des positions politiquement indépendantes sur des enjeux internationaux majeurs. Même à l’échelle nationale, les accords commerciaux conclus sous Mulroney ont limité la capacité du Canada à instaurer de nouveaux programmes publics, en exigeant soit l’accord de ses partenaires commerciaux, soit une compensation pour le secteur privé. En d'autres termes, l'ALENA a créé une demande accrue de services sociaux et a empêché le gouvernement fédéral d'y répondre.

Les travailleurs subissent encore les conséquences politiques à long terme d’une politique néolibérale à courte vue. La perte d'emplois manufacturiers syndiqués et bien rémunérés dans les années 1980 et 1990 a creusé de profondes fractures culturelles entre ceux qui peuvent se permettre de payer des frais exorbitants pour l'enseignement supérieur et ceux qui sont condamnés à tout jamais au salaire minimum et au travail à temps partiel dans le secteur des services. Cela a également conduit à la colère et à l'aliénation croissantes des jeunes hommes, les transformant en cibles principales pour les idéologies réactionnaires et ultraconservatrices telles que celles promues par le président Trump.
À la fin des années 1980, les Femmes contre le libre-échange ont soutenu que le Canada devait planifier ses partenariats commerciaux en gardant à l'esprit des objectifs à la fois sociaux et économiques. Elles ont également suggéré la diversification internationale des échanges comme alternative au bloc commercial continental, une proposition que notre pays commence tout juste à prendre au sérieux. Alors que nous répondons à la guerre commerciale sans précédent du président américain, nous devons également veiller à ce que nos divisions internes ne soient pas exacerbées par l'enrichissement des plus riches au détriment des travailleurs. Nous devons accorder la priorité aux travailleuses et travailleurs les moins bien rémunérés et les plus vulnérables, plutôt qu’à la concurrence et aux profits des entreprises. Quand les voix de toutes les parties prenantes de notre société, et notamment la voix des femmes, seront-elles enfin entendues sur ces questions d’importance nationale et internationale ?
Pour l'année universitaire 2025-26, les Archives et collections spéciales de l'Université d'Ottawa organiseront une exposition d'histoire et de société provisoirement intitulée "L'économie féministe : Perspectives des femmes sur le commerce et le travail". Cette exposition explorera la façon dont les économistes féministes, les socialistes et les femmes immigrantes ont envisagé un système économique qui pourrait bénéficier à tous les travailleurs du Canada et séparer nos priorités nationales de l'impérialisme américain.
Pour en savoir plus sur la manière dont vous pourriez utiliser l'exposition à venir dans votre programme de cours, contactez-nous à [email protected].

Pour en savoir plus sur l'opposition féministe au libre-échange dans les années 1980, consultez l'article de Marjorie Griffin Cohen intitulé The Canadian Women's Movement and Its Effort to Influence the Canadian Economy (Le mouvement des femmes canadiennes et ses efforts pour influencer l'économie canadienne), et faites des recherches dans les fonds suivants aux Archives et Collections spéciales :
Collection Archives du mouvement canadien des femmes (AMCF) (10-001)
Fonds du Comité national d'action sur le statut des femmes (10-124)
Fonds Women Working with Immigrant Women (10-058)
Collection d'histoire orale sur le féminisme de la deuxième vague (10-106)