GWEN MADIBA – Le fait de savoir qu’un vaccin contre la COVID-19 est en cours de développement rassure un peu les gens en ces temps incertains. Mais posons tout de suite la question à un million de dollars : de façon réaliste, quand pouvons-nous espérer un vaccin, selon vous?
DR JOHN BELL – C’est vraiment la question qui tue, Gwen, mais je vais tenter d’y répondre de mon mieux. Comme chacun le sait, la mise au point d’un vaccin prend normalement de 7 à 10 ans. Cette durée s’explique notamment par le fait qu’on doit être très prudent quand on administre quelque chose à des personnes en santé. On ne voudrait surtout pas leur donner quelque chose qui va les rendre malades. Et ce qu’on découvre dans nos laboratoires, là où tous les paramètres sont contrôlés, peut s’avérer très différent dans la réalité. C’est pourquoi il faut autant de temps avant de lancer un vaccin, qui doit être testé sur un grand nombre de personnes présentant des profils diversifiés (origines ethniques, âge, sexe, etc.). En ce moment, nous tentons d’accélérer le processus pour raccourcir le délai habituel. Il y a à l’heure actuelle quelque chose comme 200 vaccins potentiels différents qui sont testés; certains d’entre eux, peut-être même seront-ils nombreux, se révéleront vraiment efficaces. Nous travaillons donc à trouver des façons de réaliser les tests plus rapidement pour nous assurer de lancer quelque chose qui marche et qui soit très sécuritaire. Et je crois que nous avons de bonnes chances d’y arriver. Mais pour cela, nous devons faire les choses différemment.
GWEN MADIBA – À quoi peut-on s’attendre d’un éventuel vaccin en matière de sécurité et d’efficacité?
DR JOHN BELL – Hum… c’est une bonne question. Vous savez, il y a des virus pour lesquels on n’arrive pas à faire de vaccin. Prenez l’exemple du VIH, le virus du sida. Nous n’avons pas été en mesure de trouver un vaccin pour celui-là; mais il s’agit d’une tout autre bête. Ça n’a rien à voir avec ce coronavirus. Nous connaissons bien les coronavirus. Nous savons qu’il ne présentent généralement pas beaucoup de mutations, même si celui-ci a déjà muté depuis le début e la pandémie. Mais ce n’est pas comparable au VIH, dont les mutations sont très fréquentes, ce qui complique la production d’un vaccin. De plus, la biologie du VIH est complètement différente : le VIH est capable de se cacher à même le système immunitaire. Ce n’est pas le cas pour le [corona]virus. C’est pourquoi nous croyons que nous pourrons trouver un vaccin contre ce coronavirus. En fait, plusieurs des vaccins testés sur les animaux se sont montrés très, très efficaces. Je crois qu’il y a de fortes chances que nous en développions un qui soit très efficace. La question de la sécurité du vaccin est une excellente question. Les essais cliniques qui sont menés actuellement indiquent que le vaccin sera aussi très sécuritaire. Mais comme je l’ai dit plus tôt, la population humaine est très diversifiée, vous savez. Vous et moi sommes très différents. Je crois donc qu’il est nécessaire de tester les vaccins sur un large éventail de personnes pour comprendre jusqu’à quel point ils sont sécuritaires. Nous pourrions découvrir, par exemple, que certains d’entre eux sont sécuritaires chez les personnes âgées et peu efficaces chez les plus jeunes, et vice versa. Tout ce qui nous reste à faire pour le savoir, c’est de tester les vaccins, mais je suis sûr que nous en trouverons un qui sera sûr et efficace, ou une combinaison de choses qui le rendront sûr et efficace.
GWEN MADIBA – La mise au point de vaccins dans le monde s’est déroulée à une vitesse sans précédent. Nous avons également constaté les diverses pressions politiques mises pour arriver à cette mise au point. Quelles sont vos inquiétudes quant à la pression [mise sur les scientifiques] pour développer un vaccin le plus rapidement possible?
DR JOHN BELL – Oui...c’est inquiétant pour tout le monde, je crois. Je crois aussi que c’est vraiment dommage quand la politique se mêle de science, car ce que nous devons faire, de toute façon, c’est suivre la science. Il faut suivre les indications de la science au fur et à mesure que nous progressons et ne pas essayer de trouver des raccourcis. Je sais que tout le monde, moi compris, voudrait qu’on trouve une solution rapidement, tout le monde veut reprendre sa vie normale, reprendre là où on l’a laissée. Mais vous savez, ce n’est pas parce qu’on veut que les choses se produisent qu’elles arrivent. La pensée magique, ça ne fonctionne pas. Il faut réaliser l’expérience – qui est ce qui se fait vraiment au cours des essais cliniques préliminaires sur des personnes – afin de vraiment comprendre ce qui se passe. Et tout ça ne devrait pas être motivé par des objectifs politiques. Les scientifiques, comme tout le monde, veulent que ça se fasse le plus rapidement possible. Et comme je l’ai dit, il est inutile d’ajouter une couche de pensée magique et de faire pression pour obtenir des résultats plus rapidement. C’est, en fait, ce qui mènerait directement au désastre.
GWEN MADIBA – Partout dans le monde, on voit les gouvernements signer des accords avec les sociétés pharmaceutiques afin de garantir un approvisionnement en vaccins potentiels. Le Canada ne fait pas exception. Qu’est-ce qui justifie cette approche?
DR JOHN BELL – En fait, c’est une bonne stratégie. Comme je l’ai mentionné, nous ne savons pas quel sera le meilleur vaccin ou la meilleure combinaison de vaccins. C’est impossible de la savoir. C’est donc une bonne idée pour le Canada de miser sur plus d’un vaccin qui a du potentiel. Mais nous n’aurons aucune certitude avant la phase finale des essais cliniques. Et en même temps, nous devons nous assurer d’avoir des vaccins pour les Canadiens et les Canadiennes. Donc, si nous ne faisons pas de démarches maintenant auprès des développeurs de vaccins, nous risquons de rester en plan. Alors il faut vraiment dire que nous allons payer, parce que si le vaccin semble efficace, nous allons devoir passer notre commande et vacciner la population canadienne le plus vite possible. C’est donc une bonne stratégie – je pourrais presque dire, stratégie d’affaires – de contacter plusieurs de ces fabricants et producteurs de vaccins, puisque nous ignorons lequel sera le meilleur. Peut-être qu’il va nous en falloir plus d’un – en fait, nous devrions parier là-dessus à ce moment-ci. Certaines craintes concernant un accès inégal au vaccin ont aussi été soulevées, vu ce qui est arrivé dans le passé. Sont-elles justifiées? Oui, et il n’est même pas nécessaire de reculer loin en arrière : dans la dernière année, certains pays ont dit vouloir s’approvisionner pour eux-mêmes, quel que soit le vaccin, sans égard au reste du monde. C’est donc une crainte fondée. Je pense que le Canada aurait intérêt à investir dans les infrastructures pour avoir ses propres installations de fabrication de vaccins. Malheureusement, nous ne l’avons pas fait. Mais c’est ce que nous aurions dû faire. Idéalement, il va falloir adopter cette approche à l’avenir, de manière à contrôler l’accès aux vaccins pour tout le monde. Bref, c’est raisonnable de craindre que la distribution des vaccins ne soit pas équitable. Comme vous le savez, nous sommes en train d’en concevoir un, et s’il est efficace, nous espérons vraiment qu’il sera offert à toute la population de la planète, pas seulement à celle du Canada. Or, il nous faudra user de stratégie pour nous en assurer.
GWEN MADIBA – En avril, votre laboratoire a reçu des subventions octroyées en partenariat avec la Thistledown Foundation en vue de la mise au point d’un vaccin contre la COVID-19. Pouvez-vous nous expliquer comment vous utilisez vos recherches de pointe sur les virus oncolytiques pour créer un vaccin contre la COVID-19?
DR JOHN BELL – Oui, bien sûr. Tout d’abord, c’était une excellente nouvelle. Comme vous le savez, cette fondation a été mise sur pied par les fondateurs de Shopify, et elle est remarquable. Au départ, elle s’était donné comme mission de lutter contre les changements climatiques et d’autres problèmes du genre, mais elle s’est rapidement adaptée. C’était donc vraiment formidable; nous avons été chanceux d’obtenir l’une de ses subventions. Et c’est arrivé extrêmement vite. Nous avons reçu l’argent en l’espace de quelques jours, ce qui n’arrive à peu près jamais dans le monde de la science. Alors ça a été extraordinaire. Et c’est quelque chose que les gens d’Ottawa ont fait pour nous. Mais en fait, je crois que nous avons obtenu la subvention parce que nous sommes connus dans le monde pour nos recherches sur les virus oncolytiques. Ces virus fonctionnent notamment en stimulant le système immunitaire du patient pour qu’il reconnaisse le cancer comme un corps étranger et l’élimine ensuite. Comme nous savions ce que font ces virus, nous avons pensé à miser sur le même genre de concept pour créer un vaccin capable d’attaquer les cellules infectées par le coronavirus, donc essentiellement un vaccin prophylactique. Nous sommes partis de ce principe pour créer différents vecteurs. Et nous essayons des combinaisons pour voir lesquelles fonctionnent le mieux.
GWEN MADIBA – À quelle étape de la mise à l’essai votre laboratoire en est-il?
DR JOHN BELL – En ce moment, nous en sommes à l'étape où nous avons quelques vaccins qui présentent un potentiel intéressant, et nous les testons sur des petits animaux. Et dès que nous aurons recueilli suffisamment de données en faveur de l'un ou l'autre de ces vaccins, nous ferons des démarches auprès de Santé Canada pour savoir si nous avons l'autorisation de tester celui-ci sur des humains.
GWEN MADIBA – Je sais que vous collaborez avec des partenaires et des collègues au sein de la communauté scientifique à l'échelle nationale et internationale. Le fait que la communauté de chercheurs transcende souvent les frontières, qu'elle soit capable de réfléchir de manière mondiale est un véritable atout. Croyez-vous que la crise actuelle a rendu cette communauté plus solidaire?
DR JOHN BELL – C'est probablement le cas. Je pense que, comme vous l'avez dit, il y avait déjà une très bonne collaboration. Un des aspects de mon travail que j'apprécie vraiment, vous savez, c'est d'avoir la chance de travailler avec des gens de partout dans le monde et de me faire des amis partout dans le monde. Nous échangeons des idées, grâce à l'Internet, qui nous a permis de communiquer de toutes sortes des façons. Nous échangeons des idées tout le temps, tous les jours. Mais je crois que dans le contexte actuel, les gens collaborent encore plus, et nous communiquons les connaissances, et nous discutons de nos travaux pour nous assurer de ne pas dédoubler le travail, mais plutôt de travailler en synergie avec l'autre ou de bonifier le travail de l'autre. Alors je pense que la communauté scientifique s'est du moins mobilisée pour tenter de faire avancer les choses plus rapidement. Par exemple, certaines choses que nous utilisons pour nos tests proviennent des échanges que nous avons eus avec des gens de l'Université de Washington, au État-Unis. Nous collaborons avec certaines personnes qui travaillent au National Institute of Allergy and Infectious Diseases. Elles partagent leurs connaissances et certains de leurs agents avec nous, et nous faisons de même en retour. Je pense que nous avons une bonne occasion de continuer d'étendre ce type de collaboration à l'échelle internationale.
GWEN MADIBA – Docteur, nous assistons également à de grands élans de soutien de la part de la population à l'égard de la communauté médicale. Croyez-vous qu'il est possible que ce type d'appui social se traduise en un soutien accru pour la recherche?
DR JOHN BELL – C'est très certainement notre souhait. Je crois qu'en temps de crise, de pandémie comme nous vivons en ce moment, nous nous tournons vers les communautés scientifique et médicale et nous leur disons : aidez-nous! Mais comme vous le savez, il serait préférable de prévenir une telle situation en investissant dans la science et la formation bien avant que cela ne se produise. C'est pourquoi je souhaite que la population reconnaisse la valeur de la science et comprenne que celle-ci peut servir à sauver des vies. Et par conséquent, qu'elle soit plus encline à appuyer la science. La science est également un moteur économique. Les pays qui investissent dans la science s'en sortent mieux sur le plan économique. Il y a donc plusieurs bonnes raisons d'appuyer la science, et j'espère que ce sera le cas.
GWEN MADIBA – Merci docteur Bell d'être venu nous rendre visite à uOCourant. Merci de nous avoir offert votre perspective en ce qui a trait à la recherche de vaccins et merci pour le travail que vous faites.
DR JOHN BELL – Avec plaisir, Gwen.
GWEN MADIBA – uOCourant est produit par l'équipe des Relations avec les diplômés de l'Université d'Ottawa. Cet épisode a été enregistré à Pop-Up Podcasting à Ottawa, en Ontario. Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire, qui demeure non cédé. Pour obtenir la transcription de cet épisode en anglais et en français, ou pour en savoir plus sur uOCourant, consultez la description du présent épisode.