Gwen Madiba
Bienvenue à uOCourant, un balado audacieux mettant en vedette des experts, produit par l’Université d’Ottawa.
Bonjour, je suis Gwen Madiba, animatrice de l’émission et fière détentrice de deux diplômes de la Faculté des sciences sociales. Je suis aussi présidente de la fondation Equal Chance.
Le but d’uOCourant est de vous faire connaître des chercheurs, chercheuses et diplômés à l’avant-garde de leur domaine et d’avoir avec eux des discussions stimulantes sur les sujets de l’heure.
La deuxième saison d’uOCourant traitera d’une variété de sujets, axés en particulier sur le bien-être. L’épisode d’aujourd’hui se penche sur l’avenir de la mode et explore ses effets sur le bien-être personnel et celui de la société.
Notre invitée, Chantal Durivage, est une chef de file de la mode au Canada. Ensemble, nous abordons une foule de sujets, dont la mode comme expression identitaire, le mouvement des vêtements écoresponsables et l’importance de mettre en valeur la diversité corporelle.
Et maintenant, laissez-moi vous présenter Chantal. Elle détient un baccalauréat en histoire de l’art de l’Université d’Ottawa, et depuis ses débuts professionnels, elle a géré avec succès la carrière de plus d’une quarantaine d’artistes avant de se lancer dans la production de spectacles en tant que fondatrice et VPE, Développement créatif, de Groupe Sensation Mode (GSM).
En plus de 20 ans, elle a aidé le Groupe Sensation Mode à se forger une réputation internationale en produisent de prestigieux événements de mode à grand déploiement, comme le Festival Mode & Design (qui attire, hors pandémie, plus d’un demi-million de visiteurs chaque année) et la Semaine de la mode de Montréal. Elle a en outre aidé GSM à établir des partenariats et à produire des événements dans des capitales de la mode comme New York, Paris, Berlin et Tokyo, contribuant fortement à la reconnaissance et au rayonnement des créateurs canadiens à l’échelle mondiale.
Chantal, merci d’être avec nous de Montréal aujourd’hui!
Chantal Durivage
Merci à toi!
Gwen Madiba
J’avais sincèrement très hâte de vous parler aujourd’hui. J’ai déjà travaillé dans l’industrie de la mode en tant que designer, mannequin et entrepreneure – la mode, c’est un sujet qui me touche particulièrement. Et j’ai même participé à une de vos "Semaine de la mode". J'avais un petit kiosque quand j'avais ma maison de couture House of Dare, il y a très longtemps. Oui, merci beaucoup pour ça. Vous avez vraiment consacré votre carrière à l’industrie canadienne de la mode, et vous avez aussi eu un réel impact sur la scène internationale. Pour commencer, parlez-nous de ce que la mode signifie pour vous personnellement.
Chantal Durivage
En fait, je me permettrais de souligner ce que tu viens de mentionner. Je suis très heureuse de savoir qu’on a déjà collaboré par le passé dans une aventure mode. Moi, je serais très curieuse d'en savoir plus sur ta carrière, mais je pense que c'est moi qui dois répondre aux questions. Ben en fait, comme je suis diplômée de l'Université d'Ottawa en Théorie et histoire de l'art, on peut se demander ce qui a fait en sorte que je me suis retrouvée dans la mode. C’est sûr que mon passage en Théorie et histoire de l’art m’a fait beaucoup apprendre sur l'univers visuel. J'ai toujours eu une grande passion pour l'univers visuel.
Je dois dire aussi que pour mes vêtements, il y a même un aspect familial. Ma mère était d'une élégance infinie. Et puis, je dois dire qu’on allait généralement ensemble dans sa garde-robe fouiller un peu. Mais d'abord et avant tout, la mode, c'est quoi ? Pour moi, c'est vraiment une façon de s'exprimer à tout le monde, de s'habiller tous les jours et selon son état d'âme ou de ce qu'on a livré pendant la journée on fait des choix. On décide entre des t-shirts, des jeans. Lle choix peut aussi être très élaboré en fonction de ce qu'on a envie de démontrer ou alors de la façon dont on a envie de se sentir. Alors, mon objectif à travers la naissance de notre entreprise Festival Mode & Design, entre autres, qui est à Montréal, c’était de démocratiser cet univers-là, de faire en sorte d'avoir une conversation avec le public, avec les gens, avec le consommateur. Pour comprendre ce qu’il aime, ce qu’il a envie de voir ? Ce qu'il veut vivre ? À quoi il aspire ? Qu'est-ce qu’il à raconter ? Et ce dialogue-là est extrêmement riche. Depuis plus de 20 ans maintenant, on adopte cet échange avec le public et ça a tellement évolué. Donc, pour moi, la mode, c'est un mode d'expression identitaire.
Gwen Madiba
Et ce mode d'expression identitaire témoigne de la beauté de la mode, dans ce qu’elle a de meilleur. J’aimerais aussi aborder un autre aspect de l’industrie. L’industrie de la mode, comme celle du divertissement, a longtemps essuyé des critiques en raison des critères de beauté irréalistes imposés aux femmes, en particulier cet incontournable idéal de jeunesse, de blancheur et de minceur. D’ailleurs, à l’âge de 12 ans, alors que j’auditionnais dans une agence, on m’a dit dès mon arrivée « Nous avons assez d’enfants noirs; on ne te prendra pas ». Mais heureusement, on sent un vent de changement depuis quelque temps. L’enjeu de la diversité corporelle commence vraiment à s’imposer. Quels changements avez-vous remarqués depuis que vous travaillez dans l’industrie?
Chantal Durivage
Déjà c'est triste d'entendre l'histoire que vous avez vécu parce que ça a dû être extrêmement difficile. Comment un enfant peut savoir. Ce n'est pas banal. C'est sûr qu'il y a encore beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail à faire. Mais en 19992000, on était vraiment dans l'univers de la maigreur extrême, à la limite du junkie.
C'était beaucoup une image terne et la maigreur était omniprésente.
Mais en 2006, si ma mémoire est bonne, notre organisation avait eu plusieurs conversations. En fait, on avait joint un groupe justement pour se questionner, notamment sur ce qui touche la diversité corporelle, et de voir ce qu'on pouvait faire au Québec, à Montréal, au Canada, pour changer un peu le cours des choses. On avait contribué à la rédaction d'une charte sur la diversité corporelle pour faire en sorte, justement, d'ouvrir les esprits à cet égard. D'un autre côté, on voit aussi une mère de famille et quand je vois ça, ça m'inquiète beaucoup. C'est pour nos jeunes porteurs. Les messages qui sont envoyés, ceux qui sont transmis par ces images-là. Donc, on avait en tête d’entrer en contact avec les responsable à Montréal qui soignent les troubles alimentaires. On avait beaucoup discuté avec eux pour voir ce qu'on peut faire parce que le but n'est pas de dire qu'on ne mettra pas des mannequins maigres, par exemple, dans un casting, ou de dire "Toi, t'es trop maigre". Ça n'aide pas les jeunes, alors on s'est demandé comment on pouvait intervenir. On avait été accompagnés par l’institut Douglas qui nous avaient donné toutes sortes de recommandations, notamment pour pouvoir informer ces jeunes femmes-là qui avaient des troubles alimentaires, leur parler de leurs recours, comment on pouvait les aider et les accompagner. Alors ça avait été une démarche mondialement reconnue. Ça s'était positionné à Montréal. On avait été les premiers à prendre le pas vers une charte signée par l'ensemble des acteurs de l'industrie.
Dès lors, on avait vu des changements qui s’imposaient. À la fin, les faiseurs d'images créent des images que le consommateur consomme. Donc, c'est un cycle.
Souvent ce que je veux dire, c'est que quand on achète, on vote, Alors on achète des images, et on consomme des propositions et on encourage le système à penser dans une certaine direction comme les prises de position qu’il y a eu cette année. Que ce soit Black Lives, ou l’hashtag #Me too. Tout ça, ce sont toutes des démarches sociales qui sont importantes à poursuivre parce qu'il y a l'industrie de la mode. Mais il y a l'industrie du divertissement. Comme tu disais tout à l'heure, il faut bouger, il faut changer les choses.
Nous, à notre niveau, c'est dans nos initiatives. La diversité a toujours fait partie de notre préoccupation première qu’elle soit corporelle, culturelle. En fait, je dois être honnête avec vous. On veut une ouverture à l'inclusivité et la mode permet ça. Au contraire, c'est cette non-limite-là de faire en sorte que tout le monde s'habille tous les jours. Donc tout le monde doit s'exprimer à sa façon, peu importe sa culture. Tout le monde a des choses à raconter. C'est la beauté de la chose et c'est ce que nous on souhaite continuer à promouvoir activement dans tout ce qu'on fait. Parce qu'on veut se servir de cette voie-là pour amener un changement.
Gwen Madiba
Ce que nous sommes en train de dire en ce moment est directement lié au bien-être. Chose certaine, l’industrie de la mode et du marketing ont des effets sur chacun de nous individuellement, mais j’aimerais parler de son influence sur le bien-être de la société en général. Qu’il s’agisse des mouvements d’achat local, du slogan « acheter c’est voter » ou d’écoresponsabilité, comment vois-tu le rôle de la mode dans la santé de notre société?
Chantal Durivage
C’est une excellente question. De mon point de vue, la mode pourrait jouer un rôle capital puisque déjà, cette industrie est quand même une des plus grandes pollueuses. Alors, elle se doit de se positionner et de proposer des actions fermes, réelles et innovantes. La mode peut faire partie de notre bien être à partir du moment justement, où elle nous appuie dans notre quotidien et nous donne des valeurs beaucoup plus actuelles et écoresponsables.
À cet égard, il y a de grands virages qui doivent se faire qui ne semblent pas simples. Et encore là, acheter, c'est voter. Donc, le consommateur doit vraiment faire des choix, des choix importants.
Acheter local, c'est permettre à nos enfants d'aller à l'école parce que l'argent demeure dans l'économie en encourageant les entreprises d'ici et permettant à des gens de travailler et payer des salaires. Évidemment, on stimule la créativité de ces gens-là, mais par le fait même, ils paient des taxes. Et ces taxes nous permettent d'aller à l'école, de nous faire soigner.
En ce moment, quatre achats sur cinq sont faits sur des plateformes en ligne qui vont à l'extérieur du Canada. Quatre sur cinq, c’est tous des dollars. Quand on ne reviendra plus chez nous pour s'éduquer, pour se soigner, alors la mode est-ce qu'elle a un rôle majeur en tant qu'industrie ? Oui, mais le consommateur fait partie du cycle. Le consommateur prend des décisions sur ses achats. Je comprends qu’il est parfois plate d’avoir à attendre pour recevoir une commande. Mais t'es vraiment pas capable d'atteindre 5 jours pour encourager un jeune créateur ? Faire en sorte que ses employés maintiennent leur emploi ? Et que l’argent demeure dans notre économie locale ? En plus, les jeunes créateurs sont écologiques. Ils font tout dans leurs ateliers. Ils utilisent leur créativité qui est propre à leur culture et à notre culture canadienne. C'est un grand choix pour le consommateur et j’espère profondément que nos jeunes sont éduqués pour voir la différence que ces choix-là peuvent faire dans nos vies au quotidien.
Gwen Madiba
Ouais, c’est incroyable à quel point la mode touche toutes les facettes de nos vies, pas vrai?
Chantal Durivage
Absolument.
Gwen Madiba
Nous avons une question spéciale pour vous aujourd’hui, de la part d’une autre diplômée de la Faculté des arts, Isabelle Gauvreau. Isabelle Gauvreau est une artiste visuelle qui explore la féminité dans tous ses aspects. Il a toujours été important pour elle de représenter la femme dans son art, d’un point réaliste, personnel plutôt qu’idéaliste. Selon elle, ce rôle revient aux femmes.
C’est l’aspect créatif et relationnel avec ses clientes qui la nourrie et l’inspire à travailler dans ce domaine. Elle ouvre sa boutique en 2014 à Ottawa afin de faire briller des créateurs canadiens et européens en qui elle croit. En tant qu’acheteuse, Isabelle est consciente des besoins des femmes de l’aspect responsable de la fabrication des vêtements ainsi que présenter des vêtements, non pas à la mode, mais intemporels et réalistes; tout en étant magnifique.
Question d’Isabelle Gauvreau
La mode est tellement un terrain de jeux qui s’adresse en grande partie aux femmes. Sommes-nous finalement arrivés à l’époque qui parlera de la réalité des femmes dans la mode tout en mettant en avant le travail créatif des designers?
Chantal Durivage
Isabelle, quelle belle question. Cette une question grandiose. Je pense qu'on a un parcours qui se ressemble, donc je pense qu'on en aura certainement l'occasion. J'espère qu'on pourra se rencontrer pour en discuter.
Je pense que dans les principes de la coresponsabilité vers lesquelles on s'en va, et qu’on n'a pas le choix d'aller, je crois fermement que la femme porte le canevas de la création. Peut-être que c'est une pensée optimiste, mais je pense que l'univers de la femme va être de plus en plus pris en considération.
L'univers de la femme est complexe. Elle peut être à la fois mère et travailler au foyer. Aujourd'hui, il y a toutes sortes de profils aussi uniques et différents sur le plan corporel, culturel. Au moment de cet enregistrement, c'est la Journée internationale de la femme. Et puis, j'espère profondément que la femme va vraiment être au cœur de la création. Et si elle est au cœur de la création du designer, ça sera un hommage au travail de design. Quelle belle question poétique !
Gwen Madiba
Merci beaucoup Chantal, d’avoir répondu à cette question d’Isabelle. Nous encourageons nos auditeurs de la région d’Ottawa à visiter la boutique d’Isabelle au 457, promenade Sussex.
J’aimerais conclure notre conversation en nous tournant vers l’avenir. À votre avis Chantal, à quoi va ressembler l’avenir de la mode, avec le commerce de détail qui se déplace en ligne, le numérique qui s’impose de plus en plus et les tendances issues des influenceurs sur les médias sociaux?
Chantal Durivage
Ouais, ben je pense qu'on est encore dans une grande mouvance. Il va y avoir beaucoup de défis, surtout pour les entreprises de commerce de détail de moyenne taille. Ils devront apprendre à se réinventer, à parler d'éco-responsabilité. On a été beaucoup vers de la mode, tout ce qui est rapide et jetable. Le consommateur n'acceptera plus ces conditions. Acheter à 5 dollars une chemise qui vient de l'autre bout de la planète n'a pour un jeune d’aujourd'hui plus de résonnance. On ne comprend pas comment un t-shirt peut coûter 5 dollars s'il a traversé la planète dans un conteneur, a été cousu et teint. Quelqu’un y a aussi cultivé le coton. Tout ça, sont des choses auxquelles pensent les jeunes d'aujourd'hui. La mode a encore un virage monumental à faire à cet égard.
Par rapport au commerce en ligne, je pense que les gens vont quand même en partie maintenir une volonté d’aller voir, toucher, explorer les collections en magasin, mais peut-être de moins en moins Nos comportements de consommation vont continuer à se maintenir, peut-être en partie en ligne ou en hybride, c’est-à-dire la moitié des achats se feront en ligne et l’autre vers les commerces en détail. On va vivre également, d'après moi, voir un changement au niveau de l'art. On a beaucoup de propositions de recherches. Je pense que dans 20 ans, on va entrer dans un univers d'expériences en magasin et en ligne. On n'a pas fini de changer. J'espère que les gens vont consommer moins, mais mieux, et je pense que c'est ce qui va éventuellement arriver. Donc place à la création locale, à l'achat local, à tout.
Quand on va acheter, on va penser à qui est à l'origine du produit et combien ça va durer. C'est le vêtement technologique, à mon avis, qui risque d’occuper une place très intéressante pour accommoder notre quotidien, possiblement avec toute une série d'innovations dans les textiles intelligents. Donc, c'est ma prédiction pour l'avenir.
Gwen Madiba
Chantal, vous savez énormément sur le domaine de la mode et je suis certaine que plusieurs de nos auditeurs et auditrices vont vouloir en savoir plus. Pourriez-vous dire à nos auditeurs et auditrices où ils peuvent vous trouver en ligne?
Chantal Durivage
En fait, je les invite à suivre le Festival Mode & Design, c'est une ressource incontournable. Que ce soit sur les médias sociaux (.com sur le Net), il y a une foule d'informations. On a des gens qui écrivent toutes les semaines sur différents sujets. Et puis, je les invite aussi à aimer ma page personnelle "Chantal Durivage". Ça va me faire plaisir de les accueillir et de leur donner de l'information sur ma carrière.
Gwen Madiba
Merci, Chantal, pour cette conversation sur tout ce qui touche la mode!
uOCourant est produit par l’équipe des Relations avec les diplômés de l’Université d’Ottawa. Cet épisode a été enregistré à Pop-Up Podcasting à Ottawa, en Ontario. Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire, qui demeure non cédé. Pour obtenir la transcription de cet épisode en anglais et en français, ou pour en savoir plus sur uOCourant, consultez la description du présent épisode.