On accorde beaucoup d’attention aux mots équité, diversité et inclusion (EDI). Mais que signifient-ils exactement? Et quelles actions délibérées, concrètes et continues les gens et les établissements peuvent-ils prendre pour garantir à tout le monde un sentiment d’appartenance?
Voilà le sujet qui a été abordé lors d’une table ronde intitulée « EDI : L’EDI est sur toutes les lèvres, et ensuite? », un événement hybride présenté le 3 octobre dans le cadre des Retrouvailles 2022 par le Bureau des relations avec les diplômés.
Les quatre panélistes, dans une conversation avec Cici Moya (B. A. 2011), ont fait un survol de tout ce qu’il y a à dire sur l’EDI, discutant également des façons de mieux respecter les nuances des divers groupes. Voici un aperçu des principales idées défendues.
Éliminer l’ambiguïté pour avoir des conversations audacieuses et courageuses
D’entrée de jeu, Nathan Hall a souligné que l’une des difficultés qui se posent quand vient le temps de parler d’EDI est l’absence de normalisation sur le plan de la terminologie, des mesures et de la responsabilisation. M. Hall (B.Sc.Soc. 2007) est le fondateur de Culture Check, une entreprise qui a aidé des milliers de personnes victimes de racisme en milieu de travail, et qui offre des conseils aux organisations souhaitant opérer un véritable changement de culture.
« Beaucoup d’entreprises évoluent dans cette ambiguïté [concernant la signification de l’EDI], ce qui leur permet de se draper dans leur vertu », a-t-il expliqué. Par conséquent, elles ont tout le loisir de prôner des valeurs qui attirent énormément l’attention sans avoir à déployer les efforts nécessaires pour changer leur culture ou sans avoir à perturber le statu quo.
« Nous devons vraiment nous concentrer sur la raison d’être de nos actions et nous employer à définir ces termes – c’est-à-dire en comprendre la signification et déterminer comment ils se manifestent dans notre situation – pour pouvoir les appliquer véritablement », a poursuivi M. Hall.
Awad Ibrahim, professeur à la Faculté d’éducation, a pour sa part mentionné que l’EDI dépend de la volonté d’avoir des conversations délicates. « L’EDI et la lutte contre le racisme nécessitent presque de s’éloigner de cette idée de créer des “espaces sûrs”. Nous devons plutôt nous diriger vers des espaces de courage », a-t-il dit.
Le professeur Ibrahim invite les gens, dans leurs conversations sur l’EDI et la lutte contre le racisme, à mettre de côté leur sentiment de culpabilité ou leur peur de rendre quelqu’un mal à l’aise : « De nombreux groupes minoritaires ont tendance à s’exprimer avec une diplomatie extrême pour ne pas offenser personne. À moins d’intégrer ces espaces de courage, nous n’arriverons jamais à faire ce que nous devons réellement faire. »
Concevoir des approches sincères en matière d’EDI
Les panélistes ont aussi parlé de la nécessité d’éviter l’action symbolique, comme lorsqu’on demande à une seule personne d’agir à titre de porte-parole pour un groupe de personnes issues de la diversité.
Soukaina Boutiyeb (B.Soc.Sc. 2011) a raconté une anecdote tirée de son expérience comme directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC). Pendant la mise en place d’un projet visant à soutenir les immigrantes francophones, elle a souligné l’importance de créer des services destinés à ces femmes et de tisser des liens concrets avec elles au lieu de se limiter à consulter les femmes en général.
Selon Mme Boutiyeb, pour éviter l’action symbolique, il faut d’abord s’assurer qu’un plus grand nombre de personnes participent au processus décisionnel : « Au lieu d’inviter une seule personne, lançons l’invitation à deux, à trois, à quatre personnes du même groupe démographique. Nous devons reconnaître que les femmes ont des points de vue différents et qu’une seule femme ne peut représenter toutes les femmes. »
Le témoignage de Mme Boutiyeb a permis de soulever la question suivante : aux besoins de qui les politiques d’EDI répondent-elles? Jon-Ethan Rankin-Kistabish (LL.L. 2018) est membre de la Première Nation Abitibiwinni, avocat au cabinet Murdoch Archambault et membre du Conseil des diplômées et diplômés autochtones de l’Université d’Ottawa. Selon lui, pour mettre en place des politiques équitables et inclusives, il faut prendre un pas de recul et se demander pour qui elles sont créées : « Notre point de référence est généralement la majorité et les groupes privilégiés dans la société par rapport à la minorité et aux groupes marginalisés. »
En matière d’EDI, les gens doivent aussi s’éloigner des généralisations néfastes. M. Rankin-Kistabish a donné l’exemple d’un emploi qu’il a déjà occupé où il était le seul Autochtone au sein d’un établissement public qui servait des clients autochtones : « On me rappelait constamment que j’étais un Autochtone, mais que j’étais différent. Les gens me disaient : “Jon, tu n’es pas comme les autres parce que tu as réussi à l’école, tu as un emploi, ta famille a l’air correcte.” Je n’ai jamais compris pourquoi les gens faisaient ce genre de comparaisons ni pourquoi ils me complimentaient en dénigrant les autres autochtones ou en perpétuant des généralités à leur sujet. »
Le vrai changement commence par une prise de conscience à l’échelle individuelle et institutionnelle
L’EDI, c’est l’affaire de tout le monde! De l’avis de M. Rankin-Kistabish, une approche sincère en matière d’EDI repose notamment sur la volonté des groupes non marginalisés de prendre conscience de leurs préjugés inconscients. « L’EDI suit un processus d’évolution complexe qui nécessite autant d’efforts de la part des gens qui veulent appliquer cette approche que de celle des groupes à qui elle s’applique, et qui pourraient subir des micro-agressions au passage », a-t-il expliqué.
Soukaina Boutiyeb a mentionné de son côté que tout véritable changement doit provenir de l’intérieur : « Un avenir [inclusif] commence par un changement de culture interne. Voilà un bon point de départ qui nous permettra, par la suite, d’avoir une vision commune. »
Pour répondre à quelqu’un du public qui se demandait si nous devions parler autant d’inclusion ou si la conversation ne devrait pas plutôt porter sur le respect, Nathan Hall a dit qu’un comportement respectueux n’est pas nécessairement suffisant, car une personne peut à la fois faire preuve de discrimination fondée sur l’origine ethnique et de « respect ». Dans le contexte d’une organisation, il faut également s’engager à promouvoir et à incarner un ensemble de valeurs clairement définies.
« Quand on parle de racisme, on sous-entend l’institutionnalisation des préjugés et des croyances », a dit M. Hall. « Si j’intègre des préjugés raciaux dans le matériel de cours ou des pratiques discriminatoires dans le programme d’études, je peux adopter une attitude respectueuse envers vous en classe, mais continuer néanmoins de véhiculer des idéologies racistes. »
Les idées et les points de vue exprimés par les panélistes s’inscrivent dans le travail que l’Université d’Ottawa s’est engagée à accomplir pour donner suite aux recommandations du conseiller spécial, antiracisme et inclusion, le professeur Boulou Ebanda de B’béri.[c1] Cette conversation nous a aussi judicieusement rappelé que nous avons tous et toutes un rôle à jouer pour faire progresser l’EDI, dans nos vies comme au travail.
Le professeur Ibrahim a bien résumé la discussion lorsqu’il a dit : « Je souhaite que nous passions de la parole aux actes. Et nous y arriverons lorsque nous verrons le travail à faire en matière d’EDI et de lutte contre le racisme comme un geste d’amour envers nous-mêmes, envers la communauté dans laquelle nous vivons et envers tous ceux et celles qui nous entourent. »