Le 13 novembre 2024, au Centre Rogers d’Ottawa, Kim Thúy, auteure prolifique lauréate de plusieurs prix prestigieux, dont le prix littéraire du Gouverneur général du Canada, était l’invitée du service d’Engagement des diplômés de l’Université d’Ottawa, au grand bonheur des quelque 600 personnes qui ont assisté à sa conférence – dont près de 200 personnes en ligne. Animée de main de maître par Yves Pelletier, vice-recteur associé à la Francophonie de l’Université d’Ottawa, la soirée s’est déroulée dans une atmosphère bon enfant, Kim Thúy sachant admirablement rendre sa joie contagieuse.
Kim Thúy est diplômée en traduction et en droit, et a travaillé comme couturière, interprète, avocate et restauratrice avant d’être auteure et animatrice à la télévision. C’est avec beaucoup d’humilité et de générosité qu’elle nous a raconté comment les épreuves qu’elle a traversées et les choix audacieux qu’elle a faits ont enrichi son parcours, et ont fait d’elle la femme libre qu’elle est devenue. Son fidèle lectorat aura reconnu certains des récits marquants relatés dans Ru, son premier roman paru en 2009, traduit dans une trentaine de langues, distribué dans 45 pays et dont l’adaptation cinématographique a vu le jour en 2023.
Celle qui a reçu l’insigne de chevalière de l’Ordre des arts et des lettres de la République française pour son engagement a commencé par rappeler à notre mémoire la guerre du Vietnam, qui a opposé le Vietnam Nord au Vietnam Sud de 1954 à 1975, et qui a bouleversé le cours de son existence. À l’âge de 10 ans, Kim Thúy et sa famille ont fui leur terre natale à bord d’un bateau de pêcheurs, comme des centaines de milliers d’autres boat people. « Nous avons eu de la chance! », a-t-elle fait remarquer. « Après quatre jours en mer dans notre bateau de 10 mètres de long où se trouvaient 218 personnes, nous sommes arrivés sur une plage de la Malaisie. Au cas où notre bateau se fasse attaquer par des pirates, ma mère avait dissimulé des diamants dans le col des chemises de mes frères et dans un bracelet rose en acrylique qu’elle avait fabriqué elle-même, et que j’ai porté pendant le périple. »
L’arrivée au Canada : une page blanche
Quelques mois plus tard, en mars 1979, Kim Thúy et sa famille ont débarqué à Granby, au Québec, pendant une averse de neige éblouissante. « C’était comme une page blanche sur laquelle je pouvais écrire une nouvelle histoire », s’est-elle exclamée en précisant que ce premier moment au Canada expliquait tout le reste de sa vie. « Malgré notre état lamentable, les gens venus nous accueillir nous ont pris dans leurs bras et nous ont regardés comme si nous étions des trésors tombés du ciel. Je ne m’étais jamais vue aussi belle que dans le regard de ces gens-là. En une fraction de seconde, ils nous ont redonné l’humanité et la dignité que nous avions perdues en cours de route. »
Kim Thúy garde un souvenir impérissable de l’amour des citoyens de Granby, qui invitaient continuellement sa famille à manger ou à visiter le Zoo de Granby. « Pour s’enraciner, ma famille acceptait toutes les invitations », a raconté l’écrivaine. « Un jour, mes frères et moi avons été invités à faire du camping sans savoir en quoi cela consistait. À notre retour, nous avons dit à nos parents que le camping était comme un camp de réfugiés : il n’y avait ni électricité, ni eau, ni toilette et il fallait dormir dehors avec les moustiques. Nous avions l’impression d’avoir été punis! », a-t-elle précisé tandis que les rires éclataient dans la salle. « Mon père nous a alors répondu : le camping, c’est vraiment la preuve que nous sommes arrivés dans le meilleur pays du monde parce qu’ici les gens sont tellement confortables qu’ils se créent des situations où ils peuvent s’infliger de l’inconfort », a-t-elle poursuivi, provoquant l’hilarité générale. Kim Thúy a vraisemblablement hérité de la sagesse de son père, et de sa capacité à se laisser porter par la vague et à profiter de la chance quand elle lui sourit.
Les questions du public
Lors de la conférence, le public a pu poser des questions à Mme Thúy par l’entremise de deux étudiantes de l’Université d’Ottawa, les excellentes Kawtar El Mouttaki (B.A. Lettres françaises) et Jasmine Hupé (B.A. Comm). À la question « Comment sortir de l’indécision? », Kim Thúy a conseillé de trancher, tout simplement. « Ce sera peut-être le mauvais choix au moment même, mais on ne sait jamais où notre chemin nous mènera », a-t-elle dit. « Quand j’ai ouvert mon restaurant, motivée par le désir de partager la beauté de la cuisine vietnamienne, j’ai perdu beaucoup d’argent et je me suis épuisée. Mais ce restaurant m’a menée à l’écriture, car c’est ma clientèle qui m’a encouragée à écrire. Même une mauvaise décision est bonne parce qu’elle nous amène quelque part, tandis que dans l’indécision, nous sommes coincés! »
La joie qui anime Kim Thúy malgré l’adversité a suscité une question sur sa capacité exceptionnelle à prendre soin de sa santé mentale. « Quand vous vous retrouvez dans des situations extrêmes, comme dans un camp de réfugiés où s’entassent des milliers de personnes, vous ne pouvez pas vous permettre d’éprouver des émotions ou des sensations parce que si vous le faites, vous ne pourrez pas survivre. C’est au Québec que j’ai retrouvé la capacité de ressentir. Les critiques littéraires et les élèves qui analysent mes textes m’aident également à me comprendre moi-même. En plus, j’ai pleuré énormément pendant le tournage de Ru. Le film m’a donné la chance de vivre dans ma cinquantaine les émotions que j’aurais dû vivre pendant mon enfance. »
Finalement, Kim Thúy a confié vouloir explorer la valeur de l’immigration et des réfugiés dans une prochaine œuvre. « On parle souvent des réfugiés comme étant des gens démunis, faibles, mais pour moi ce sont des athlètes de haut niveau. D’abord, il faut beaucoup de détermination pour prendre la décision de quitter son pays, puis ils ont survécu à la mer, à la faim, à la soif, ils ont marché des centaines de kilomètres, grimpé des murs… Pour moi, les réfugiés sont de superhumains, qui enrichissent les pays qui les accueillent en très peu de temps. »
Kim Thúy a été chaudement applaudi par le public, qui aurait pu l’écouter encore longtemps. En guise de remerciements, l’Université lui a offert un magnifique collier de Sage Jewelry, l’entreprise de Sophie Longtin, une diplômée de l’Université d’Ottawa.