Transcription Balado uOCourant

Saison 4, Épisode 1

Marie Turgeon: Bienvenue à uOcourant, un balado informatif, inspirant et divertissant produit par l’Université d’Ottawa. Bonjour, ici Marie Turgeon, en remplacement de Gwen Madiba, animatrice habituelle d’uOcourant. Je suis une fière diplômée de la Faculté des arts, où j’ai complété mon baccalauréat en théâtre et en communication.

Je vis présentement à Montréal et j’y travaille comme comédienne dans diverses émissions de télévision ainsi qu’au théâtre. Le but d’uOcourant est de vous faire connaître des chercheuses, des chercheurs et des diplômés de l’Université à l’avant-garde dans leur domaine, ainsi que d’avoir avec eux des échanges stimulants sur les sujets du moment.

Bienvenue à cette quatrième saison d’uOcourant, placée sous le thème de la créativité et de l’inspiration. Nous allons nous entretenir avec des diplômés de l’Université qui mènent aujourd’hui une brillante carrière dans leurs domaines, soit le droit, les affaires, les sciences ou les arts, entre autres.

Ces figures influentes se joindront à nous de Montréal, de Toronto, de Chicago et d’ailleurs pour nous parler du rôle de l’inspiration et de la créativité dans leur vie. Notre premier invité de la saison a mené une carrière inspirante dans un domaine des plus créatifs.

Il s’agit de Daniel Lamarre, diplômé de l’Université d’Ottawa. Présentement vice-président exécutif du conseil d’administration du Groupe Cirque du Soleil, il a occupé pendant une vingtaine d’années la fonction de président-directeur général de cette organisation renommée, contribuant ainsi à son succès.

Il est l’homme derrière la renaissance du Cirque du Soleil qui s’est opérée en 2021 grâce au rétablissement de sa viabilité financière et à la pérennisation de sa culture et de ses valeurs. Daniel Lamarre est titulaire d’un baccalauréat en communication de l’Université d’Ottawa et s’est vu décerner par la suite un doctorat honorifique de la Faculté des arts. En 2018, il a été fait officier de l’Ordre du Canada.

Daniel Lamarre, merci de vous joindre à nous en direct de Montréal. J’ai couru hier soir, je vous dis. J’ai couru hier soir, je suis allée chercher ce fabuleux livre dont j’ai lu plus du tiers hier soir. Ce matin, très tôt, je suis allée à ma répétition. Puis là, je reviens de la répétition, j’ai couru comme une folle, mais je suis très, très, très contente d’avoir eu ce livre-là dans mes mains et d’avoir eu la chance surtout de lire le petit bout que j’ai lu, le petit bout, et surtout de continuer à le lire plus tard. C’est fabuleux ce que vous nous avez présenté. Je voulais simplement le noter ici. Alors, il faut dire que les planètes semblaient pas mal bien alignées pour notre entrevue aujourd’hui.

On espérait vous recevoir depuis quand même plusieurs années et quand nous avons choisi de consacrer la nouvelle saison à la créativité et à l’inspiration, vous veniez tout juste de publier votre livre, intitulé en français L’équilibriste : Performez grâce à votre créativité. Et on ne pouvait évidemment pas rêver de plus belle coïncidence. Et c’est un livre vraiment inspirant, comme je l’ai mentionné tout à l’heure. Je vais vous lancer ma première question dès la page 11.

Vous dites dans votre livre que sans créativité, il n’y a pas d’entreprise. La créativité s’applique partout. Et donc, qu’est-ce qui vous a poussé, vous, à écrire un livre tout d’abord sur la créativité? 

Daniel Lamarre : J’ai eu la chance, au cours de ces 20 années au Cirque du Soleil, de côtoyer de très grands créateurs. D’abord le fondateur, Guy Laliberté. Par la suite, j’ai travaillé avec Robert Lepage, avec Dominic Champagne, Michel Laprise; sur la scène internationale, avec Paul McCartney, les Beatles, James Cameron. Et j’ai eu la chance d’observer la créativité de ces gens-là et ça a eu un effet très important chez moi, personnellement et professionnellement, et j’avais le goût d’échanger tout l’apprentissage que j’ai eu en côtoyant ces grands de la création, parce que je pense qu’il est essentiel dans nos vies personnelles, mais aussi dans nos vies professionnelles, de pousser notre créativité davantage. Parce que ça a un effet tonifiant sur l’organisation dans laquelle vous œuvrez, quelle qu’elle soit. La créativité, il faut le rappeler, c’est à la base de l’innovation.

Et si vous voulez demeurer un leader dans votre domaine, il est essentiel que vous fassiez appel à votre créativité, à celle de vos collègues et de vos employés. Et c’est ça qui m’a poussé à écrire ce livre-là.

Marie Turgeon : C’est intéressant, vous parliez à un moment donné dans votre livre que vous avez été piqué par l’enthousiasme du converti. Dites-moi, qui étiez-vous avant d’être le converti?

Daniel Lamarre : Je suis un homme d’affaires plus traditionnel, étant le propriétaire de la firme de relations publiques et après ça, avoir été président du réseau TVA à Montréal.

C’était vraiment quelque chose de très traditionnel. Et quand je suis arrivé au Cirque, je croyais avoir côtoyé beaucoup de gens créatifs, mais c’était à un autre niveau ici, et j’apprécie encore beaucoup la chance que j’ai de travailler avec ces grands créateurs et avec ces grands artistes.

Marie Turgeon: Est-ce que vous mariez les noms ou les mots créativité et intensité? Est-ce que vous diriez que le lien, il est direct?

Daniel Lamarre: Je dirais que c’est une corrélation très nette. Ce qui est important pour moi dans la notion de créativité, c’est pour moi un exercice qui est collectif.

Ce n’est pas unique et ce n’est pas quelque chose que vous pouvez faire seul dans votre salon. Je dis toujours aux gens « ne perdez pas votre temps à vous asseoir et à dire aujourd’hui, je vais être créatif. »

Il faut que vous ayez un objectif qui est très, très clair. Créatif pour quoi? Pour atteindre quel but? Quels objectifs? Et moi, je vous avoue que je suis très stimulé par mes collègues ici, parce qu’ils alimentent ma créativité, et j’espère modestement que j’alimente aussi leur créativité.

Marie Turgeon: Donc, dans une créativité conjointe, on multiplie la vision, on fait en sorte qu’on partage la même vision et donc on la bonifie. J’imagine que c’est un peu ce que vous me dites.

Daniel Lamarre: Oui, puis ce que je vous dis aussi, c’est qu’il ne faut pas avoir peur de débattre.

Parce que vous savez, dans la vie, on est souvent trop, comme on dit en anglais, politically correct. Je vais être gentil avec vous quand vous présentez une idée, parce que vous allez peut-être être gentil avec moi quand moi je vais présenter une idée. Ça, c’est une perte de temps.

Si on veut que la meilleure idée émerge, il nous faut débattre. Il nous faut argumenter, et c’est dans le débat que la meilleure idée va ressortir. Et ça, c’est quelque chose que moi j’encourage beaucoup, beaucoup, beaucoup parce que malheureusement, je trouve qu’on fait beaucoup trop de compromis dans la vie de tous les jours.

Marie Turgeon: C’est comme pas dans notre ADN, enfin pas au Canada français; c’est moins dans notre ADN. On dit tout le temps que quand on débat, on se chicane, mais dans le fond, ce n’est pas nécessairement ça. C’est qu’on veut faire grandir l’idée pour être capable de débattre. Il faut avoir du respect et aussi avoir de l’écoute envers les autres, je pense, non?

Daniel Lamarre: Seulement l’écoute est essentielle. Malheureusement, souvent, on part un projet avec une idée préconçue. Parce qu’on a une idée préconçue, justement, on se ferme aux idées des autres. Et moi, j’essaie de faire l’inverse, j’essaie d’abord d’écouter les autres, et les idées des autres nourrissent ma propre créativité.

On dit au Cirque qu’un spectacle, c’est une œuvre commune, et c’est pour ça qu’on n’a pas de vedette au Cirque du Soleil. La vedette, c’est le spectacle. Et ça, ça m’a beaucoup marqué dans la vie de tous les jours aussi d’être beaucoup plus collaborateur et beaucoup plus ouvert aux autres.

Marie Turgeon: Ça, ça veut dire qu’il faut prendre notre ego et le laisser à la porte de l’entrée de la salle de réunion et après ça, on le reprend quand on sort, c’est tout.

Daniel Lamarre: Ça veut dire effectivement qu’il faut avoir beaucoup de modestie et qu’il faut être ouverts aux idées des autres.

Mais surtout, comprendre que dans le débat, dans les idées des autres, c’est nous qui nous grandissons. Il ne faut pas avoir peur. Malheureusement, les gens ont peur d’être confrontés, ont peur de sortir de leur zone de confort et c’est là, malheureusement, qu’ils ou elles briment leur créativité.

Marie Turgeon: En fait, c’est la peur du risque, la peur de challenger. Vous avez écrit quelque part dans votre livre que votre mission, c’est de créer des emplois pour les artistes. J’ai adoré cette phrase-là.

Daniel Lamarre: En fait, c’est drôle parce que j’avais été défié un jour par une professeure, une femme fantastique de Stanford University qui m’avait dit : « ben c’est quoi, toi, ta raison d’être dans la vie? » Sincèrement, je ne m’étais jamais arrêté à cette réflexion-là. Puis, après réflexion, je lui ai dit : « c’est très difficile pour un artiste de vivre correctement de sa passion. Et moi, j’ai la chance d’offrir des emplois bien rémunérés à plus de 2 500 artistes. »

Donc, à chaque fois que j’ouvre un nouveau spectacle, je permets à des artistes de vivre de leur passion. Alors c’est ça, ma raison d’être aujourd’hui, bien au-delà de tout ce que je peux faire pour l’organisation.

Marie Turgeon: Ça donne de merveilleux spectacles, assurément.

J’aimerais qu’on parle maintenant, si vous le voulez bien, d’une coïncidence que vous abordez dans votre livre. C’est bien votre relation – évidemment créative – avec les Beatles qui a donné naissance au spectacle The Beatles LOVE du Cirque du Soleil, produit en collaboration. Et c’est une histoire qui est incroyable que vous nous racontez dans votre livre. Les détails de cette création sont évidemment fascinants. Merci de les avoir partagés, d’ailleurs. J’ai bien aimé le fait qu’on passe de 30 millions pour la salle à 90 millions.

Ouf! Ça n’a pas dû être facile, faire avaler une petite couleuvre. Mais pour la petite histoire, je vais partager ça avec vous, Daniel Lamarre. Vous savez peut-être que l’Université d’Ottawa a aussi un lien avec les Beatles par l’entremise d’Allan Rock, qui est un ancien recteur et ancien vice-chancelier aussi, et un diplômé de l’Université aujourd’hui professeur à la Faculté de droit.

En juin 1969, Allan Rock était président du syndicat étudiant de l’Université. Il a réussi à convaincre John Lennon, qui faisait évidemment alors son fameux bed-in à Montréal avec Yoko Ono, et il l’a convaincu de participer à un forum sur la paix mondiale.

Et en réalité, c’était une conférence de presse qui a été tenue dans le foyer du pavillon Simard. À la suite de la conférence de presse, évidemment, Allan a pris John et Yoko et ils sont partis dans les rues d’Ottawa au volant de sa Coccinelle jaune.

Mais ça a été un moment, évidemment, qu’on ne peut pas inventer. La chanson des Beatles… Quand ils étaient dans la voiture, la Coccinelle a joué la chanson Get Back. Je voulais partager avec vous. Évidemment, John Lennon s’est mis à chanter dans la voiture. Et c’était pour la petite histoire et pour l’anecdote.

Daniel Lamarre: C’est formidable, mais je dois vous dire que j’ai vécu aussi un moment de grande émotion lors de ma première rencontre avec les Beatles. Et entre autres, je me rappellerai toujours dans le théâtre, quand j’entendais derrière moi Paul McCartney et George Martin échanger et être aussi heureux de participer à cette œuvre-là, qui est le spectacle qu’on a fait ensemble. Ça a été pour moi certainement le moment le plus émotif de ma carrière.

Marie Turgeon: Oui, et vous dites que Paul était là même aux répétitions. C’est ça?

Daniel Lamarre: Oui, exact, et c’était très particulier parce qu’évidemment, tout le monde était nerveux. Et je me rappelle que Dominic Champagne au début disait : « non, non, non, ça n’a pas de bon sens qu’il soit là. »

Marie Turgeon: Trop de pression.

Daniel Lamarre: Exact. La grande générosité, parce qu’étant un artiste lui-même, il comprenait très bien tous les obstacles qu’on devait franchir pour atteindre le niveau de performance qu’on a finalement atteint.

Marie Turgeon: Je pense que l’histoire des Beatles de votre livre va intéresser beaucoup notre auditoire, parce qu’elle donne une leçon très inspirante sur l’importance des liens émotionnels et aussi de la confiance dans le processus créatif. Parlez-nous un peu de cette création-là.

Vous dites que ça a été un moment marquant, et un des moments les plus marquants de votre carrière. Parlez-nous un petit peu aussi des liens que vous avez eu à développer avec Dominic Champagne.

Daniel Lamarre: D’abord, ce qu’il fallait établir, c’est une confiance, une confiance mutuelle.

Et au départ, les Beatles étaient très craintifs qu’on ne comprenne pas les messages qu’il y avait dans leur musique. Et lorsqu’on a proposé – parce que c’est nous qui l’avons proposé – que George Martin soit le directeur musical, et que George a accepté de le faire avec son fils Giles, eh bien ça a vraiment créé un lien de confiance entre les deux organisations.

Là où Dominic a été exceptionnel, c’est qu’il a su prendre le temps – et Dieu sait qu’il en a pris – pour aller chercher le visuel des personnages qui étaient dans l’imaginaire de Paul McCartney et de John et de Georges.

Et il les a confrontés avec ces images. Donc, tout au long du processus, ils ont cheminé avec lui. Et je pense que c’est en cheminant de façon parallèle entre la musique et le visuel du spectacle qu’on a évité d’avoir de mauvaises surprises lors des répétitions.

Marie Turgeon: Est-ce que c’était sa première mise en scène avec vous, à Dominic? Avec les Beatles?

Daniel Lamarre: Non, il avait fait le spectacle Varekai et il avait aussi collaboré avec René-Richard Cyr à Zumanity. Donc, c’était son troisième spectacle avec nous, et c’est important parce qu’il nous connaissait bien, donc il pouvait bien nous représenter auprès des Beatles.

Marie Turgeon: Ouais, c’est incroyable. J’aimerais aussi qu’on aborde la question du bilinguisme, vous et moi aujourd’hui, qui revêt évidemment une grande importance pour l’Université d’Ottawa. En mars, dans le cadre du Mois de la Francophonie, l’Université a annoncé un investissement de 5 millions de dollars sur trois ans en appui à sa communauté francophone.

J’aimerais savoir quel rôle a joué le bilinguisme dans votre parcours, Daniel, depuis vos années universitaires jusqu’au Cirque du Soleil, et aujourd’hui pour la publication de votre livre dans les deux langues – Équilibriste : performez grâce à votre créativité, et en anglais, Balancing acts : Unleashing the power of creativity in your life and work.

Daniel Lamarre: Alors écoutez, le petit gars de Grand-Mère qui baragouinait quelques mots d’anglais a décidé d’aller à l’Université d’Ottawa pour apprendre l’anglais. Donc, ça faisait partie de mon objectif universitaire. Donc, j’ai demandé de demeurer en résidence avec un anglophone; l’anglophone en question, malheureusement pour moi, voulait, lui, apprendre le français. Alors voici comment on est arrivés à satisfaire nos besoins mutuels : c’est que moi, je lui parlais en anglais et lui me répondait en français. Alors ça faisait des conversations atrocement longues, parce que je passais mon temps à chercher mes mots en anglais, et lui, à chercher ses mots en français.

Mais au bout d’un an de ce baragouinage-là, je pense qu’on avait déjà appris pas mal à maîtriser l’autre langue et ça a joué un rôle très important pour moi, parce que je n’aurais pas pu avoir une carrière dans le milieu des affaires.

Je n’aurais pas pu voyager à travers le monde avec le Cirque du Soleil si je n’avais pas bien maîtrisé l’anglais.

Marie Turgeon: Et votre programme de communication – si ma mémoire est bonne, vous avez étudié en communication à l’Université d’Ottawa – vous l’avez fait en anglais ou en français?

Daniel Lamarre: Les deux. Oui, au début, j’ai commencé surtout en français, parce que je ne maîtrisais pas bien l’anglais, et par la suite j’ai pris plusieurs cours en anglais.

Marie Turgeon: Petite sous-question là-dessus, Daniel : pourquoi ne pas avoir été attiré par une université anglophone à Montréal?

Daniel Lamarre: D’abord, l’Université d’Ottawa m’offrait un programme en communication. Il faut se rappeler – ça trahit bien sûr mon âge –, mais il faut se rappeler qu’à l’époque, l’Université d’Ottawa était une des premières à offrir le cours en communication.

Marie Turgeon: C’est vrai.

Daniel Lamarre: Et nous, notre cohorte, on était les premiers diplômés de l’Université d’Ottawa en communication.

Alors, c’est ce qui m’a motivé, donc, à aller vers Ottawa. Et encore aujourd’hui, ce sont trois belles années qui m’ont marqué beaucoup.

Marie Turgeon: On peut peut-être faire ici un parallèle avec le fait que, évidemment, vous vouliez vous ouvrir au monde, vous ouvrir donc à The Rest of Canada, le ROC, et aussi vous ouvrir au monde grâce au fait de maîtriser l’anglais. Mais si on revient au fait que, au sein du Cirque du Soleil, vous avez quand même 5 000 employés qui viennent de 49 nationalités différentes; si on parle d’une ouverture sur le monde, c’est bien celle-là. Est-ce que ça a eu une influence?

Daniel Lamarre: Énorme! Parce que vous savez, aujourd’hui, c’est très à la mode de parler de diversité. Nous, au Cirque du Soleil, on ne parle pas de diversité : on le vit depuis 37 ans. Alors c’est fabuleux et c’est tellement riche d’avoir une conversation sur un projet où vous avez autour de la table un Américain, une Française, une Chinoise, un Russe, des gens de plein de nationalités qui arrivent avec leur culture. Et ça, pour moi, c’est un ingrédient très important dans le succès de notre organisation.

Marie Turgeon: Incroyable. Et ça doit faire tellement des discussions agréables et intéressantes et vivifiantes pour la créativité, entre autres.

L’un des piliers du plan stratégique Transformation 2030 de l’Université vise à la rendre plus interconnectée. Nous devons entretenir évidemment un véritable rapport au monde et accroître notre présence et notre influence sur la scène internationale. Vous qui avez évidemment, Daniel, à maintenir le fragile équilibre entre l’application de la stratégie d’entreprise sur cinq continents, pouvez-vous nous parler un peu de votre vision de la réussite à l’échelle internationale?

Daniel Lamarre: Oui, d’abord, la première chose que je dis aux gens, c’est que vous ne pouvez pas réussir sur le plan international si vous demeurez assis chez vous; vous devez voyager beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Et ça n’existe pas, une marque globale. Une marque globale se développe ville par ville, pays par pays, et vous devez avoir une présence. Donc nous-mêmes, si on va dans une ville – Londres, par exemple – tous les ans, on s’assure qu’entre les deux mois de présentation du spectacle et la venue prochaine, l’année suivante, d’un spectacle, qu’on maintienne une présence. Et ça, c’est extrêmement important.

Il ne faut pas que les gens vous oublient, donc il faut que cette marque-là soit alimentée. Alors aujourd’hui, on est chanceux avec toutes les plateformes numériques que l’on a; c’est plus facile d’alimenter une marque globalement. Mais pour vraiment laisser son empreinte dans un marché, il faut être présent.

Marie Turgeon: Mais le fait d’être aussi présent sur les cinq continents, c’est aussi challengeant. On a à faire face à plein d’impondérables. On a à faire face à des raz de marée, à toutes sortes de choses dont on n’a pas le contrôle.

C’est quand même ça aussi; on s’expose. On est global, mais aussi on est plus exposé. Comment vous réagissez à ça? Comment faire face à ça?

Daniel Lamarre: Il faut être extrêmement agile. Je pourrais vous donner une série d’exemples que j’ai vécus au fil des ans, soit une tempête dans une ville comme on a vécu à Tokyo ou que ce soit une crise politique comme on le vit présentement. Rappelons-nous pour 30 secondes que nous, on a des employés russes et ukrainiens qui voyagent ensemble à travers le monde. Donc, il y a beaucoup de situations qui, à la surface même, pourraient avoir l’air très délicates.

Mais notre agilité nous permet de nous adapter et de réagir rapidement à ces impondérables-là.

Marie Turgeon: Il faut être fait fort, moi je dirais. Il y a une partie dans votre livre qui m’a beaucoup touchée. C’est toute la partie où vous avez compris pourquoi Sylvie Fréchette avait besoin de continuer à être dans l’eau.

C’est un moment fabuleux et c’est ce sur quoi je me suis endormie hier soir. Je voulais vous dire un gros merci pour ça. J’aimerais savoir quel a été l’élément déclencheur de cette réalisation-là, c’est-à-dire passer de « Sylvie, la meilleure chose que tu peux faire dans ta vie, c’est vraiment de travailler à la banque », à la décourager de vouloir aller se relancer dans une idée folle et de plonger dans un bassin à Las Vegas, au moment où vous l’avez vue sur scène que vous avez compris ça.

Daniel Lamarre: C’était particulier, parce que j’étais tellement fier de lui avoir garanti un emploi à vie à la Banque Nationale et que j’avais beaucoup de difficulté à défaire cette entente-là pour l’envoyer au Cirque du Soleil. Mais sa passion était tellement forte pour cette idée-là que je l’ai appuyée, parce que j’étais là pour appuyer cette artiste-là. Et puis, lorsque je l’ai vue à l’œuvre à Las Vegas dans le fabuleux spectacle O, j’ai compris tout de suite qu’elle avait pris la bonne décision et que j’aurais commis une erreur épouvantable si je ne l’avais pas appuyée dans cette démarche-là.

Marie Turgeon: Et chaque créateur est mis face, souvent, à quelque chose de difficilement explicable entre la sécurité – la balance sécurité, la balance création, le besoin de manger, mais le besoin de créer, aussi. Et vous y répondez très bien, merci. On va poursuivre maintenant, Daniel, si vous le voulez, avec un invité spécial qui a pour nom Kevin Kee, qui est le doyen de la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa et qui a une question pour vous.

Kevin Kee: Merci. Bonjour Daniel, bonjour Marie. Je suis très heureux d’avoir été invité à participer à uOcourant pour poser une question à Daniel. D’abord, je vous félicite, Daniel, pour votre succès en librairie.

L’histoire de votre père m’a beaucoup ému. Je suppose qu’il a été un véritable modèle pour vous et je l’admire pour sa persévérance lorsqu’il a dû changer de carrière pour des raisons de santé, pour son rôle de leader respecté dans votre ville natale, Grand-Mère, et surtout pour le temps qu’il a consacré à la communauté et qui a inspiré la jeunesse à suivre son exemple.

À bien des égards, vous avez marché sur ses pas et nous vous sommes reconnaissants pour le temps que vous avez donné à notre université et pour avoir encouragé nos étudiantes et étudiants à croire en leur capacité à faire preuve d’audace et à poursuivre de grands rêves.

J’aimerais entendre votre point de vue sur la façon de cultiver, dans notre société, des relations bienveillantes et fondées sur l’honnêteté.

Daniel Lamarre: Pour moi, il y a un terme qui résume tout ça. C’est l’engagement social.

Je pense qu’il est primordial aujourd’hui, peu importe qui vous êtes dans la société, de vous engager socialement. Nous, au Cirque du Soleil, on s’est établis dans le quartier le plus pauvre de Montréal et on a vraiment donné une autre vie à ce quartier-là en créant les arts du cirque.

On a des causes comme Cirque du Monde, où on vient en aide aux jeunes de la rue. One Drop, où on essaie de solutionner le problème de l’eau dans le monde. Cet engagement social là fait que vous avez une raison d’être qui dépasse simplement l’entreprise.

Mais vous êtes un citoyen, vous êtes un citoyen qui peut avoir une influence très positive sur notre société. Et dans un monde qui vient de traverser un chaos épouvantable, dans un monde qui traverse une guerre épouvantable, il nous faut de plus en plus jouer ce rôle social là pour maintenir dans toute la planète une humanité.

Et ça, j’ai appris ça de mon père. Et cette valeur-là, j’essaie de la transmettre à nos employés, à ma famille. Et au-delà de tout, ce n’est pas les succès financiers du Cirque qui me rendent fier. Ce n’est pas les succès de nos spectacles qui me rendent fier. Oui, ça m’amène une grande fierté. Mais ce qui me rend le plus fier, c’est notre engagement social. Et c’est ça qui va faire une différence dans notre société.

Marie Turgeon: Merci Kevin pour la question. C’est costaud comme question. Ce n’est pas banal. Merci de la belle réponse aussi, Daniel.

J’aimerais faire un lien avec ce dont on vient de parler et dans votre livre, où presque au tout début, on parle de la loyauté comme étant quelque chose à long terme. Je vais vous laisser parler vous-même de ce que ça veut dire pour vous, la loyauté.

Daniel Lamarre: Je pense que dans la vie, vous avez des amis, vous avez une famille, vous avez des gens, et la loyauté, c’est une valeur qui est très importante parce que ça veut dire, en résumé, qu’il y a des gens sur lesquels vous pouvez vous fier en tout temps.

Et moi, j’ai vécu une belle histoire avec Guy, où lorsque j’étais chez National et que le Cirque ne faisait pas beaucoup de sous, j’avais accepté de littéralement déchirer une facture du Cirque parce qu’il n’avait pas les moyens de payer.

Et treize ans plus tard, Guy a fait un grand geste de loyauté lorsque je suis devenu président de TVA : il nous a octroyé les droits de télévision du Cirque du Soleil. Et cette loyauté-là, c’est ça qui, quatre ans plus tard, m’a amené ici. Parce que j’avais confiance en lui.

Je savais que c’était un être loyal et qui avait de belles valeurs.

Marie Turgeon: Et ça rejoint aussi votre action sociale, la loyauté envers les gens qui viennent voir les spectacles, toute la communauté en général. Donc c’est très intéressant. J’aimerais terminer avec une question sur la créativité et l’inspiration que nous poserons cette année à toutes les personnes qui vont nous accorder un entretien. J’aimerais savoir, Daniel Lamarre, qu’est-ce qui vous inspire en ce moment? Que ce soit au niveau musical, peinture, littérature, cinéma, ce qui vous aide, vous, à garder la tête hors de l’eau par les temps qui courent, qu’est-ce que c’est?

Daniel Lamarre: James Cameron est un être qui a eu une très, très grande influence sur moi parce qu’il a un succès monumental dans l’industrie du cinéma. Et c’est son humilité. Lorsqu’il est venu visiter les locaux de nos centres de création et de production à Montréal, il avait une curiosité intellectuelle incroyable.

Je pensais qu’il allait faire une visite rapide d’une heure. Il est resté avec nous pendant quatre heures. Il voulait tout savoir, il voulait tout comprendre, et cette curiosité intellectuelle m’a beaucoup influencé parce que je me dis : peu importe ce qui va m’arriver dans la vie, si je ne perds pas cette curiosité-là, ce désir d’apprendre, de découvrir... Parce que ça, selon moi, c’est à la base de la créativité.

Marie Turgeon: Oui, je suis tout à fait d’accord avec vous. Son cœur d’enfant aussi, hein? Quand on est curieux, on veut tout apprendre et on pose 8 000 questions. Vous avez bien raison.

Je vous remercie beaucoup. On pourrait continuer pendant des heures, mais je vais m’arrêter ici. J’aimerais que vous nous indiquiez, Daniel, où est-ce qu’on peut vous trouver en ligne?

Daniel Lamarre: Oui, absolument. Je vous invite à communiquer avec moi soit sur Instagram (daniellamarreflash) ou sur mon site Internet, DanielLamarre.ca. Et puis, s’il y en a qui veulent me rejoindre directement au Cirque du Soleil, c’est [email protected].

Marie Turgeon: Bon, alors on sait tout. Maintenant, on va pouvoir vous retracer facilement! Merci énormément. Merci de nous avoir accordé cet entretien, Daniel Lamarre. Merci pour toutes les étoiles que vous avez allumées dans les yeux des spectateurs et des spectatrices des quatre coins du globe pendant toutes ces années grâce aux créations du Cirque du Soleil. Plusieurs ont certainement à nouveau eu accès à leur cœur d’enfant. C’était un pur plaisir de converser avec vous, avec un leader aussi créatif. Merci, Daniel Lamarre.

Daniel Lamarre: Marie, merci beaucoup de m’avoir si gentiment guidé dans cette conversation. Merci.

Marie Turgeon: Merci. uOcourant vous est présenté par l’équipe des Relations avec les diplômés de l’Université d’Ottawa.

Il est produit par Rhéa Laube et est accompagné d’un thème musical créé par Idriss Lawal, un diplômé de chez nous. Cet épisode a été enregistré avec le soutien de Pop Up Podcasting à Ottawa, en Ontario.

Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire qui demeure non cédé.

Pour la transcription de cet épisode en anglais et en français et pour en savoir plus sur uOcourant, veuillez consulter la description de cet épisode.