Gwen Madiba :
Bienvenue à uOCourant, un balado informatif, inspirant et divertissant produit par l’Université d’Ottawa.
Bonjour, je suis Gwen Madiba, animatrice de l’émission et fière détentrice de deux diplômes de la Faculté des sciences sociales. Je suis aussi présidente de la fondation Equal Chance, un organisme sans but lucratif qui valorise les femmes et les communautés noires partout au pays.
Le but d’uOCourant est de vous faire connaître des chercheuses, chercheurs et diplômé(e)s à l’avant-garde de leur domaine et d’avoir avec eux des discussions stimulantes sur les sujets du moment.
Le thème de la cinquième saison de uOCourant est la curiosité. Comment nous pousse-t-elle à poser des questions, à explorer de nouveaux champs d’intérêt et à avancer vers l’inconnu? Nos extraordinaires diplômées et diplômés examineront ce que signifie la curiosité pour eux, ce qui en résulte, et comment ça met du piquant dans leur vie!
Nous sommes très enthousiastes à l’idée de lancer notre cinquième saison de uOCourant avec une première : nos invités sont deux membres de la communauté diplômée, Harley Finkelstein et Lindsay Taub, qui se sont rencontrés sur le campus et qui sont aujourd’hui mariés et les fiers parents de deux filles : Bayley et Zoe.
Harley Finkelstein est entrepreneur, avocat, et président de Shopify. Il a fondé sa première entreprise à l’âge de 17 ans, alors qu’il étudiait à McGill. Il a obtenu son baccalauréat en droit et son MBA à l’Université d’Ottawa, où il a cofondé l’Association étudiante JD-MBA et le Serment canadien du MBA.
Lauréat du prix Canadian Angel Investor of the Year, il a récemment été nommé au palmarès Top 40 Under 40 du Canada et fait membre de l’Ordre d’Ottawa. Il siège au conseil consultatif de Felicis Ventures en plus d’être l’un des dragons de l’émission Next Gen Den de la CBC. Harley Finkelstein a aussi été nommé diplômé de l’année 2021 par l’Association des diplômées et diplômés de l’Université d’Ottawa.
Lindsay Taub est une psychothérapeute œuvrant auprès des enfants et des familles. Elle travaille en santé mentale depuis 2006. Elle est titulaire d’un diplôme en psychologie de l’Université McGill, et d’une maîtrise en psychologie du counselling de l’Université d’Ottawa. Lindsay travaille actuellement à Child in Mind, une clinique de psychologie de l’enfance à Ottawa, où elle aide les enfants et leurs parents aux prises avec divers problèmes.
Elle siège aussi au conseil d’administration de Salus Ottawa, un organisme qui offre des services de soutien au logement et en santé mentale aux personnes vulnérables. Lindsay milite ardemment pour une plus grande sensibilisation aux questions de santé mentale, et est déterminée à mettre fin à la stigmatisation dont sont victimes les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
Bonjour Harley et Lindsay! Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. J’avais très hâte à cet épisode, car c’est la première fois que nous recevons un couple de diplômés à uOCourant.
Harley Finkelstein :
Merci de nous avoir invités. Ça nous fait plaisir d’être ici. C’est intéressant, parce que je suis souvent invité dans les balados, dans les médias, et c’est la même chose pour Lindsay, mais nous ne sommes jamais invités ensemble. C’est donc une expérience singulière pour nous. La cerise sur le gâteau, c’est de l’être ici, à l’Université d’Ottawa où nous nous sommes rencontrés quand nous étions étudiants.
Lindsay était aux études supérieures et moi j’étudiais en droit. C’est là qu’on s’est rencontrés. Notre relation est née à l’Université d’Ottawa, au marché By en fait, dans un café. Cet épisode est spécial pour nous.
Gwen Madiba :
C’est assez incroyable.
J’aimerais amorcer notre entretien par une question que nous poserons à tous nos invités et invitées cette saison. Qu’est-ce que la curiosité pour vous?
Lindsay Taub :
Pour moi, la curiosité c’est de poser des questions, mais c’est aussi d’avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour entendre les réponses à ces questions.
Je crois que beaucoup de gens se campent de plus en plus sur leurs positions au point de ne même pas pouvoir tolérer la perspective d’autrui si elle ne concorde par avec la leur. C’est dommage. Je crois que c’est une erreur. Je crois qu’il faut redécouvrir la curiosité et écouter ce que les autres ont à dire. Ce n’est pas en nous bornant à ce que nous croyons déjà que nous allons apprendre quoi que ce soit de nouveau.
C’est pour ça que je crois qu’il est important de m’entourer de personnes différentes de moi; nous avons tous vécu des expériences différentes, nous pensons différemment, nous avons des opinions différentes et nous voulons différentes choses. Au bout du compte, je crois qu’il est important de s’écouter les uns les autres. C’est ça la curiosité pour moi : être ouverte à divers points de vue.
Harley Finkelstein :
Lindsay m’entend souvent dire à nos – nous avons deux filles, Zoe, trois ans, et Bayley, six ans – Lindsay m’entend souvent le répéter dans plusieurs contextes : « Ta façon de faire une chose est ta façon de faire toutes les choses. »
Je suis d’accord avec ce que Lindsay a dit à propos de l’ouverture aux nouvelles opinions et aux nouvelles perspectives. En fait, je crois que la curiosité, elle et moi l’avons d’encodée dans notre ADN, mais elle se manifeste bien différemment chez nous deux.
Je complimente suffisamment ma femme, je n’ai donc pas besoin de le faire ici, mais son approche de la planification familiale, de ses activités philanthropiques et des organisations avec qui nous œuvrons... elle fouille en profondeur et tente de s’approprier chaque menu détail du sujet. Mais aussi, prenons quelque chose d’aussi simple que le dîner du samedi, avec les enfants. Nous réfléchissons au dîner, et pendant la pandémie, je suis devenu hyper intéressé par les yakitoris, une sorte de petite brochette japonaise. Ça a piqué ma curiosité et c’était un bon passe-temps pendant la pandémie. Je voulais comprendre le charbon, les temps de cuisson, la durée de trempage des brochettes de bois pour atteindre la densité optimale une fois qu’on les retire du grill...
Lindsay Taub : Tu as regardé beaucoup de vidéos.
Harley Finkelstein :
J’ai regardé beaucoup de vidéos, j’ai lu beaucoup de livres... en fait, un bon livre sur le sujet est Chicken and Charcoal. C’est le meilleur livre que j’ai trouvé au sujet des yakitoris. Je dis toujours que notre façon de faire une chose est notre façon de faire toutes les choses. On fait tout en profondeur, avec intention et curiosité. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne fait pas une grande variété de choses en surface; on s’en tient à une poignée de choses, mais on les fait avec une grande intensité, et ça, ce n’est pas pour tout le monde.
Certaines personnes préfèrent la polyvalence. Je crois que nous, en tant que famille et en tant que couple, nous aimons mieux l’hyperspécialisation. Même notre approche de la philanthropie suit ce principe. Prenez ce philanthrope extraordinaire, l’un des plus grands au monde selon moi : David Rubenstein. Il a écrit un livre sur les activités philanthropiques de sa famille et crée un ensemble de règles pour la philanthropie. Nous avons pris ces règles et avons trouvé un moyen de nous les approprier, d’en créer notre propre version de façon à pouvoir explorer quatre ou cinq projets avec intention, avec une profonde curiosité, plutôt que d’en explorer une trentaine, mais en surface.
Gwen Madiba :
C’est très intéressant.
Plus tôt, vous avez parlé de votre romance à l’Université d’Ottawa. Je dois applaudir le fait que vous vous êtes rencontrés à l’Université d’Ottawa et avez vécu, comme vous l’avez dit, une romance étudiante. J’aimerais bien entendre cette histoire.
Harley Finkelstein :
Nous allons chacun raconter notre version, parce que je ne pense pas qu’elles sont identiques.
Lindsay Taub :
Tu ne penses pas? Voyons voir... je vais commencer et tu me corrigeras si tes souvenirs sont différents. Harley et moi, on s’est rencontré lors d’un événement; c’était un événement pour les étudiants des cycles supérieurs, de droit et de médecine de l’Université d’Ottawa. On avait tous deux décidé d’y aller. C’était un événement de rencontre express. Aucun de nous n’avait vraiment d’expérience avec ce genre de rencontre ni même d’intérêt, mais on connaissait tous les deux l’organisatrice et on s’est dit, en tout cas je me suis dit : « Pourquoi pas? Je vais être ouverte d’esprit, je vais être curieuse, je vais l’essayer. »
J’y suis donc allée et j’y ai rencontré Harley. En fait, on s’était déjà rencontrés avant dans un autre contexte, mais on ne se connaissait pas. Nous avions des amis communs. Nos familles se connaissaient parce qu’on a grandi dans le même quartier de Montréal, mais nous, on ne se connaissait pas. On était tous les deux à cet événement de rencontre express. C’est à ce moment que la flamme s’est allumée.
Harley Finkelstein :
En fait, ce qu’elle ne dit pas, c’est que dans ce modèle de rencontre express, tu écris le nom de quelqu’un, et si cette personne écrit aussi ton nom, l’organisateur vous met en contact. Selon la logique, ou même la théorie de base de tout jeu, la chose la plus intelligente à faire est d’écrire le nom de tout le monde que tu as rencontré.
Lindsay Taub :
C’est ce que j’ai fait.
Harley Finkelstein :
Et moi aussi, parce que nous cherchons tous les deux constamment comment optimiser les choses. Comment exploiter les failles de cet événement? La meilleure façon de procéder dans la situation est simplement d’écrire le nom de tout le monde; de cette façon, tu sauras qui a écrit le tien. Ce qui était intrigant, c’est que Linsdsay était la seule personne avec qui je n’ai pas été mis en contact. Je me suis simplement dit que toutes ces autres personnes, toutes ces autres femmes en face de qui je me suis assis lors de l’événement, me trouvaient de leur goût. Toutes sauf Lindsay, qui était celle qui m’intéressait le plus.
Je lui ai donc envoyé un message quelques jours plus tard lui demandant essentiellement : « Euh... pourquoi ne m’as-tu pas choisi? » Ce qui s’est passé – en tout cas, c’est ce qu’on nous a dit – c’est que l’organisatrice avait fait quelques erreurs et que son système de mise en contact n’était pas précis ni optimisé. Je lui ai donc envoyé un message disant « Hé, faisons une sortie ensemble ». C’est--
Lindsay Taub :
Heureusement, tu ne t’es pas limité aux résultats que tu avais sous les yeux.
Harley Finkelstein :
J’étais curieux de savoir pourquoi on ne nous avait pas mis en contact. Je lui ai écrit et je lui ai proposé une sortie. C’était notre premier rendez-vous.
À l’époque, j’étais inscrit en droit et au MBA, et Lindsay à la maîtrise en psychothérapie. Tous les deux à l’Université d’Ottawa. Je terminais mon droit et je commençais mon MBA.
Cette année-là, je suis déménagé à Toronto pour y faire mon stage dans un cabinet d’avocats. On n’était pas trop certain de la tournure que ça allait prendre, parce qu’on était un nouveau couple et que je déménageais. On n’était pas trop friands des relations à distance, mais au bout du compte, Lindsay venait me voir assez souvent à Toronto. En 2009, on a décidé de revenir à Ottawa. À ce moment-là Lindsay était à Montréal, et moi à Toronto. On s’est installés à Ottawa au début de 2010. On habite là depuis.
Gwen Madiba :
J’adore votre histoire d’amour. Elle témoigne de persévérance. C’est un exemple de quelqu’un qui s’est lancé, malgré un refus, et qui savait ce qu’il voulait. Tu t’es lancé, c’est incroyable.
Lindsay, tu exerces la profession de thérapeute auprès d’enfants et de familles à Ottawa. Tu sièges aussi au conseil d’administration de Salus Ottawa, un organisme qui offre des services de soutien au logement et en santé mentale aux personnes vulnérables.
Harley, je sais que tu fais activement la promotion de la santé mentale dans ton propre travail en tant que président de Shopify.
À l’Université d’Ottawa, c’est un sujet qui nous tient à cœur, parce que nous voulons favoriser le bien-être de nos étudiantes et étudiants.
Je crois aussi que dans ce domaine, la curiosité peut aider à aborder les questions difficiles, à aller chercher de l’aide et à explorer des pratiques qui favorisent le bien-être. Je voulais vous donner la chance de vous exprimer à ce sujet.
Lindsay Taub :
Comme tu l’as dit, je travaille en santé mentale. C’est très important de faire attention à notre santé mentale. Je crois que c’est une dimension de la santé qui a été longtemps négligée. Maintenant, on en parle plus que jamais.
Merci Harley d’en parler au travail. C’est certain que nous, on en parle tout le temps, parce que je travaille dans ce domaine-là. Mais ailleurs? On n’en parle pas autant. Mais je crois que c’est en train de changer, et c’est tant mieux.
Je crois qu’on doit se soucier de notre santé mentale et en prendre soin de la même façon qu’on se soucie de notre santé physique. Il faut remarquer quand on ne se sent pas bien, quand on se sent fatigué, quand on se sent triste ou quand on se sent anxieux; ce sont des états normaux.
Parfois, ça nous met la puce à l’oreille que quelque chose cloche dans notre vie, et ça nous donne la motivation de changer quelques trucs. Même quand tout va bien, c’est super important de le remarquer. Ça nous aide à comprendre ce dont on a besoin et à bien prendre soin de nous.
Harley Finkelstein :
C’est intéressant parce que comme l’a dit Lindsay, dans son domaine, c’est normal de parler de santé mentale. Tu parles de comment tu te sens. Te sens-tu anxieux ou te sens-tu déprimé? Te sens-tu bien?
Dans mon domaine, l’entrepreneuriat, que ce soit à la tête d’une grande entreprise comme Shopify ou simplement à titre d’entrepreneur comme lorsque j’étais plus jeune, on tend à refouler ces émotions-là. En fait, je dirais qu’historiquement, que ce soit dans l’entrepreneuriat, le monde des affaires ou simplement le capitalisme, la vulnérabilité émotionnelle est perçue comme un signe de faiblesse.
Si cette personne n’a pas la tête bien vissée sur les épaules, elle n’a pas toute sa tête, et si elle n’a pas toute sa tête, eh bien elle n’a pas ce qu’il faut pour réussir en affaires. Franchement, je crois que c’est n’importe quoi. Je ne crois pas que ce soit vrai, mais c’est une idée qui circulait dans le monde des affaires et dans les cercles entrepreneuriaux. Ce n’est plus le cas.
Je crois que la raison pour laquelle moi-même et beaucoup d’autres personnes du monde des affaires parlons ouvertement de nos émotions, c’est que la vulnérabilité est maintenant perçue comme une force. Être vulnérable, c’est comprendre ce qui nous fait tiquer.
C’est comprendre comment devenir la meilleure version de soi-même, et c’est aussi savoir comment se créer une boîte d’outil pour les moments où ça ne va pas bien, parce que ces moments font partie de la vie, du travail et des relations.
Pour ma part, c’est l’anxiété. Je sais que chaque matin, je dois commencer ma journée sur cette chaise, juste là, et méditer. C’est très simple.
Habituellement, je me contente d’exercices de respiration. J’utilise Insight Timer, et je respire par moi-même, en comptant mes respirations pendant une dizaine de minutes. C’est ce qui fonctionne pour moi, ce qui me permet d’être au sommet de ma forme. Je sais que je dois aller jogger. Que je dois aller marcher avec le chien. Que je dois passer la fin de semaine avec ma famille pour être frais et dispo le lundi.
Personne ne parlait de ces choses-là. Quand je regarde la génération actuelle d’entrepreneures et d’entrepreneurs, la frontière entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle est beaucoup plus floue; ce n’est plus « ici je suis au travail, et ici je suis à la maison ». Il y a des avantages et des désavantages à ça. Tout est mélangé, et lorsqu’on mélange sa vie personnelle et sa vie professionnelle, si on ne se sent pas bien à la maison, on ne se sentira probablement pas très compétent au travail.
Quand on travaille sur sa santé mentale, on ne devient pas juste un meilleur père ou un meilleur mari : ça peut aussi souvent faire de nous un meilleur entrepreneur. Ramener cette discussion au premier plan afin qu’elle intègre le « zeitgeist », je crois que c’est très sain. C’est une bonne façon d’agir pour les dirigeantes et dirigeants d’entreprise.
Lindsay Taub :
Tu as mentionné la vulnérabilité. Je crois que la vulnérabilité a déjà été associée à la faiblesse. Je ne crois vraiment pas que... je crois que c’est en train de changer. Je crois qu’une personne qui se montre vulnérable est maintenant perçue comme étant forte et brave. Je crois que de reconnaître notre vulnérabilité peut nous rendre plus forts à long terme.
Gwen Madiba :
Lindsay, Harley nous a expliqué comment il se crée un havre de paix et prend soin de sa santé mentale. Peux-tu nous partager tes propres trucs? Après tout, c’est ton domaine. Tu prends toujours soin des autres au travail et à la maison. Comment prends-tu soin de toi?
Lindsay Taub :
Eh bien, je crois que pour moi, le principal, c’est de savoir où fixer mes limites et d’être capable de dire non lorsque quelque chose n’est pas dans mon intérêt. Supposons que je suis sortie hier soir, et que ce soir, je suis trop fatiguée et je ne veux pas sortir de nouveau... j’ai appris à – et je ne parle que de moi ici – j’ai appris à ne pas avoir peur de décevoir les gens parce que je dois prendre soin de moi.
Ça arrive que mes limites déçoivent un peu les gens, mais je sais que je le fais pour moi, alors c’est correct. Je cherche des façons de me fixer des limites afin de rester authentique et fidèle à mes besoins. Ça m’aide à prendre soin de moi.
Gwen Madiba :
Merci Lindsay pour ton travail important à Salus Ottawa, et à vous deux pour votre détermination à mettre la santé mentale de l’avant et pour votre leadership dans ce domaine.
Je sais que nos auditeurs et auditrices sont curieux à propos de Harley, le président de Shopify. Des millions d’entrepreneures et d’entrepreneurs de partout dans le monde utilisent la plateforme de commerce Shopify pour lancer et faire croître leur entreprise.
Toute qu’une progression en dix ans. Dire qu’à l’époque, le fondateur Tobias Lütke ne trouvait simplement pas de plateforme de commerce en ligne pour vendre ses planches à neige.
Harley, tu as un point de vue incroyable sur la progression de l’entreprise : tu es arrivé à Shopify en 2010 et tu as joué un rôle clé dans sa transformation en véritable Goliath mondial du commerce en ligne.
Quelles leçons tires-tu de tout ça et qu’est-ce qui t’enthousiasme le plus dans l’avenir du commerce de détail?
Harley Finkelstein :
Je vais commencer par la deuxième partie de la question parce que c’est plus facile à décrire. Je crois qu’en ce moment, à la fin de l’été 2022, environ 10 % de tout le commerce électronique au Canada et aux États-Unis se fait au moyen de Shopify. C’est énorme.
Nous avons des millions de magasins. Petit message aux auditeurs et auditrices : si vous achetez quelque chose en ligne sans transiger directement avec un particulier et que votre expérience est extraordinaire, il y a de bonnes chances que ce soit grâce à Shopify.
Nous avons simplifié l’accès à l’entrepreneuriat et au commerce de détail. La plupart des gens ne se lèvent pas le matin en disant : « Tu sais quoi? Je vais me lancer en affaires aujourd’hui. » Je trouve ça dommage. Ces personnes croient que lancer une entreprise, c’est épeurant, ça coûte cher et c’est complexe. Et donc, ce qui m’anime le plus chez Shopify pour les dix prochaines années, c’est de convaincre ces personnes de faire le saut et de se lancer en affaires.
Il n’y a pas meilleur exemple que Lindsay. Pendant une certaine période, elle a décidé de devenir entrepreneure. C’était en 2016, je crois, quand nous avons eu Bayley.
Lindsay Taub :
Exactement.
Harley Finkelstein :
On prenait des marches dans le quartier, ici à Ottawa, sur l’avenue Beechwood. Bayley est née en juin. C’était l’été. On marchait avec Bayley dans la poussette, et on se plaignait qu’il n’y avait aucune crèmerie dans le quartier.
Ça aurait été plaisant de manger une crème glacée durant nos soirées d’été, mais il n’y en avait pas. Avec un peu, disons, d’influence de ma part, mais honnêtement, beaucoup plus d’elle-même, Lindsay m’a dit : « Tu sais quoi? Je vais régler ce problème moi-même. Je vais bâtir une crèmerie. »
Elle l’a fait. Elle l’a appelé « Sundae School ». Ça a duré trois ans, jusqu’à la pandémie. Elle a ensuite décidé de retourner à la psychothérapie.
Cette façon de voir un problème et de vouloir le régler en lançant une entreprise, c’est impressionnant. Ces gens qui lancent des entreprises et qui vont au bout de leurs passions rendent le monde meilleur. Pensez à tous les gens qui ont des passe-temps intéressants. Ils font des bijoux pour leur famille, la meilleure soupe au poulet pour leurs voisins, ou peu importe quoi d’autre.
Ce n’est pas tout le monde qui devrait transformer son passe-temps en entreprise, mais pour certaines personnes, ce passe-temps est peut-être l’œuvre d’une vie, et d’autres seront prêts à leur acheter.
À cause de cette idée que ce n’est pas tout le monde qui est né pour être entrepreneure ou entrepreneur, trop de gens ont peur de se lancer. Ce que j’espère pour Shopify, c’est que nous allons non seulement continuer d’ajouter des magasins à notre plateforme, les aider avec l’expédition, avec le capital et avec les paiements, mais aussi, à plus large échelle, convaincre davantage de gens de se lancer en affaires.
Mon opinion, et je crois que c’est aussi celle de Lindsay, c’est que l’entrepreneuriat est la meilleure voie vers l’autoactualisation et la meilleure façon d’atteindre sa propre version de la réussite.
Si l’on revient à la première partie de la question, à propos de mon parcours chez Shopify, je crois qu’il faut comprendre à quelle étape on est rendu et à quelle étape l’entreprise est rendue.
À mes premières années chez Shopify, j’étais essentiellement un couteau suisse. J’étais le concierge, le directeur des ventes... j’ai même aidé à la conception de campagnes publicitaires. J’ai facilité de nombreux programmes de partenariat dans l’App Store. Dans les débuts d’une entreprise, personne ne fait qu’une seule chose, que ce soit le PDG ou le dernier rentré.
Ton travail, c’est de créer le plus de valeur possible. C’est tout! Si le plancher est sale... il y a une photo quasi mythique qui circule dans l’entreprise. Elle a été prise en 2010 et on m’y voit vadrouiller les planchers de Shopify. Ce n’est pas parce que j’excellais à cette tâche. Je ne pense même pas que j’étais bon. Mais les planchers étaient sales et quelqu’un devait prendre la vadrouille et les laver. C’est tout.
À ce moment précis, c’était la meilleure façon de créer de la valeur. Au tout début de la vie d’une entreprise, il faut déterminer la meilleure façon de créer de la valeur et de se rendre indispensable.
Au fur et à mesure que l’entreprise prend de l’ampleur... et je crois que nous sommes la septième ou huitième société au Canada et que, pendant la pandémie, nous étions même premiers au chapitre de la capitalisation boursière. Nous avons 10 000 employés dans beaucoup de pays. Nous sommes de loin le plus grand joueur dans notre créneau du secteur mondial du commerce de détail. Donc au fur et à mesure que l’entreprise prend de l’ampleur, tu affines tes compétences et tu te demandes « dans quoi suis-je vraiment, vraiment bon? » Moi, c’est la narration. Il n’y a rien que j’aime plus faire que de raconter une histoire. J’ai trouvé les sphères de Shopify où je pouvais mettre ce talent à profit pour créer un maximum de valeur et obtenir un bon retour sur le temps investi en m’assurant que quiconque dans le monde pense entrepreneuriat pense immédiatement à Shopify.
J’ai donc deux conseils à donner aux auditeurs et auditrices concernant les différents stades d’une entreprise : si vous vous demandez comment devenir important pour votre entreprise en démarrage, alors faites tout ce qui est en votre pouvoir pour y créer de la valeur. Au fur et à mesure que l’entreprise grandit, trouvez votre superpouvoir et mettez de l’énergie à le perfectionner plutôt qu’à éliminer vos faiblesses.
Je pense que dans la plupart des entreprises, les dirigeantes et dirigeants deviennent des pierres rondes avec le temps. Quand on met une pierre pointue dans une rivière, elle va finir par se polir et devenir ronde avec le temps. Ça donne de superbes galets bien ronds, mais sans particularité. La plupart des dirigeantes et dirigeants de Shopify ne sont pas des galets bien ronds. Nous avons chacun une ou deux spécialités pointues. Nos faiblesses, on les comble par l’embauche. On va chercher des gens qui sont meilleurs que nous pour faire ces choses.
Ça m’amène à un dernier point, qui est que j’ai une assez bonne conscience de soi pour savoir reconnaître mes forces. Je veux donc améliorer ces forces, mais toutes les autres choses seront probablement mieux accomplies par quelqu’un d’autre. Ça prend une bonne conscience de soi pour reconnaître qu’il vaudrait mieux trouver des personnes meilleures, ou plus intelligentes, que soi.
J’embauche ces personnes meilleures et plus intelligentes que moi. C’est difficile, et ça l’est encore plus pour les jeunes entrepreneurs qui, comme moi à l’époque, combinent un sentiment d’insécurité et un ego surdimensionné. Être capable de piler sur son orgueil, c’est vraiment important. C’est ce qui permet de réaliser l’œuvre d’une vie et de bâtir des entreprises qui deviennent des multinationales valant des milliards de dollars comme Shopify.
Gwen Madiba :
C’est bon à savoir, et j’espère que tout le monde comprend que c’est correct d’aller chercher de l’aide et de poser des questions quand on ne sait pas quelque chose.
Restons un peu sur le sujet de l’entrepreneuriat. Je dois avouer que pour vous deux, l’entrepreneuriat semble vraiment faire partie de votre culture familiale. Harley, tu as commencé jeune avec une entreprise de T-shirts, et Lindsay, comme Harley l’a mentionné, tu as fondé la crèmerie Sundae School à Ottawa.
Vous avez récemment publié sur Instagram une vidéo de vos deux filles installées à leur kiosque de limonade sous laquelle tu as écrit « mes petites entrepreneures ». Quelle place l’esprit entrepreneurial occupe-t-il dans votre vie familiale? Je suis convaincue qu’il y a beaucoup de parallèles à tracer entre l’esprit entrepreneurial et la curiosité.
Lindsay Taub :
Pour ma part, j’essaie d’encourager mes filles à être très indépendantes. Je veux les voir faire des choses par elles-mêmes. Si nous sommes quelque part en public, le restaurant est un bon exemple, j’essaie de les encourager à commander leur propre repas parce que je veux qu’elles vivent l’interaction avec le serveur. Je ne veux pas qu’elles se sentent intimidées par les adultes. Je veux qu’elles soient capables de demander ce dont elles ont besoin et de poser des questions.
Harley Finkelstein :
Elle parle de Zoe, qui a trois ans. Une fillette de trois ans qui décide ce qu’elle veut manger et qui commande son repas elle-même. Ça peut sembler banal, mais c’est énorme.
Lindsay Taub :
Je le fais parce que je sais qu’elles en sont capables. Mes filles sont très extraverties de nature. Ce n’est pas comme si je les poussais à aller contre leur nature; elles m’ont déjà prouvé qu’elles sont capables de faire ces choses. Ce que j’essaie de faire, c’est de remarquer ce qu’elles tendent déjà à faire et de les encourager à aller plus loin dans cette direction, de prendre des risques. Je ne leur demanderai jamais de faire quelque chose de trop extrême, mais je les pousse un peu plus loin dans les limites de leurs capacités.
J’essaie aussi de les exposer au plus grand nombre de possibilités possible, parce que je veux qu’elles sachent tout qui s’offrent à elles pour être en mesure de choisir ce qu’elles veulent faire. Ce n’est pas comme si je leur disais « vous devez devenir entrepreneures », mais je les encourage à prendre leurs propres décisions, à découvrir ce qu’elles aiment et ce qui les passionne.
Harley Finkelstein :
J’ai l’impression que quand on pense entrepreneuriat, on pense souvent à la création d’entreprises, mais en fait, c’est aussi une attitude à adopter, tout simplement. L’idée d’optimiser, d’être très efficace. De ne pas attendre son tour, mais d’aller de l’avant. Il y a tout un tas d’images et de métaphores pour illustrer le mode de vie entrepreneurial.
Lindsay Taub :
Savoir se vendre, savoir ce qu’on a à offrir, bien connaître sa marque personnelle. Évidemment, je ne parle pas de marque personnelle à ma fille de trois ans, mais... on va y arriver.
Harley Finkelstein :
Pour qu’elle trouve sa façon de faire les choses, sa vision entrepreneuriale. J’ai simplement l’impression que c’est mieux d’aborder la vie ainsi, et si on remonte à l’université, je ne pense pas que Lindsay et moi avons eu la même expérience. J’ai fait des études en droit sans avoir l’intention de devenir avocat. Je n’avais pas l’intention de travailler dans le domaine juridique. J’ai fait mon MBA sans l’intention d’aller travailler dans une grosse boîte ou une mégaentreprise.
J’ai étudié le droit pour gagner des compétences : écriture, lecture, pensée critique, art du débat, analyse argumentative... Je me suis dirigé vers le monde des affaires et j’ai fait mon MBA à l’Université d’Ottawa pour aller chercher des compétences, comme savoir décortiquer des bilans financiers ou l’état des résultats. J’ai pu comprendre la finance d’entreprise et la comptabilité de gestion. Je croyais au sens de ce que je faisais. Je versais de l’argent à l’Université d’Ottawa par mes frais de scolarité et, en retour, je gagnais des compétences.
Je ne suis pas en train de dire que tous nos auditeurs et auditrices devraient arrêter de s’en faire avec leurs notes. Simplement, pour moi, ce n’était pas le plus important. Je voulais optimiser mes apprentissages en fonction de mes propres objectifs. Qu’est-ce que je peux aller chercher à l’école? Combien de compétences est-ce que je peux acquérir? Combien de nouveaux contacts est-ce que je peux me faire?
J’ai un excellent lien avec Jay Hennick, c’est un de nos grands entrepreneurs canadiens. Je l’ai rencontré à l’Université d’Ottawa. Il était dans les premiers à faire le programme double droit et MBA. Même chose pour Perry Dellelce et pour Calin Rovinescu, qui est chancelier de l’Université d’Ottawa.
Ma vision de l’éducation allait donc comme suit : je vous paie, vous, l’Université. Vous me devez donc maintenant quelque chose, que vous allez me redonner sous forme d’une belle multitude de compétences, de savoirs et de rencontres. C’est à moi, l’étudiant, de découvrir comment aller les chercher.
J’aime vraiment aborder la vie comme ça. Si on revient aux yakitoris, oui, c’est plus simple et plus rapide de faire griller la viande sur un barbecue au propane, mais je veux comprendre ce qui se passe. Je veux avoir une autre approche. Je veux que mes enfants prennent plaisir à voir le tout se dérouler. La curiosité prime.
Comme famille, on adopte l’esprit entrepreneurial dans tout ou presque, même si l’idée n’est pas de démarrer une entreprise.
Même si on n’est pas dans une optique capitaliste, ça caractérise notre manière d’agir. Ça va jusqu’aux personnes qui nous entourent, on est sélectifs. Il y a des gens qui nous insufflent de l’énergie et d’autres, qui nous en prennent. On entend souvent parler de « ceux qui donnent de l’énergie » et de « ceux qui sucent notre énergie ».
On veut passer du temps avec des personnes qui nous donnent de l’énergie, qui nous inspirent, nous font nous remettre en question, qui nous poussent à croître. Avec les personnes qui nous tirent de l’énergie, on reste polis, mais on se retire.
Je pense que l’esprit entrepreneurial propulse non seulement nos vies et nos carrières, mais aussi notre cheminement personnel dans son ensemble.
Lindsay Taub :
En t’écoutant, je ne peux pas m’empêcher de penser à un concept en psychologie. C’est important pour moi de faire comprendre à nos enfants comment avoir une source de détermination interne plutôt qu’externe. Lorsqu’elle est externe, on remet la faute de ce qui nous dérange à tout ce qui nous entoure. Du genre, « c’est arrivé parce qu’un tel n’a pas fait telle chose », ou « je suis juste malchanceuse », etc.
Je pense que lorsqu’on a une source de détermination interne, on reprend le contrôle, on sent que notre avenir est entre nos mains. Si on n’a pas croisé la personne qu’il faut, soit. Comment y arriver? Comment placer les pièces du casse-tête pour me donner les bonnes occasions de la rencontrer? Comment ramener ça à soi, et à ce qu’on est en mesure de contrôler?
Évidemment, beaucoup de choses sont indépendantes de notre volonté et on doit l’accepter, mais il y a aussi beaucoup de façons d’agir. Je veux que mes enfants ressentent cette autonomie et sachent faire la part entre ce qu’elles peuvent ou non contrôler.
Gwen Madiba :
Linsday, Harley, tant de belles connaissances et perles de sagesse que vous nous offrez aujourd’hui. Un grand merci, vous m’en avez beaucoup appris et je suis certaine que nos auditeurs et auditrices partagent mes impressions.
Et maintenant, place à deux questions spéciales, de la part de deux entrepreneurs de notre programme de Garage Démarrage. Ce sont les cofondateurs d’un commerce en ligne, Unique America.
Amaan Merali a récemment obtenu son diplôme de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa et Jamal Abdullah a obtenu un baccalauréat en ingénierie à l’Université Carleton.
Jamal et Amaan, merci d’être à uOCourant avec nous aujourd’hui.
Jamal Abdullah :
Bonjour, Lindsay, Harley. Nous sommes vraiment heureux, Amaan et moi, de faire votre connaissance.
Donc on a une question pour Harley, et ensuite une autre qui s’adresse à vous deux.
Tout d’abord, toutes nos félicitations, Harley, pour Shopify, pour votre leadership comme président, et la création de votre nouvelle marque Firebelly Tea. J’ai suivi avec intérêt le parcours de Firebelly Tea depuis ses débuts pendant la COVID, en fait. C’est vraiment inspirant de voir le président d’une énorme entreprise comme Spotify se retrousser les manches et plonger, comme les jeunes entrepreneurs que nous sommes, pour créer une nouvelle marque. C’est prêcher par l’exemple, vraiment.
On serait bien curieux d’avoir votre avis. Amaan et moi, on écoutait votre entrevue avec Noah Callahan-Bever. Vous avez dit quelque chose qui nous a beaucoup parlé. Vous disiez que l’entrepreneuriat est le meilleur outil pour arriver à s’accomplir comme on le désire. Comme vous, l’un des gros facteurs de notre saut vers l’entrepreneuriat, c’était de pouvoir subvenir aux besoins de notre famille.
J’ai immigré de l’Égypte, en fait, ma famille y est toujours. Et je veux pouvoir les soutenir financièrement d’où que je sois sur la planète.
Donc Amaan et moi, après avoir eu une entreprise de peinture, on a décidé de se lancer dans le commerce électronique en 2021.
En quelques mots, notre modèle d’affaires est axé sur la détection des tendances du commerce en ligne, pour analyser les produits en demande puis les vendre, toujours avec l’objectif de bâtir une marque cohérente.
On touche actuellement 2 millions de dollars en ventes annuelles, et on vise, à terme, une valorisation de 100 millions. Bon, on sait que le commerce en ligne s’est beaucoup transformé depuis les deux dernières années, et qu’il est en évolution constante.
Quelles sont les questions qu’on devrait se poser si on est dans l’industrie, pour continuer dans la bonne direction et s’adapter?
Harley Finkelstein :
Déjà, un chiffre d’affaires de 2 millions par année, c’est incroyable.
Souvent, quand on écoute des balados comme celle de Noah, Idea Generation, l’un des meilleurs balados au monde d’ailleurs, c’est un bon exercice d’humilité. Si je me souviens bien, j’étais dans le premier épisode et Dwyane Wade suivait dans le deuxième, il me semble. C’était incroyable de pouvoir servir de prélude à cet athlète incroyable, un leader de feu.
Mais je crois que globalement, comme société, on glorifie l’entrepreneuriat. Dans certains cas, comme je mentionnais plus tôt, c’est bien parce que ça permet à plus de gens de s’y intéresser. Mais on parle rarement du fait que la plupart des entreprises font faillite.
Ce qui est génial, si on fonde une entreprise, c’est qu’aujourd’hui, en 2022, ça n’a jamais été aussi peu coûteux de faire faillite, on s’approche du zéro. Ce n’était pas le cas avant 2015.
Si on essaie quelque chose sans succès, on passe au suivant. Comme Ben Francis avec Gymshark. Il était dans la vente de pizzas, s’est rendu compte qu’il n’allait nulle part avec ça, et a fini par créer Gymshark, aujourd’hui une entreprise évaluée à plusieurs milliards de dollars qui rivalise avec Nike. C’est lui qui gère l’entreprise depuis le début.
Alors d’avoir fondé une entreprise qui génère deux millions de dollars par année c’est incroyable, déjà, un gros bravo juste pour ça. Il y a quelques points qui seraient pertinents à aborder, je crois. Premièrement, vous avez mentionné le commerce en ligne quelques fois en posant votre question.
Selon moi, l’avenir de la vente au détail, du commerce et des affaires ne risque pas d’être défini par des canaux de vente en silo. J’arrêterais tout de suite d’utiliser le « en ligne ».
Firebelly, la petite entreprise de vente de thé dont je suis propriétaire avec David Segal, a été conçue par passion, avec beaucoup d’amour. David, on le sait, est le fondateur de DavidsTea. Il m’a initié au thé et je me suis dit que le café l’après-midi, c’était fini. On a bâti l’entreprise, mais jamais en la concevant comme une entreprise de commerce en ligne.
On s’est concentré sur la marque, et la vente en ligne s’avère être le moyen le plus efficace et efficient d’atteindre un marché international, alors on s’appuie là-dessus. On vend aussi sur Instagram, sur Facebook. On pourrait bien décider de vendre en boutique un jour, ou en gros. C’est en partie pourquoi Spotify est en train de se déployer sur ces plateformes : la vente directe en gros aux entreprises, la vente sur Snapchat ou TikTok, les boutiques... On déploie maintenant nos services en boutique partout dans le monde parce qu’on est convaincus qu’à l’avenir, on ne distinguera plus les canaux de vente. On sera dans une modalité multicanale, en permanence.
En ce moment, on dit « omnicanal » pour parler du fait qu’on se sert de plusieurs canaux de vente. Dans les prochaines années, j’ai l’impression que ça va devenir un peu comme parler de « télé couleur » : on n’utilise plus ce terme parce que ça fait maintenant partie de la définition d’une télévision. Même chose pour la vente omnicanale : tout le monde va vendre partout. L’approche de vente, le lieu de vente, tout ça ne découlera pas du modèle d’affaires, mais des besoins de la clientèle.
Il se pourrait que les clients de Firebelly demandent de pouvoir goûter un thé avant d’acheter. Un peu comme ce que David a fait avec les 300 boutiques, si je me souviens bien, de DavidsTea. Si la demande nous dirige là, on va le faire. C’est aussi comme ça que j’aurais tendance à concevoir l’entreprise : ne vous souciez pas trop du canal de vente. Attardez-vous plutôt aux besoins de votre clientèle.
Le deuxième point, ce n’est pas quelque chose que vous m’avez demandé, mais je vais en parler quand même parce que c’est important selon moi. Vous dites que votre entreprise touche 2 millions de dollars par année et que vous aimeriez avoir une valeur de sortie de 100 millions. C’est incroyable. Par contre, ce que je vous dirais, c’est que ça pourrait peut-être vous empêcher de bâtir quelque chose d’encore plus gros, plus durable, avec un impact beaucoup plus fort à l’échelle internationale. Plusieurs fois dans le parcours de Shopify, on a essayé de nous acquérir. Des grosses entreprises nous approchaient avec des offres de 10 millions, 50 millions, 100 millions... même deux milliards de dollars.
On a gardé le cap. On n’a même pas rencontré les acheteurs potentiels parce qu’à la base, ce qu’on veut, c’est être une entreprise internationale indépendante et cotée en bourse. C’est bien de discuter avec les investisseurs de la valeur de sortie potentielle.
Si vous allez sur harleyf.com/startups, vous verrez la liste des 30 ou 40 entreprises dans lesquelles Lindsay et moi avons personnellement investi, comme investisseurs providentiels. On les adore, on veut avoir un plan de sortie éventuellement si c’est possible, mais on ne voudrait jamais les limiter dans leur parcours juste parce qu’elles se sont fixé un certain montant de valeur de sortie.
Si vous le faites, comme vous le dites (et j’y crois!) pour votre famille, pour pouvoir les soutenir comme immigrants... Mon père était immigrant. Je comprends ce que ça représente bien mieux que la plupart des gens nés ici. L’idée de la survie, d’être capable de subvenir aux besoins de sa famille, est primordiale.
Ne vous limitez pas. N’allez pas dans l’excès de prudence. Parce qu’en fait, vous pourriez peut-être bâtir quelque chose d’encore plus gros qui non seulement aide votre famille et vos enfants, mais qui soutient vos proches sur plusieurs générations. C’est incroyable.
Je suis en train de lire Distilled, par Charles Bronfman, en ce moment. Le père de l’auteur, Sam Bronfman, est probablement l’entrepreneur canadien le plus important de l’histoire du pays. Je veux dire, c’est l’homme derrière Seagram. Surtout, c’est lui qui a fait du Canada un pôle international.
Un point mentionné par Charles, son fils, dans son livre, c’est que son père ne l’a jamais limité. Il n’a pas mis de balises dans ses projets. Si on commence un projet, on ne devrait pas se fixer de plafond. Si vous finissez par vendre votre entreprise pour 100 millions de dollars, ce serait extraordinaire. Je veux dire, 100 millions, c’est plus d’argent que la plupart des gens verront ou feront au cours de leur vie, partout dans le monde. Si, en bout de compte, c’est une entreprise d’une valeur de plusieurs milliards, ou encore une entreprise qui, au lieu de se faire acheter, fait l’acquisition d’autres entreprises, encore mieux. Ça serait mon commentaire sur l’idée de fixer un plafond au succès.
Jamal Abdullah :
C’est précieux. Vraiment. Un grand merci. Merci beaucoup. C’est la réponse que je voulais. C’est par là qu’on doit aller. Merci.
Harley Finkelstein :
J’ai de la jasette, vous ne faites que m’encourager.
Jamal Abdullah :
Excellent. Excellent. Ok. Notre prochaine question s’adresse à vous deux, comme couple.
Dans notre monde d’aujourd’hui, où tout est connecté, c’est facile de brouiller les frontières entre le travail et la vie personnelle, et de ne jamais vraiment arrêter de travailler sur ce qui nous passionne. Vous qui êtes si accomplis professionnellement, comment faites-vous, comme couple, pour garder du temps pour vos proches?
Lindsay Taub :
C’est une de mes priorités. J’adore mon travail, et j’y ai absolument consacré plus d’heures que je ne l’aurais cru, mais toujours avec grand bonheur parce que j’ai beaucoup de plaisir, ça m’apporte beaucoup.
Avant, j’ai eu des emplois où je ne faisais que compter les minutes avant que la journée ne se termine. Ce n’est vraiment pas le cas actuellement. J’adore la thérapie, j’aime aider les gens. J’adore mon travail.
C’est aussi une de mes grandes priorités de passer du temps avec ma famille. Il y a certaines journées ou heures à mon calendrier qui sont bloquées. Je ne vois jamais de patients pendant ce temps, je ne travaille pas. Pas de courriels, pas de conférences, rien, parce que ce temps-là est aussi très précieux, et quand je regarde ma vie avec du recul, le travail, ce n’est qu’une tranche de qui je suis. Ça fait partie de mon identité, mais ce n’est pas mon identité à part entière. Je suis aussi une épouse, une mère, une amie.
J’ai des passe-temps qui m’occupent. J’aime faire de l’activité physique, aller promener mon chien. Je fais différentes choses, et elles semblent peut-être banales, mais la promenade avec mon chien me tient vraiment à cœur. Je veux pouvoir me libérer l’esprit, profiter des belles journées.
On vit au Canada, les hivers sont longs, alors quand il fait beau, je veux en profiter. J’approche aussi les choses de façon attentionnée. Quand je passe du temps avec ma famille, ou mon chien, ou que je fais quelque chose que j’aime, comme cuisiner, je suis consciente du temps que je suis en train d’y consacrer et j’y dirige toute mon attention. Je me dis que je suis vraiment reconnaissante de pouvoir passer ce temps-là. C’est mon approche. J’en fais une priorité et je reste dans l’instant présent.
Harley Finkelstein :
Un des éléments cruciaux, c’est qu’il faut absolument savoir établir ses priorités de façon impeccable, savoir organiser son horaire. Sans blague, dans mon agenda j’ai littéralement Promener le chien, Entraînement, Yoga, Méditation, Famille, même les fins de semaine, et je suis certain que Lindsay, assurément, et nos amis aussi, trouvent ça agaçant de recevoir des invitations dans leur calendrier pour des événements dans, disons, six ou huit semaines, mais c’est la seule façon pour moi d’y arriver.
Que j’arrive à être le meilleur président possible pour Shopify, et aussi à être un bon mari, un bon père et un bon ami. En ce moment, on est en train de bâtir une synagogue, le Finkelstein Chabad Jewish Centre, à Ottawa, dans Côte-de-Sable. Pour faire tout ce qui nous importe, des choses vraiment chouettes et excitantes, qu’on ne ressent pas comme une tâche lourde – on n’a pas l’impression que c’est du travail, mais ça reste important dans nos vies – pour faire ça, le seul moyen d’y arriver c’est de savoir trier ses priorités.
Je trouve qu’utiliser un agenda fait toute la différence, même si ça a l’air un peu idiot d’indiquer, quoi, Promenade du chien avec Lindsay, mais c’est notre seul moyen d’orienter notre vie comme on le souhaite. Ce n’est pas pour tout le monde. Il y en a qui veulent garder leurs samedis libres. Mais ce n’est pas nous, comme famille, comme couple. On est toujours bien occupés et on est reconnaissants de ça. C’est la vie qu’on a choisie.
Lindsay Taub :
Je regarde notre calendrier dans son ensemble en fait, et si je vois qu’on a deux soirées de réservées deux jours de suite, ensuite le plan c’est : on ne fait rien la troisième journée. Peu importe ce que c’est; je sais que je ne serai pas capable d’en tirer quelque chose, juste côté charge mentale et sensorielle. Je suis consciente de mes besoins, et que je ne peux pas être occupée 7 jours sur 7. Donc, oui, même si tout est prévu au calendrier, le temps libre fait lui aussi partie de notre planification.
Jamal Abdullah :
Fantastique. Je retiens deux grands thèmes que ce que vous avez dit tous les deux : établir ses priorités, vous l’avez mentionné à plusieurs reprises, Linsday, et Harley aussi; et l’idée d’être présent. Vous avez beaucoup souligné, j’ai l’impression, le fait d’être présent, conscient, quand vous passez du temps en famille. Vous êtes dans le moment et avec votre famille ou votre chien. Et ensuite quand vous êtes au travail, vous portez votre attention sur le travail. Je suis extrêmement reconnaissant pour tous vos conseils, merci d’avoir partagé vos réflexions. Merci beaucoup.
Harley Finkelstein :
Merci à vous. Félicitations pour votre entreprise et continuez comme ça. C’est une superbe histoire, Jamal, Amaan.
Jamal Abdullah :
Merci beaucoup. Passez une belle journée. Prenez soin de vous.
Gwen Madiba :
Harley, Lindsay, merci beaucoup d’avoir répondu aux questions de Jamal et d’Amaan.
Avant de clore l’entrevue, j’avais une dernière question. C’est une question amusante qui va conclure tous nos entretiens cette saison. Pouvez-vous me parler de quelque chose qui éveille votre curiosité en ce moment? Ça peut être quelque chose d’anodin, ou quelque chose que vous ne connaissez pas beaucoup, mais que vous voudriez découvrir davantage.
Harley Finkelstein :
Je me lance d’abord, tu pourras embarquer. On fait un balado, alors j’ai l’impression que c’est un bon moment pour parler de ceci, même si je ne peux pas révéler tous les détails, mais le lien entre immigrants, villes à haut taux d’immigrants et entrepreneuriat me fascine. Je suis né à Montréal et j’y ai grandi avant de déménager dans le sud de la Floride quand j’étais jeune, mais pour moi, Montréal est l’une des villes avec l’esprit entrepreneurial le plus fort du monde entier. Et je suis convaincu que l’une des raisons qui l’expliquent, c’est qu’il y a de nombreux immigrants, comme mes parents, ma famille. Mon père a quitté la Hongrie pour Montréal pendant l’insurrection de Budapest.
Lindsay Taub :
C’est une ville multiculturelle. Les francophones et les anglophones y vivent côte à côte, je pense que ça attire beaucoup d’immigrants.
Harley Finkelstein :
Il y a beaucoup d’immigrants, mais aussi beaucoup de bouillonnements dans le monde de l’entrepreneuriat. Je trouve ça fascinant, la connexion entre les immigrants et l’esprit entrepreneurial, le parallèle avec les tactiques de survie et la vision des entrepreneurs. Je plonge vraiment dans le sujet en ce moment. C’est en partie pour ça que je lis Distilled, le livre dont je parlais tout à l’heure, sur les Bronfman. Je veux mieux comprendre cette dynamique.
Dans les prochaines semaines, j’aimerais faire un genre de mini balado, juste pour mon propre plaisir et pour le partager avec Lindsay et quelques amies et amis, j’aimerais faire des entretiens avec des immigrantes et immigrants pour parler d’entrepreneuriat, voir comment ils sont arrivés là où ils en sont aujourd’hui.
C’est à ça que je pense le soir avant de me coucher ces temps-ci. Ça me fascine vraiment comme sujet, et je n’ai pas réussi à trouver beaucoup d’information sur ces parallèles-là.
Lindsay Taub :
Une des choses qui m’intriguent, c’est que j’ai l’impression qu’en ce moment on est dans une période de Renaissance. On sort d’une pandémie. Ça a peut-être l’air quétaine à dire, mais la pandémie a été très dure, évidemment, pour plein de raisons. Personnellement, j’ai l’impression qu’on commence à voir la lumière au bout du tunnel. Beaucoup d’entre nous commencent à sortir du climat de peur, et tout ce qui nous a restreints, et je suis curieuse de voir ce qui va arriver. On a été témoin de choses pas très emballantes.
Je suis convaincue qu’il va y avoir énormément de belles choses qui vont finir par en émerger. Si on regarde en arrière, à chaque fois qu’il y a eu une période sombre, elle a été suivie par des choses lumineuses. On ne sait pas encore ce qui en découlera, mais j’ai hâte de le découvrir.
J’ai hâte de voir comment on s’est transformés comme société. Il y a beaucoup de choses qui ne reviendront plus à ce qu’elles étaient, je crois, et c’est correct. Mais qu’est-ce qui va arriver avec le retour à l’école, au travail? De quoi ça va avoir l’air? Je suis vraiment curieuse de voir comment les gens vont incarner cette Renaissance. Qu’est-ce qu’ils vont en faire? J’ai hâte de voir.
Gwen Madiba :
Avec toutes vos généreuses réflexions d’aujourd’hui, je suis certaine que nos auditrices et auditeurs voudront continuer de vous suivre et d’apprendre de vous deux. Pourriez-vous leur dire où ils peuvent vous trouver en ligne?
Harley Finkelstein : Le meilleur endroit pour me suivre c’est probablement sur Instagram, à @Harley.
Lindsay Taub : Moi aussi. C’est @Lindsay_Taub.
Gwen Madiba :
Un grand merci à vous deux d’avoir pris le temps de vous entretenir avec nous aujourd’hui. Quel coup d’envoi pour notre cinquième saison, sur le thème de la curiosité! Un grand merci.
Lindsay Taub : Merci de nous avoir reçus. Ça nous a vraiment fait plaisir.
Harley Finkelstein : C’était super.
Gwen Madiba :
uOCourant vous est présenté par l'équipe des relations avec les diplômés de l'Université d'Ottawa. Il est produit par Rhea Laube avec un thème musical par le diplômé Idris Lawal. Cet épisode a été enregistré avec le soutien de Pop Up Podcasting à Ottawa, Ontario. Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire, qui demeure non cédé. Pour la transcription de cet épisode en anglais et en français ou pour en savoir plus sur uOCourant, veuillez consultez à la description de cet épisode.