Nancy Adamson était étudiante au doctorat en histoire à l’Université de Toronto lorsqu’elle a rejoint l’équipe des ACMF en 1983. Elle-même militante, Adamson estimait important que les voix des femmes engagées en dehors du milieu universitaire et du gouvernement soient archivées.
« Ce qui fait la particularité des Archives du mouvement canadien des femmes, c’est qu’on s’est efforcées au travers elles de refléter une image fidèle du mouvement », affirme-t-elle.
Cela signifiait parfois conserver, par exemple, un bout de papier qui faisait référence à un événement organisé dans une petite municipalité du nord de l’Ontario. Les dossiers incomplets ou qui ne comptaient qu’un seul document n’étaient pas jetés; la collection avait été conçue en vue d’être continuellement enrichie.
« Nous avons recueilli toutes les bribes d'information que nous avons pu trouver sur les organisations de femmes. Nous les avons conservées, nous les avons cataloguées sous leur nom de groupe. L’ensemble de la documentation se trouve maintenant à l'Université d'Ottawa pour que tout le monde puisse lire ces histoires et ainsi découvrir toute l'activité qui se déroulait durant la deuxième vague du mouvement des femme ", rapporte Nancy Adamson. "Bon, pas tout", ajoute-t-elle, mais même un bout de papier peut servir « d’indice sur l'endroit où aller pour en apprendre davantage ».
Ce que Nancy Adamson apprécie le plus, outre la façon peu conventionnelle dont la collection a été constituée, est la nature de certains objets qui la constitue : des bannières, des t-shirts, des macarons et d’autres documents éphémères. Elle se souvient d'une réunion à Toronto, au début des années 80, au cours de laquelle les membres du comité de la Journée internationale de la femme ont cousu une bannière qui fait maintenant partie de la collection.
« Nous discutions de l’état du monde et réfléchissions à la manière dont nous pourrions apporter du changement une aiguille à la main », dit-elle. « Ce genre de représentation fait contraste avec les stéréotypes véhiculés sur les féministes, du moins à cette époque, comme étant brusques et endurcies. Nous pouvions nous montrer sous ce jour-là, mais nous pouvions tout aussi bien se réunir et fabriquer des bannières. Cette collection ouvre une fenêtre sur les différentes facettes des militantes, qui pouvaient aussi bien vendre des pâtisseries et manifester au Parlement. Nous pouvions accomplir toutes ces choses. »
Selon Margaret McPhail, ex-enseignante, syndicaliste et militante pour les droits des femmes, on ne saurait préserver la véritable nature du mouvement sans ses macarons, ses bannières, ses trousses d’information, ses brochures, les enregistrements de ses discours, ses histoires orales, ses vidéos et tant d’autres objets encore.
« Les pratiques d’archivage sont habituellement très restrictives », fait-elle remarquer. « Qui sauvegarde ses documents? Les personnes qui prévoient leur importance et qui disposent de l’espace et des ressources nécessaires pour ce faire. Ainsi, la capture de ce type de documents éphémères ajoute une toute nouvelle dimension à notre compréhension des racines, du rôle et du pouvoir du mouvement des femmes de la deuxième vague. Il est important de comprendre son histoire en tant que mouvement, et non comme le résultat - et sans vouloir diminuer leur rôle individuel - de cinq, six ou dix femmes importantes. »
Margaret McPhail est l’une des membres fondatrice de Rise up! A digital archives of feminist activism. Menée par des bénévoles, cette initiative est selon McPhail complémentaire à la vaste collection physique et numérique hébergée à l’Université d’Ottawa. L'objectif des deux archives est de « documenter les activités du mouvement à travers le Canada, en incluant des voix qui sont souvent absentes, telles que celles des activistes lesbiennes, des femmes autochtones, des femmes racialisées et noires, des femmes immigrantes. En raison de ses fondements communautaires, les Archives canadiennes du mouvement des femmes tendent à refléter cette diversité ».
Selon McPhail, la deuxième moitié du XXe siècle a été un terreau fertile pour les mouvements de justice sociale. Son propre militantisme a débuté à la fin de son adolescence, lorsqu'elle s'est engagée dans la gauche socialiste. Elle a ensuite rejoint le comité de la Journée internationale de la femme, une coalition de groupes féministes socialistes.
« Le moment était propice », dit-elle. « Le mouvement féministe prenait de l’ampleur, ainsi que le mouvement pour la défense des droits civils, le mouvement contre la guerre... toutes ces mobilisations remettaient en cause l’oppression... C’était une période de questionnement politique et d’activisme florissant qui rejoignait les questions de droits à l’égalité, qu’il s’agisse d’anticolonialisme, de l’activisme des personnes autochtones... du séparatisme québécois, etc. C'était comme une vague de mobilisations et de prises de conscience parmi les femmes à travers le pays, dans les grandes villes, ainsi que dans les plus petites municipalités. Nous avons eu l’impression de passer d’un calme plat à un maelstrom du jour au lendemain ».