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Recherches du corps professoral
Jacques Ferron et Jean Marcel : correspondance 1965-1985
CRSH
Chercheur : Marcel Olscamp
Co-chercheuse : Lucie Joubert
Ce projet vise à préparer l'édition, l'annotation et la publication de la correspondance complète (632 lettres) entre Jacques Ferron, écrivain dont la réputation n'est plus à faire, et Jean Marcel, pseudonyme de Jean-Marcel Paquette, aujourd'hui professeur retraité de l'Université Laval, éminent médiéviste, romancier et spécialiste de l'œuvre ferronienne. L'ouvrage comprendra trois volumes (1965-1968, 1969-1973 et 1974-1985), dont les grandes divisions coïncident avec des moments importants dans l'œuvre et dans l'existence des deux auteurs.
Cette amitié épistolaire se poursuit pendant 20 ans sans interruption; elle instaure un dialogue fécond entre deux écrivains érudits qui abordent, avec une vision pénétrante et dans une langue magnifique, des domaines aussi variés que les écrits de la Nouvelle France, l'Amérique amérindienne, Voltaire, Gide, Nietzsche, les monographies paroissiales du Québec, le français en Gaspésie et bien d'autres sujets. Le savoir de ces deux correspondants dépasse donc le contenu prévisible d'une lettre pour devenir une immense leçon d'histoire, de sociologie, de philosophie et de littérature tant québécoise qu'internationale.
Extrémisme révolutionnaire et esthétique du choc: le sublime dans l'imaginaire social de la Terreur
CRSH
Chercheure principale : Geneviève Boucher
Ce projet consiste à sonder l'imaginaire social de la Terreur (1793-1794) à travers le concept de sublime qui, pendant la dernière décennie du XVIIIe siècle, passe du champ esthétique au champ politique. Motif servant d'abord à exalter la force de la nature et la grandeur esthétique, le sublime devient rapidement un mot-clé de la politique révolutionnaire. Pendant la Révolution, le sublime investit ainsi le champ politique où s'exprime désormais cette énergie qui hisse la nation vers sa destinée la plus haute tout en faisant trembler l'édifice social. Enthousiasmés par la grandeur des événements qu'ils provoquent et par l'ampleur de la destruction opérée, les révolutionnaires en viennent à considérer leur histoire comme une source de sublime. Le concept prend tout son sens dans le contexte de la Terreur où le déploiement d'une force violente est interprété comme un signe de grandeur. Notre hypothèse est que le sublime-terrible théorisé par Burke au midi du siècle fonde l'imaginaire politique de la Terreur, qui est tout entier tendu entre la grandeur et la déchéance, entre la promesse des hautes cimes morales et la menace d'avilissement, entre le grand récit de la libération du peuple et l'omniprésence de la mort dans l'espace social. Il cristallise des représentations diverses allant du culte de l'Être suprême à celui des martyrs révolutionnaires en passant par l'enthousiasme militaire et l'appel à une vertu civique qui exige l'aliénation du moi à la collectivité. Dans le cadre de ce projet, nous chercherons à comprendre quelle est la fonction idéologique, politique et esthétique du sublime dans une série de chansons, de poèmes patriotiques, de pièces de théâtre et de discours de circonstance écrits pendant cette période trouble de l'histoire de France. Il s'agira: 1. d'évaluer les concepts clés de l'idéologie de la Terreur (violence, vertu, refus du modérantisme, sacralisation du champ politique, etc.), à la lumière de la notion de sublime, considérée à la fois comme objet de représentations et comme sentiment esthétique; 2. de dresser un portrait de l'imaginaire social de l'époque à travers l'analyse de textes conçus pour avoir une résonance immédiate dans l'espace public; 3. de comprendre comment les textes mobilisent et retravaillent la dynamique du sublime afin de donner sens aux événements qui, entre 1793 et 1794, bouleversent profondément la cohésion sociale.
Le Canada de Jules Verne : savoirs, représentations, imaginaire social
CRSH
Chercheur : Maxime Prévost
Ce projet de recherche porte sur Jules Verne et le Canada. L’auteur des Voyages extraordinaires est le seul auteur majeur du xixe siècle français qui se soit intéressé de manière soutenue au Canada, qu’il appelait « mon pays de prédilection » (lettre à Pierre-Louis Hetzel du 31 mai 1887). En effet, trois de ses romans sont consacrés au Canada (Le Pays des fourrures, 1873; Famille sans nom, 1889; Le Volcan d’or, écrit en 1899, première publication posthume en 1906), et des personnages canadiens jouent un rôle important dans d’autres romans tels Vingt Mille Lieues sous les mers (1869) et L’Épave du Cynthia (1885). Il est pourtant fascinant de constater que, dans toute son existence, Jules Verne aura passé moins de 24 heures au Canada : tout son savoir sur la géographie, l’histoire, l’ethnologie et les mœurs du pays lui proviennent de sources livresques et, surtout, de la presse contemporaine, tant quotidienne que périodique. Jules Verne est en effet un homme en prise directe sur le discours social de son époque et qui se distingue par la maîtrise qu’il en affiche : tout ce qui s’écrit, se pense et se représente dans la presse et la littérature contemporaine pénètre ses notes de lecture et la composition de ses romans. Il explique ainsi sa méthode de travail dans un entretien de 1893 accordé au journaliste Robert Sherard : «J’ai toujours avec moi un carnet et, comme ce personnage de Dickens [Mr. Pickwick], je note d’emblée tout ce qui m’intéresse ou pourrait me servir pour mes livres. […] [J]e lis d’un bout à l’autre quinze journaux différents, toujours les quinze mêmes, et je peux vous dire que très peu de choses échappent à mon attention. »
Les représentations que Jules Verne donne de son « pays de prédilection » constituent ainsi le laboratoire idéal pour réfléchir à la notion d’imaginaire social : à partir de quelles explorations du discours social un lecteur compulsif et éclairé comme Jules Verne parvient-il à fixer des représentations précises et informées d’un pays étranger? Afin de comprendre les fondements de l’imaginaire vernien du Canada, ce projet se fixe donc comme premier objectif de cartographier et d’analyser l’imaginaire du Canada qui circule dans l’imprimé, en France, entre 1870 et 1900. Il s’agira de procéder à un dépouillement volontairement élargi : revues, grands quotidiens d’information, travaux historiographiques, romans se déroulant au Canada, récits d’exploration, autant de sources qui ont contribué à l’institution imaginaire de ce Canada français d’encre et de papier. Rendue possible par ce travail préalable, la deuxième phase du projet consistera à analyser le Canada de Verne : autant pour ce qu’il récupère de ces discours auxquels il s’abreuve, que ce qu’il construit de particulier dans son œuvre romanesque, contribuant fortement à l’imaginaire social du Canada qui circule en France dans la deuxième moitié du siècle. Notre projet se situe ainsi au confluent de la sociocritique, de l’analyse des discours et de l’histoire culturelle.
Les retombées de ce projet seront multiples et toucheront plusieurs publics, universitaires et autres : publications savantes, éditions des trois romans canadiens de Jules Verne et stratégie numérique résultant en une accessibilité accrue de documents sur le Canada issus de la presse du xixe siècle. Les dossiers électroniques réuniront des articles d’époque entièrement libres d’accès; ils seront de nature à intéresser tant les chercheurs de plusieurs disciplines connexes (histoire, sociologie, ethnologie, géographie) que le grand public curieux de l’histoire des représentations nationales. La visibilité et l’existence historique du Canada s’en trouveront rehaussées à long terme dans la sphère des discours et des représentations francophones, à l’échelle internationale.
Aux sources du français québécois (1763-1840) : pratiques et discours linguistiques
CRSH
Chercheure : France Martineau
Entre 1763 (Conquête) et 1840 (Acte d’Union), le Québec (Bas-Canada) a connu d’importants changements sociopolitiques qui ont eu un impact sur la circulation des représentations et des usages du français tel que pratiqué dans la province, contribuant ainsi à l’émergence du français québécois comme variété distincte. Parallèlement, après la Révolution française de 1789, de nouveaux usages linguistiques dans la métropole ont entraîné un écart avec ceux en usage au Québec. Or peu d’études se sont penchées sur la période après-Conquête au Canada français dans une perspective sociolinguistique, et aucune, à notre connaissance, ne s’est intéressée aux liens entre pratiques réelles des locuteurs et discours métalinguistiques pour cette période charnière dans la formation du français québécois. Notre projet a pour but de combler cette lacune en prenant appui sur les acquis de la sociolinguistique historique. L’originalité de notre projet réside dans : 1) l’articulation entre les usages et les discours sur la langue; 2) l’étude du changement linguistique à travers des corpus peu explorés jusqu’à maintenant; 3) la réflexion théorique sur le changement linguistique à partir d’une analyse de la grammaire des vernaculaires. Le projet est articulé autour de deux axes.
Axe 1 (À la mode du pays). Cet axe porte sur la circulation des pratiques et discours linguistiques au Bas-Canada, après la Conquête. Nous faisons l’hypothèse que la diffusion des usages se fait à partir de centres propagateurs vers la périphérie, compte tenu des différents réseaux sociaux, de la scolarisation et de la presse émergente. Nous examinerons les réseaux socioculturels des locuteurs, leurs prises de position publiques, les discours sur la langue et leurs pratiques linguistiques (usages dans la presse naissante et correspondance de l’élite et de locuteurs plus modestes). Les nouveaux modèles que propage la bourgeoisie en France trouvent-ils des échos au Bas-Canada? Quels sont les locuteurs vecteurs des changements? Comment s’articule la transition entre des discours métalinguistiques positifs sur la langue au Québec vers des discours négatifs?
Axe 2 (Les voix de papier). Dans cet axe sur les écrits de scripteurs malhabiles, nous faisons l’hypothèse qu’il existe une convergence entre les variétés de français vernaculaires non seulement à travers l’espace mais aussi dans le temps. Cette grammaire des vernaculaires présenterait une certaine stabilité des phénomènes en variation. Qu’ont en commun ces zones de la langue qui présentent de la variation? Dans quelle mesure il y a-t-il continuité entre les écrits des peu lettrés et l’oral vernaculaire? Peut-on déjà déceler une division est/ouest avec Québec et Montréal comme centres propagateurs du changement?
Notre corpus est novateur par le choix des documents et par les croisements que nous ferons entre eux. Les documents ont été sélectionnés pour leur capacité à rendre compte des usages, de toutes les classes sociales, et des discours métalinguistiques qui ont cours durant la période examinée. La comparaison de ces documents à des corpus semblables, sur le néerlandais ou l’anglais, contribuera à créer des bases d’analyse des vernaculaires, percée scientifique d'importance.
Notre programme permettra de comprendre l’émergence du français laurentien par rapport à d’autres variétés de français, et le rôle joué par les réseaux sociaux, institutionnels et médiatiques. Ce faisant, il permettra de mieux saisir les enjeux de la francophonie d’aujourd’hui. En effet, en ce XXIe siècle d’échanges culturels accrus en raison de la mondialisation, les représentations et les pratiques sont des indicateurs de la vitalité linguistique des communautés et il est important de comprendre comment elles ont contribué à façonner les identités.
Le français à la mesure d’un continent : un patrimoine en partage
CRSH, programme Grands travaux de recherche concertée
Chercheure principale : France Martineau
Langue de migration d’abord, partie de France, le français se déploie à travers l’Amérique du Nord dans des communautés dont les frontières géopolitiques vont être modifiées à plusieurs reprises. Langue de contact aussi, qui porte en elle les traces d’échanges avec d’autres communautés, au fil de son histoire. Langue de ralliement identitaire enfin, qui rassemble les individus autour de grandes questions de société. Les communautés francophones gardent les traces de cette mémoire qui déterminent ce qu’elles sont aujourd’hui et leur façon de composer avec les enjeux de l’avenir.
L’objectif central de notre Grand Travail est de comprendre les tensions suscitées par le décalage entre frontières linguistiques et frontières identitaires, toutes deux en constante recomposition. Nous nous proposons d’examiner l’intrication de ces frontières, à travers les pratiques et les représentations des locuteurs, ainsi que les communautés qu’ils ont constituées en Amérique française.
Notre Grand Travail place l’individu et sa langue au cœur du changement des sociétés. Ce programme novateur aborde ainsi, dans une approche unifiée, les relations entre la langue comme objet cognitif et comme objet culturel. Pour rendre compte de la complexité de cette relation, notre projet mobilise une équipe interdisciplinaire et internationale de spécialistes de plusieurs disciplines des sciences humaines ainsi que des partenaires réputés dans la francophonie. En prenant la mesure du patrimoine partagé entre les francophones, en évaluant les effets des transferts culturels et linguistiques, en reconnaissant le rôle crucial des représentations et des attitudes face à la langue, nous pourrons mieux circonscrire les enjeux contemporains des communautés francophones, en milieu minoritaire, majoritaire ou multiculturel. Quelles sont les conditions propices aux transferts culturels et linguistiques? Comment les représentations sur la langue agissent-elles sur les comportements des individus? En contexte fortement multiculturel, quel est le rôle de l’école comme véhicule des normes de la communauté? Au-delà du fait francophone, notre projet contribuera à l’avancement des connaissances sur le changement linguistique, la migration et l’interculturalité, et la dynamique des communautés minoritaires.
Ce parcours unique des francophones sur plus de quatre siècles, nous lui donnerons vie dans le Corpus des français d’Amérique du Nord, structuré et lemmatisé, servant de base à une première comparaison systématique des communautés francophones. Ce corpus puisera dans l’expérience ordinaire des individus (correspondance privée à date ancienne, enquêtes en situations de communication spontanée) et reflètera le maillage entre francophones, anglophones et allophones qui ne cesse de modeler les dynamiques linguistiques et culturelles au Canada. Des partenaires à l’engagement social et à la compétence scientifique largement reconnus nous donneront un solide appui pour la mise en valeur de cette mémoire collective : de grands centres d’archives canadiens, américains et français; des centres d’ingénierie de la langue et de recherche sur le français; de grandes écoles. Ces partenariats se concrétiseront dans l’organisation d’expositions virtuelles, de colloques, de conférences publiques, d’instituts d’été, outils aussi bien de formation pour les étudiants diplômés que de mise en valeur de la recherche auprès de la communauté universitaire et du grand public.
Notre Grand Travail, par les questions qu’il aborde, se situe au cœur des préoccupations de la société canadienne. La réflexion qu’il suscitera contribuera à consolider le leadership du Canada au sein de la francophonie internationale.
Maurice Maeterlinck: trajectoire d’un médiateur interculturel (1886-1914)
CRSH
Chercheur : Rainier Grutman
Le Belge Maurice Maeterlinck (1862-1949), prix Nobel de littérature en 1911, a joué un rôle remarqué de médiateur interculturel entre ce que Madame de Staël avait appelé l'Europe du Nord et celle du Midi. Pour ce Flamand francophone mais diglotte, le dialecte du peuple était un tremplin vers le néerlandais standard, l’allemand et l’anglais. Grâce aux lectures qu’il pouvait faire dans toutes ces langues sans devoir attendre les traductions françaises, Maeterlinck sut doter son œuvre «d’une originalité certaine, d’une nouveauté si vraiment neuve qu’elle déconcertera longtemps encore » (Remy de Gourmont). Ce cheminement cosmopolite sera mis en rapport avec la trajectoire institutionnelle de Maeterlinck d’une part, avec ses interventions discursives de type interculturel d’autre part. Parmi ces dernières, il faut mettre à part ses traductions (du mystique flamand Jan van Ruusbroec, du romantique allemand Novalis, des élisabéthains Shakespeare et John Ford, puis des préraphaélites Dante Gabriel Rossetti et A.C. Swinburne); elles se trouvent au centre de ce projet combinant la sociologie des agents inspirée de Bourdieu avec l’analyse des textes et du discours qui les accompagne.
Le verset dans la poésie moderne d’expression française : ouverture
CRSH
Chercheur : Nelson Charest
Depuis le romantisme et surtout la fin du XIXe siècle, la poésie française a connu de profondes transformations, notamment au niveau de ses formes : perte du « haut » langage au profit d’une langue plus populaire, apparition de la prose poétique, du poème en prose, du vers libre, et abandon de la prosodie classique et de la rhétorique qui réglait ses usages. Si ces changements, survenus pour la plupart dans les dernières années du XIXe siècle, sont amplement documentés et si des œuvres comme celles de Rimbaud, Lautréamont et Mallarmé ont reçu leur tribus d’innovation tant de la part des critiques que des poètes eux-mêmes, on ne peut en dire autant d’une autre profonde transformation qui advient dans la poésie française quelques années plus tard, au début du vingtième siècle, avec l’apparition du verset poétique.
Par ailleurs, il appert que la poésie d’expression française du XXe siècle demeure un territoire encore mal défini, marqué par des œuvres singulières fortes qui résistent aux groupements, mouvements ou courants. À part le surréalisme, qui regroupe les innovations poétiques de l’entre-deux guerres, avec des noms aussi reconnus que Breton, Éluard, Aragon ou Artaud, les autres grandes œuvres poétiques du siècle se veulent des entreprises originales qui cherchent à se distinguer plutôt qu’à se regrouper sous des chapiteaux communs. Or le verset demeure une forme encore mal définie et qui permettrait, si elle était mieux reconnue, grâce à une étude à la fois herméneutique et poétique, de saisir dans un même continuum des œuvres qu’on considère généralement isolément mais qui ont toutes fortement marqué le XXe siècle. Ainsi verra-t-on, à quelques dix ans d’intervalle, la naissance d’œuvres comme celles de Claudel, Saint-John Perse et Segalen, suivies notamment par celles de Senghor et de Glissant, toutes composées en verset et selon des variantes qui imposent d’emblée un modèle que plusieurs à leur suite emprunteront, notamment dans la francophonie.
Évaluer l'intelligibilité des textes : usages, limites et perspectives
CRSH
Chercheur : Bertrand Labasse
Depuis plus d'un demi-siècle, de nombreux travaux ont visé à mesurer la difficulté des textes pour leurs destinataires. Ce type d'évaluation répond en effet à un besoin croissant de tous les secteurs de la société, confrontés au problème de l'intelligibilité pour le grand public d'informations de plus en plus complexes. L'évaluation recourt en général à des formules dites « de lisibilité », qui mesurent des variables textuelles - en particulier la longueur moyenne des mots et des phrases - pour pronostiquer le niveau de compétence en lecture que réclame le texte. Cette approche aurait, selon certains auteurs, profondément façonné le style de la communication gouvernementale, médiatique, médicale ou commerciale contemporaine.
Or, les formules de lisibilité ont été au fil du temps l'objet de multiples analyses, qui ont réfuté à la fois leurs fondements théoriques, leur fiabilité technique et leur validité empirique. Elles n'en restent pas moins employées, non seulement par les praticiens et responsables publics et privés, mais aussi par de nombreux chercheurs qui les appliquent, au sein de disciplines variées, à l'analyse de textes littéraires, médiatiques, administratifs, juridiques, et, surtout, médicaux.
Le projet présenté vise à examiner cette contradiction persistante et à tenter de la résoudre par une nouvelle approche. Sa problématique générale - Dans quelle mesure les procédés usuels d'évaluation de l'intelligibilité des textes peuvent-ils répondre aux attentes qui leur ont donné naissance ? - conduira;
d'une part, à analyser les besoins pour lesquels ces procédés sont employés et le sens qu'on leur attribue, en particulier dans le cas des études techniques ou scientifiques qui les utilisent ;
d'autre part, à vérifier les conditions et limites de validité de ce type d'approche, puis à développer une nouvelle méthode d'analyse répondant rigoureusement à ces conditions au sein de ces limites.
La recherche s'appuiera sur des techniques assez classiques, telles que l'analyse de corpus qualitative et quantitative, l'analyse bibliométrique, les tests de corrélation statistiques, etc.
Ses enjeux sont à la fois théoriques, méthodologiques et sociaux.
Sur le plan théorique, elle fournira une contribution significative à des questions importantes, comme les transferts de notions entre disciplines ainsi qu'entre la sphère scientifique et le champ des pratiques ; la construction sociale de l'expertise communicationnelle et son enseignement ; l'influence des figurations des destinataires (ou « modèles de lecteurs ») sur les stratégies des acteurs de la communication publique.
Sur le plan méthodologique, elle apportera une technique d'analyse fiable, documentée et clairement délimitée aux différents chercheurs qui utilisaient jusqu'à présent les formules empiriques des années 50.
À l'échelle de la société, elle mettra à la disposition des producteurs de documents, classiques ou électroniques, un procédé d'évaluation simple, pertinent et - pour la première fois - conçu tant pour des textes français qu'anglais. Mais elle permettra surtout de contextualiser cette mesure parmi les autres facteurs psychologiques et sociaux de la clarté des textes, ainsi, de promouvoir une compréhension plus fine de l'adéquation textuelle.
Au-delà de sa portée immédiate, cette approche devrait ouvrir la voie à plusieurs recherches ultérieures sur les fondements et les composantes de l'interaction communicationnelle.
Le discours négro-africain et la crise de la modernité. À la recherche d’un nouvel humanisme post-continental
CRSH
Chercheur : Kasereka Kavwahirehi
Le projet vise à montrer comment les textes fondateurs du discours négro-africain du vingtième siècle, spécialement ceux de la Négritude, restent d’actualité quand on les aborde comme une réponse critique au « discours philosophique de la modernité », laquelle était présentée comme un projet humaniste d’émancipation par la force de la raison critique et la science. En effet, en partant de la face sombre de la modernité (esclavage, colonisation, violence raciale, massacres et génocides des indigènes) souvent oubliée par ses défenseurs, les intellectuels négro-africains de la première heure (Césaire, Damas, Senghor, Fanon, etc.), bien formés dans le moule de l’universalisme français, on procédé à une critique sans complaisance de l’universalisme et de l’humanisme abstraits de la modernité. En revendiquant la diversité/ pluralité du monde/des civilisations, ces auteurs, bien souvent marginalisés par les historiens des idées du vingtième siècle, ont très tôt posé la possibilité de redéfinir et de ré-conceptualiser, à partir des histoires/mémoires particulières ou des rationalités locales, les valeurs européennes dites universelles, et proposer un nouvel humanisme, qui est un humanisme de la relation comme dirait Edouard Glissant ou de la convivialité des cultures, des races, selon le mot de Paul Gilroy. Un dialogue entre les critiques eurocentriques de la modernité (par ex. École de Francfort, Levinas, etc.) et les critiques des Négro-africains de la période située entre 1920 et 1960 est alors susceptible de donner lieu à une saisie plus complète des contradictions de la modernité comme projet humaniste et à l’appréciation du projet de « Renaissance du monde » comme remontée commune en humanité proposée par A. Césaire, F. Fanon, L. S. Senghor, etc.
Établir des paradigmes opératoires pour comparer les variations discursives dans les Amériques menant des identités enracinées aux identités transculturelles dans le contexte de la globalisation
CRSH
Chercheur : Patrick Imbert
Le but de cette recherche est d’établir une série de paradigmes opératoires dualistes mais se recontextualisant petit à petit dans le complexe afin d’aider à donner des fondements aux comparaisons transculturelles transaméricaines. Ces paradigmes vont permettre d’échapper à la fois à la tradition historique de la recherche fondée sur la causalité linéaire et à une géographie nationale statique dont les découpages ne donnent pas la possibilité de saisir les dynamiques du continent et ses multiplicités dans ses vecteurs convergents, dans ses rejets comme dans ses initiatives et ses divergences.
Depuis une quinzaine d’années, nombre de chercheurs comme Gérard Bouchard, Yvan Lamonde, Djelal Kadir, Soares de Souza, Zila Bernd, comparent les discours littéraires, médiatiques et politiques dans les Amériques sans passer nécessairement par une comparaison avec l’Europe.
C’est ce que nous ferons aussi ici en établissant des catégories paradigmatiques fondamentales pour pouvoir comparer des textes et des discours qui n’ont pas nécessairement un lien causal historique entre eux. Il n’est en effet pas nécessaire et même souvent contre-productif dans le contexte des Amériques et des rapports transculturels de vouloir se consacrer uniquement à des liens historiques causaux pour comparer les discours visant à inventer des identités nationales, ethniques, esthétiques ou politiques.
Comme le souligne Clifford Geertz, Local knowledge: Further Essays in Interpretive Anthropology (New York, Basic Book, 1983), souvent des idées, des réponses à des situations similaires et des discours semblables s’inventent dans des lieux qui ne sont pas liés directement historiquement, pourtant elles reposent sur des conceptions et des argumentations similaires visant à produire des effets désirés comparables, comme la production d’un certain type d’identité enraciné menant à la défense d’une nation imaginée comme homogène.
Ainsi, sans ignorer l’histoire et les relations causales, on visera à repérer les paradigmes de base qui opèrent dans les Amériques dans le contexte de l’invention d’identités enracinées visant à affirmer des caractéristiques nationales et on suivra leur changement dans le contexte de la mondialisation et de l’ère postmoderne/postcoloniale menant à des images de soi multiples marquées par le transculturel.
Pour ce faire, on retiendra par exemple l’opposition dualiste civilisation/barbarie attribuée par les colonialistes européens comme Wakefield et reprise par l’écrivain argentin (1ère manière) et futur Président de la République argentine Sarmiento dans l’essai Facundo. Cet ouvrage diffuse dans les Amériques une vision où les ports tournés vers l’Europe sont civilisés tandis que les populations vivant dans l’arrière pays sont barbares. Cette opposition dualiste est synonyme de soi/les autres elle-même synonyme de intérieur/extérieur. Toutefois, cette opposition n’a pas du tout la même signification dans les Amériques et Europe. L’Europe coloniale généralise les discours politique et esthétique sur la barbarie qui selon ces discours est similaire en Afrique, dans les Amériques, etc. Les discours inventent donc un autre barbare indifférencié. Pour les gens des Amériques, les créoles et les settlers, il y a au moins deux grandes catégories d’autres. L’une est positive, c’est l’Europe civilisée, l’autre est négative, c’est l’autochtone, l’esclave noir ou divers métis. Le paradigme barbarie/civilisation est donc opératoire mais il mène à une difficulté plus grande à inventer des identités qui ne soient pas « incertaines » dans les Amériques car le dualisme binaire simpliste européen se complexifie en rapports à plusieurs termes. Ce n’est qu’en 1929 chez Oswald de Andrade au Brésil qu’on assistera à une reconfiguration de ce paradigme visant dans son essai intitulé Manifeste anthropophage à ouvrir sur un non-dualisme menant à l’intégration des cultures dans le métissage rejetant clairement la domination dualiste européenne.
L’opposition barbarie/civilisation est donc utile, à une certaine époque, pour saisir comment comparer les Amériques. Il faut toutefois noter les variantes contextuelles. En Amérique du Sud, l’Europe est civilisée et l’intérieur barbare, en tout cas pour les penseurs se référant au mythe du progrès. Au Canada français, l’Europe est barbare comme on le voit dans l’épilogue du roman La terre paternelle de Patrice Lacombe car elle est le lieu des guerres, des révolutions et de la perte de la religion. L’intérieur, le village sont civilisés pour les ultramontains et la ville est plutôt un lieu dont il faut se méfier. Toutefois, pour les libéraux rouges, au Canada français, l’Europe est civilisée et le village religieux rétrograde. Ainsi, ces paradigmes barbarie/civilisation permettent d’établir des bases de comparaisons interaméricaines même s’il n’y a eu que très peu de rapports historiques entre, d’une part le cone sud et le Canada français.
L’opposition barbarie/civilisation découpe les espaces de manière différente d’un bout à l’autre des Amériques ce qui a un impact fort sur les autres catégories dont on retiendra par exemple celle de territoire limité opposé à la frontier. Si l’intérieur est barbare, comment se conçoit l’espace immense et fertile ouvert pour l’immigration? Comme un lieu d’où surgissent les dictateurs incultes comme le montre Sarmiento dans Facundo? Ou bien comme un lieu à cadastrer, à attribuer aux immigrants et comme espace où s’inventent des cultures hybrides, ainsi que le vivra Sarmiento 2ème manière lorsque, Président de la république, il favorisera l’immigration et permettra de transformer la pampa (« Entre Rios » par exemple) en lieu de développement et d’intégration?
Cette frontier est aussi une catégorie importante pour comparer les Amériques, car elle peut être métaphysique comme on le voit dans la littérature brésilienne, lieu d’ordre économique comme au Canada ou d’anarchie économique comme aux États-Unis. Mais surtout elle différencie les régions et les pays. Comme le souligne nombre de textes de journaux et aussi de romans d’un bout à l’autre du continent, les pays avec frontier ouvrent leur porte à l’immigration et au progrès économique en attribuant des titres de propriétés. Voilà qui a un impact sur la construction identitaire car les individus ne font pas qu’appartenir à un État, ils s’appartiennent en possédant une propriété qui permet ensuite, car elle représente une garantie, d’obtenir du crédit (Voir Hernan de Soto, L’autre sentier). La frontier civilisée économiquement et culturellement comme lieu de rencontre de communautés diverses, ouvre sur des identités menant potentiellement vers la classe moyenne. Dans l’autre cas, celui ou on ne conçoit pas qu’il y a une frontier, donc un lieu immense d’expansion, les identités restent marginalisées, en retrait et empêchées de circuler. Les sin tierra du Pérou sont là pour en témoigner.
Ces catégories dualistes, comme on l’a vu pour barbarie/civilisation, sont donc importées d’Europe, plaquées sur le continent par des penseurs progressistes et permettent d’inventer un fonctionnement et des identités. Mais elles fonctionnent mal dans les mobilités géographiques, sociales, ethniques et culturelles des Amériques. En effet, contrairement à l’Europe, les autres ne sont pas à l’extérieur du pays, ils sont à l’intérieur et parfois fort proches. Voilà qui a un impact sur les relations culturelles et sur les dynamiques socio-culturelles.
C’est d’ailleurs ce qui se diffusera petit à petit à partir de Oswald de Andrade puis après la deuxième guerre mondiale et ce jusqu’au monde contemporain. Dans ce cas, des auteurs reprennent ludiquement les paradigmes traditionnels comme barbarie/civilisation pour les recontextualiser. C’est le cas de Dany Laferrière dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. Le stéréotype du noir bourré d’hormones et d’instinct fascine Miz Littérature. Mais Dany Laferrière met en scène un noir écrivain beaucoup plus cultivé que Miz littérature. L’opposition barbarie/civilisation n’est plus un paradigme valide dans la mondialisation. Il est remplacé par d’autres contestant le dualisme et ouvrant sur le complexe. On est désormais à la fois cela et ceci, à la fois bourré d’hormones et intellectuel et donc capable de prendre des risques, notamment celui de définir son image indépendamment des projections de ceux qui tentent de définir l’autre selon leur perspective pour le dominer. Voilà qui est manifesté par Yann Martel, Laura Esquivel ou Pico Iyer.
Ce changement au niveau des paradigmes opératoires permettant de comparer les sociétés et les cultures des Amériques ne se marque pas seulement dans le littéraire mais aussi dans les tentatives d’applications de réflexions théoriques d’un pays à un autre comme on peut le voir pour la constitution multiculturelle de Colombie basée sur les théories de Will Kymlicka, James Tully et Charles Taylor. Toutefois, les applications de théories libérales à des populations non- libérales est parfois difficile. La Colombie comprend en effet des populations autochtones encore très isolées contrairement au Canada et donc pratiquant certaines coutumes (barbares aurait dit Sarmiento) peu intégrables par le libéralisme multiculturel comme le fait d’abandonner les malades dans la forêt. Ainsi, nos paradigmes se fondent sur les discours littéraires, culturels, politiques et sur leurs applications à des rapports sociaux à revoir en fonction des changements contemporains.
On se consacrera donc aussi à des comparaisons fondées sur les paradigmes de base intérieur/extérieur, gestion de la frontier comme espace ouvert ou comme territorialité fermée, libéralisme/illibéralisme pour saisir comment peuvent se discuter non seulement les applications de Taylor ou Kymlicka à la Colombie ainsi que le souligne Daniel Bonilla Maldonado dans La constitución multicultural (Bogota, Siglo del Hombre editores, 2006), mais aussi comment discuter les critiques et remarques de Bonilla Maldonado en fonction des paradigmes opératoires établis ici et qui peuvent mener à enrichir les discussions qui ont lieu un peu partout dans les Amériques au sujet des relations inter-multi et transculturelles liées à l’évolution des identités enracinées territorialement à des images de soi branchées sur les savoirs et les échanges.
Du dualisme inventant un certain type d’Amériques au transculturalisme inventant d’autres relations dans la confrontation de multiples images de soi désormais connectées aux mouvements de la glocalisation comme les analyse par exemple Néstor Garcia Canclini dans La globalización imaginada (Buenos Aires, Paidos, 1997), il s’agit de saisir comment les diverses régions des Amériques se sont inventées (au sens donné à ce mot par l’école de Palo Alto (Gregory Bateson, Watzlawick) et comment elles s’inventent et se réinventent en fonction d’un petit nombre de paradigmes de base car, comme le souligne Eduardo Mendieta (Global Fragments: Latiamericanisms, Globalizations, and critical Theory, Albany, State University of New York Press, 2007), les Amériques représentent encore un projet inachevé.
Le but de cette recherche est donc bien d’établir une série de paradigmes opératoires dualistes mais se recontextualisant petit à petit dans le complexe afin d’aider à fonder des comparaisons qui vont permettre d’échapper à la fois à la tradition historique de la recherche fondée sur la causalité linéaire et à une géographie nationale statique dont les découpages ne donnent pas la possibilité de saisir les dynamiques du continent et ses multiplicités dans ses vecteurs convergents, dans ses rejets ou ses soumissions comme dans ses initiatives et ses divergences.
La diversité culturelle en francophonie : convergence ou dispute des parcours discursifs ?
CRSH
Chercheure principale : Danielle Forget
Cochercheur : Khadiyatoulah Fall
Dans le présent programme (2009-2012), nous nous concentrons sur la notion de cohésion, lorsqu’elle se trouve paradoxalement confrontée à la diversité des cultures, comme c’est le cas avec la francophonie, un ensemble concerté dont l’appartenance est réglée autour du français. Notre sujet d’étude en analyse du discours soulève ce questionnement: ces univers de sens puisent-ils à un champ compatible de parcours discursifs? Notre visée est triple : a) contribuer aux études sur la francophonie par un traitement discursif éprouvé; b) valider les structures sémantiques et rhétoriques où prennent place métaphores, associations et parcours; c) aborder les notions de cohésion et d’unité par le biais de l’interaction verbale qui en fait un objet de négociation au sein des institutions: les convergences et les divergences, ainsi que leur lieu de résolution.
L'Impact social du roman-feuilleton : Alexandre Dumas, écrivain orchestrateur
CRSH
Chercheur : Maxime Prévost
Ce projet de recherche s'intéresse à l'impact social de la littérature romanesque à l'apogée du roman-feuilleton, soit de 1844 à 1848. Alexandre Dumas, l'un des écrivains les plus lus de l'époque, y sert d'étude de cas : il s'agit d'étudier les retombées concrètes (c'est-à -dire discursives) de son œuvre saisies à trois moments stratégiques, lors des publications en feuilleton des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo et de Joseph Balsamo.
La pratique du roman-feuilleton a permis à une poignée d'écrivains qu'on qualifiera d'orchestrateurs de rejoindre un lectorat de masse. Dès lors, un romancier comme Alexandre Dumas se croit investi du pouvoir (et du devoir) de guider l'opinion publique. Comme l'écrit Umberto Eco, les romanciers populaires du premier XIXe siècle se donnaient pour mission « d'activer le sentiment en lieu de foi, de stimuler l'imagination exercée sur le réel possible », ce qui, à la base, implique un travail de définition du réel et du possible : l'écrivain orchestrateur serait précisément celui qui impose une réalité, celui dont l'imagination personnelle se convertit en imaginaire collectif.
Ce projet se fixe pour objectif de dépouiller un échantillon des principales publications quotidiennes et périodiques de l'époque, à la recherche d'échos discursifs aux trois publications de Dumas mentionnées ci-dessus. Il faudra déterminer dans quelle mesure et comment cette matière discursive est parvenue à alimenter la rumeur.
Épistémocritique : pour une typologie des modes d’inscription et de fonctionnement des savoirs non littéraires dans le roman français du XXe siècle
CRSH
Chercheur : Christian Milat
Les œuvres de fiction, et tout particulièrement les romans, contiennent très souvent des références à des savoirs non littéraires (scientifiques, techniques, philosophiques, artistiques, etc.). Pendant longtemps, ces références ont été principalement étudiées, notamment dans le cadre du comparatisme, sous l’angle de l’histoire des idées ou de l’analyse des sources. Depuis une quinzaine d’années, avec l’apparition et le développement de l’épistémocritique, les rapports entre savoirs et œuvres de fiction sont davantage abordés en termes de transferts discursifs. Mais, dans la plupart des cas, si les études produites analysent la présence et le travail d’un ou de plusieurs savoirs dans l’un ou dans l’ensemble des romans d’un écrivain, c’est pour en définir les procédés d’écriture ou en proposer une interprétation.
Ce projet de recherche vise à adopter une démarche opposée à celle qui anime ces études : l’objectif n’est plus d’analyser le ou les savoirs non littéraires présents dans un roman pour éclairer ce texte particulier, mais d’analyser de multiples romans, appartenant à plusieurs écrivains, afin de proposer une approche théorique de l’épistémocritique en jetant les bases d’une typologie des modes d’inscription et de fonctionnement des épistémèmes (unités minimales appartenant à ces savoirs) au sein du genre romanesque tout entier.
Cette typologie sera structurée autour de quatre paramètres principaux : les composantes formelles de l’épistémème, ses champs d’insertion, ses procédés de greffage et ses contributions au sens. Elle sera réalisée en utilisant les outils méthodologiques appartenant principalement à trois approches théoriques très connexes : les théories de l’intertextualité, de l’analyse du discours et de l’interdiscursivité.
Les romans étudiés appartiendront à la littérature française du XXe siècle, où la présence de savoirs non littéraires est fréquente et où ces savoirs vont souvent de pair avec des structures et des procédés d’écriture innovateurs. Le corpus sera assez étendu et diversifié pour fournir une variété maximale d’occurrences : de Roger Martin du Gard (1913) à Leslie Kaplan (1999), il regroupera des romanciers et des œuvres qui, avant-gardistes ou plus classiques, font dans tous les cas appel à des poétiques très contrastées; il donnera également à l’écriture des femmes une représentation aussi significative que possible.
Deux grandes familles de savoirs seront abordées : les savoirs scientifiques et les savoirs philosophiques. Ce choix, à la fois large et discriminant, répond au souci d’analyser des savoirs dont la présence dans la littérature est particulièrement fréquente. Par ailleurs, l’examen simultané de ces différents savoirs permettra de faire apparaître, dans leurs modalités d’inscription et de fonctionnement, des zones de divergences, mais aussi de convergences. Il permettra également de mettre en évidence, en dépit de l’hétérogénéité des disciplines, certains des mécanismes généraux qui conditionnent l’usage des discours et des systèmes de représentation dans notre société.
En recensant et en théorisant les diverses modalités d’inscription des représentations d’origine épistémique dans la texture de la fiction romanesque et les différentes fonctions que celles-ci y exercent, les études qui découleront de ce projet de recherche mettront à la disposition de tous — étudiants et chercheurs — un instrument inédit : des concepts et des outils méthodologiques qui faciliteront le recours à l’approche épistémocritique et qui, partant, enrichiront l’analyse particulière qui sera effectuée de tel savoir dans tel roman.
Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes : 2e étape (DÉCT2)
CRSH
Chercheur: Pierre Kunstmann
Ce projet est la seconde étape du Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes, dont la première étape, financée en 2004 par le CRSH, aboutira à la publication, fin 2007, du DÉCT1, première version de ce dictionnaire.
Il consiste à établir et à mettre sur le Web un dictionnaire électronique de l'oeuvre de Chrétien de Troyes, romancier du XIIe siècle, inventeur du roman moderne, devenu un classique de la littérature française. Le dictionnaire, à la fois outil d'exploitation et ensemble de données résultant d'une analyse fine et détaillée des textes ainsi que de leur interprétation, fera partie des instruments que le Laboratoire de Français Ancien (LFA, Université d'Ottawa) présente au public sur son site Web. Ce site vise à une large diffusion de travaux effectués en conformité aux normes et critères de la linguistique et de la philologie françaises. Toutefois le dictionnaire (successivement DÉCT1 et DÉCT2), sera matériellement placé sur le serveur du laboratoire Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) du CNRS à Nancy, et sera consultable grâce au logiciel Stella, conçu à l'origine pour la base textuelle FRANTEXT.
Le DÉCT est un dictionnaire de corpus et permet un va-et-vient entre les articles de dictionnaire et les textes constituant le corpus sur lequel se fonde le dictionnaire (Érec, Cligès, Lancelot, Yvain, Perceval); il est accompagné d’un programme de concordance puissant. La taille limitée du corpus, la lemmatisation de tous les mots (lexicaux et grammaticaux) et leur étiquetage grammatical permettent une navigation complète et systématique entre dictionnaire et corpus et donnent à la recherche des mots en contexte une efficacité précieuse.
Le dictionnaire, qui sera accompagné d'une classification conceptuelle du vocabulaire de l'auteur, permettra d'offrir aux spécialistes des moyens de travail, de réflexion et de recherche inédits. Base lexicale aux nombreuses possibilités d'interrogation, il sera en accès libre sur la Toile pour toute personne intéressée, du simple amateur au chercheur spécialiste. Il débouchera également sur une série d'articles soumis aux grandes revues savantes et sur diverses communications aux principaux colloques et congrès dans notre discipline.
Le DÉCT1 se limitait volontairement aux mots lexicaux du manuscrit P (le meilleur et le seul qui présente les cinq romans de Chrétien dans leur intégralité). Le DÉCT2 constituera un élargissement et un enrichissement considérable de la première version, lui conférant en quelque sorte une troisième dimension. Cet effet de profondeur résultera de l’ajout capital des mots grammaticaux, des variantes des autres manuscrits (variations lexicales; variations également dans la collocation des termes), du classement sémantique des mots relevés, des axes de synonymie contextuelle et d’antonymie, d’holonymie et de méronymie (relations entre partie et tout).
La diffusion des résultats se fera naturellement d'abord par le Web. Le site LFA est bien établi et s'est taillé une excellente réputation; la branche Textes de Français Ancien, base constituée au LFA et placée sur le serveur de l'ARTFL à Chicago, nous permet, par ce biais, de toucher un bon nombre d'internautes. L'ATILF, de son côté, rejoint beaucoup d'usagers (chercheurs, étudiants, public lettré), en France surtout, mais aussi dans la plupart des pays où l'on s'intéresse à la culture française.
Soulignons le caractère original de ce projet, regroupant plusieurs spécialistes à l'intérieur d'un réseau de collaborations internationales (LFA, ATILF, Université de Stuttgart), faisant intervenir plusieurs disciplines (littérature, philologie et linguistique françaises), proposant en ligne, en accès libre, un outil novateur aux possibilités multiples. Nous espérons faciliter ainsi, dans notre domaine d'études, la translatio, le passage du support papier au support électronique dans des conditions telles qu'il pourra s'effectuer non seulement sans dommage, mais aussi avec un gain appréciable.
Des Pays d’en Haut à l’Ouest canadien : variation et changement linguistiques
CRSH
Chercheure principale : France Martineau
Cochercheur : Douglas Walker (Calgary)
Collaborateurs : Yves Frenette (CRCCF) et Mark Olsen (ARTFL, Chicago)
Notre programme de recherche porte sur les français parlés à l’ouest de la vallée du Saint-Laurent, des Pays d’en Haut aux Prairies canadiennes, durant la période de leur implantation, du XVIIIe au milieu du XXe siècle. Deux grands axes de recherche touchant au changement linguistique sous-tendent ce projet :
comprendre la trajectoire historique de ces français et mesurer le rythme de diffusion du changement linguistique, dans un axe est-ouest, en tenant compte des migrations successives qui se sont produites en provenance de la vallée du Saint-Laurent;
comparer l’impact du contact de langue à date ancienne avec l’anglais dans des communautés dont le peuplement français est ancien (XVIIIe s.) ou relativement récent (fin XIXe s./début XXe s.).
Les études linguistiques au Canada se sont beaucoup intéressées au français du Québec et de l’Acadie, les deux premières régions de peuplement francophone en Amérique. On connaît bien les particularités linguistiques contemporaines, un peu moins l’évolution historique, en particulier lorsqu’il s’agit de la grammaire. Les travaux que Martineau a entrepris avec King, Morin ou Mougeon ont toutefois mis en lumière certains traits de l’évolution de la grammaire du français québécois et acadien. Un patron se dégage : le français québécois à date ancienne suit une évolution parallèle, bien que légèrement décalée en termes de rythme de diffusion, au français hexagonal.
On connaît toutefois beaucoup moins la trajectoire historique des dialectes qui sont issus de l’une ou l’autre des deux régions de peuplement d’origine. Ainsi, aucune étude systématique et historique n’a été menée pour suivre la trajectoire des français issus du français de la vallée du Saint-Laurent, de façon à mesurer l’impact de facteurs externes ou internes sur le développement de ces français : migrations successives à partir du Québec, maintien d’archaïsmes, contacts avec l’anglais selon le contexte minoritaire ou majoritaire du français à différentes périodes. C’est ce que nous nous proposons de faire dans ce programme de recherche. Nous examinons en particulier comment se reconfigurent des structures en variation dans la langue et comment ces reconfigurations sont source de changements linguistiques. Plus précisément, nous examinons deux types de reconfiguration potentielle : reconfiguration structurale et reconfiguration sociale.
La reconfiguration structurale se produit lorsque qu’une génération d’usagers ne retient pas une langue en tout point identique à celle de la génération précédente. La situation de contact de langue est un contexte propice à ce type de réanalyse structurale et c’est pourquoi les innovations dans les parlers français hors Québec sont souvent attribuées au contact avec l’anglais. Nous examinons cette hypothèse en la confrontant à une autre hypothèse, celle que les structures qui en apparence sont des innovations, pourraient être le développement de structures archaïques maintenues dans ces parlers plus isolés de la norme hexagonale. Nous examinons le système des prépositions et celui de la valence verbale, qui, d’une part présentent des structures de surface parfois apparentées à l’anglais en français hors Québec, et qui d’autre part, ont subi des changements importants durant les XVIIe et XVIIIe siècles.
La reconfiguration sociale de variantes — restriction ou dévernacularisation — est souvent accompagnée de changements sociopolitiques : contexte de langue majoritaire qui devient minoritaire, isolement géographique, perte de statut officiel, etc. Nous examinons la relation entre le français de la vallée du Saint-Laurent et les français issus de cette variété mais qui se développent à l’ouest de la vallée du Saint-Laurent à travers une série de phénomènes qui présentent une stratification sociale ou dialectale potentielle (ex. : vas/vais; pas/ point). Nous pourrons ainsi vérifier si la restriction à l’emploi de variantes sociales apparaît en contexte de langue minoritaire ou plus tôt, lorsque le français, encore majoritaire, est isolé géographiquement de sa variété souche. Le rythme de diffusion des changements permet aussi de mesurer la relation entre les variétés de français et l’impact de la mobilité, à différentes périodes.
Pour mesurer l’apport de facteurs externes ou internes dans le changement, nous intégrons des bases informatiques gérées par des logiciels pour l’interrogation croisée de données sociales et linguistiques; ces logiciels ont fait leur preuve dans des projets internationaux. Nous nous fondons sur le Corpus de français familier ancien (Martineau 1995-2006) que nous consoliderons. Notre équipe intègre des chercheurs chevronnés, spécialistes en linguistique (sociolinguistique, linguistique historique, morphosyntaxe, morphophonologie), en histoire (histoire des Francophones d’Amérique, histoire culturelle) et en ingénierie de la langue, qui ont l’habitude de travailler dans des perspectives complémentaires. Notre programme de recherche apportera une contribution importante du point de vue descriptif (une meilleure connaissance de l’état des français du Canada à date ancienne), théorique (les conditions de réanalyse, source du changement) et méthodologique (intégration des données sociales et linguistiques).
La notion de diversité et l’émergence de la narration féminine aux XVIe et XVIIe siècles
CRSH
Chercheure : Mawy Bouchard
Ce projet de recherche, subventionné par le CRSH, porte sur la notion de « diversité » que propose le théoricien italien Giraldi Cinzio dans le premier traité consacré à la poétique romanesque (Discorso intorno al comporre dei romanzi, 1554), notion que l’on retrouve dans l’ensemble de la production romanesque de la Renaissance française. La « diversité » concerne à la fois l’invention du texte et les caractéristiques socioculturelles du lectorat. Cette qualité propre à la narration vernaculaire constitue un ancrage à la fois de la topique romanesque et du discours poétique féminin. Les femmes auteurs de romans aux XVIe et XVIIe siècles (notamment Marguerite de Navarre, Hélisenne de Crenne, Marie de Gournay et Madeleine de Scudéry) ont recours à la notion de diversité pour atteindre, instruire et convaincre un plus grand nombre de lecteurs : leur roman sera certes amusant ou plaisant, mais il sera surtout lu et reçu par une société diverse dans ses composantes et ses attentes socioculturelles. Dans le cadre de ce projet de recherche, il s'agira avant tout de présenter et de situer la notion de diversité dans le contexte romanesque et féminin de la Renaissance et du XVIIe siècle.
L’imagination des modernes : de la croyance à la fiction. La poétique de l’irrationnel dans le roman du XVIIe siècle en France
CRSH
Chercheur : Michel Fournier
Bien que la culture dans laquelle nous vivons se caractérise par une vision rationnelle du monde, notre existence n’en est pas pour autant exempte d’irrationalité. Condamné ou dévalorisé dans la vie quotidienne, l’irrationnel trouve dans la fiction un lieu d’expression légitime et privilégié. Or, c’est en bonne partie au XVIIe siècle qu’émerge cette « culture de la fiction », où l’expérience fictionnelle et ses prolongements médiatiques semblent remplir un rôle naguère dévolu à la croyance. En prenant pour objet le roman du XVIIe siècle, ce projet cherche à comprendre comment prend forme ce passage de la croyance à la fiction.
Identité, altérité et éthique en littérature franco-ontarienne
CRSH
Chercheure principale : Lucie Hotte
Cochercheure : Johanne Melançon, Université Laurentienne
Cette recherche s’inscrit dans le renouveau des études sur la littérature franco-ontarienne et les littératures minoritaires en général qui cherchent désormais à aborder les œuvres en fonction de leur composante esthétique et qui remettent en question leur rapport à l’identitaire.
Depuis la célèbre définition de Gilles Deleuze et Félix Guattari des littératures mineures comme étant caractérisées par « la déterritorialisation de la langue, le branchement de l'individuel sur l'immédiat-politique [et] l'agencement collectif d'énonciation » (1975 : 33), les littératures minoritaires sont associées à l’engagement politique national des écrivains. On y voit d’abord et avant tout le lieu d’expression d’une collectivité qui affirme, dans ses œuvres littéraires, son identité, sa spécificité, qui y souligne les particularités de son rapport à l’autre majoritaire et dominant. Comme le remarque Annie Pronovost, la critique a dès lors privilégié, dans l’analyse des textes minoritaires, les « données circonstancielles qui provoquent les situations minorisantes : rapports de forces ethniques ou coloniaux, luttes de pouvoir, canons littéraires, rigidité ou faiblesse de l’institution, etc. » La littérature franco-ontarienne n’a pas échappé à cette lecture, bien au contraire.
Ce projet de recherche vise, dans un premier temps, à cerner comment le discours critique définit la littérature et la chanson franco-ontarienne en relation avec l’identitaire tant dans son rapport à soi que dans son rapport à l’autre. Afin d’atteindre ce but, nous nous proposons d’analyser le discours critique sur la littérature franco-ontarienne en général, soit celui qui tente de la définir (notamment les articles de Laure Hesbois, Paul Gay, René Dionne, Yolande Grisé, Robert Yergeau) et surtout les textes de Fernand Dorais et François Paré, qui ont tous deux joué un rôle fondamental dans les études littéraires franco-ontariennes. Ces deux critiques abordent la littérature franco-ontarienne dans des essais qui se prêtent bien à l’analyse. Leur approche de la littérature s’appuie fortement sur une éthique humaniste que nous définirons et dont nous soulignerons les enjeux.
Dans un deuxième temps, nous analyserons une sélection de chansons, la chanson étant un vecteur identitaire important en Ontario français, et de textes littéraires franco-ontariens en y étudiant la représentation de soi et de l’autre. Chaque analyse de texte cherchera à identifier l’évolution et les modifications des paradigmes de l’identité et de l’altérité. Il s’agira en fait de questionner les concepts, de cerner les enjeux qui en découlent. Pour ce faire, nous aborderons le corpus en fonction de trois moments clés : du début des années 1970 à la fin des années 1980, qui, avec l’avènement de la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario, du théâtre d’André Paiement, de la poésie de Jean Marc Dalpé et Robert Dickson, des chansons de CANO, a donné naissance à la lecture identitaire, la fin des années 1980 qui, avec la publication de la pièce Le Chien de Jean Marc Dalpé (1987) et du roman L’Obomsawin de Daniel Poliquin (1987) ainsi que la chanson « Notre place » de Paul Demers (1989), marque un tournant dans la représentation du soi et de l’autre; enfin les années 1990, qui, avec le théâtre de Patrick Leroux, les romans de Didier Leclair, entre autres, de même que la musique de Kif-Kif, Conflit Dramatik ou Afro-Connexion redéfinissent la question de l’identité en se fondant sur des paramètres ou des groupes de référence autres que ceux qui était communément admis.
Au moment où la mouvance sociale, dans le contexte de la globalisation, nous oblige à redéfinir les notions d’identité et d’altérité, il s’avère important de réfléchir à la place qu’elles occupent dans la définition des groupes et des littératures minoritaires. Toute définition identitaire risque de conduire à l’exclusion et à la ségrégation. Toutefois, faire abstraction de l’identitaire, n’est-ce pas vouer le groupe à l’oubli ? Aussi croyons-nous qu’une étude de la place qu’occupent le soi et l’autre dans le discours critique sur la littérature et la chanson franco-ontariennes permettra de mieux comprendre les enjeux auxquels font face les groupes minoritaires. La question de l’altérité et, conséquemment, de l’identité est au cœur même des débats contemporains. Elle s’avère d’autant plus pertinente dans le cas des groupes et des littératures marginales qui sont à la merci de l’homogénéisation des cultures.
Modéliser le changement : les voies du français
CRSH, programme Grands Travaux de recherche concertée
Chercheure principale : France Martineau
Fortement enracinée dans les structures sociales, la langue jouit d’une grande force identitaire. Le français, l’une des deux langues officielles du Canada, est aussi une langue parlée dans plusieurs pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique et des Caraïbes. L’idée du français comme la langue d’une mère patrie, la France, irradiant vers toutes les communautés étrangères qui l’utilisent, est révolue. Le français doit se percevoir comme une langue appartenant à tous ses locuteurs et se donner des normes de développement qui font la promotion de son identité à travers la diversité de ses formes. Cette évolution du français doit également déboucher sur une révision en profondeur de la définition de son identité. Depuis le XIIIe siècle, lorsque commença à s’affirmer la supériorité de la langue de Paris, jusqu’à la Révolution qui l’imposa comme fondement de la Nation, le français s’est toujours représenté comme une langue soucieuse de l’unicité de sa norme. Cette perspective voile une réalité importante : le français s’est toujours développé dans la diversité. Notre Grand Travail se présente comme un vaste chantier qui explorera la variété des formes du français en partant du moment où le français s’est implanté de façon durable au Canada (XVIIe-XVIIIe siècles) et en remontant ses racines jusqu’au Moyen Âge (IXe siècle).
Notre étude du français est essentielle pour construire un modèle théorique renouvelé du changement linguistique. Jusqu’à maintenant, l’histoire du français s’est construite pour la période qui nous intéresse à partir de deux sources principales : le discours à propos de la langue (grammaires, défenses et illustrations du français et autres textes de nature idéologique) et les grands textes littéraires (depuis la Chanson de Roland jusqu’à Racine ou Corneille). Sans négliger ces corpus, nous comptons aborder les questions fondamentales sur le changement par l’établissement d’un corpus représentatif d’une société plurielle en ajoutant aux corpus traditionnels des corpus touchant d’autres sphères de la vie sociale : archives judiciaires, notariales, traités, récits de voyage. L’élaboration d’un modèle informatique, prenant appui sur la technologie de pointe et des méthodes qui ont fait leurs preuves dans des équipes travaillant sur l’anglais médiéval et le portugais médiéval, permettra de gérer la complexité de la langue et d’articuler les conditions externes et internes du changement : la recherche d’équilibre en fonction des différents systèmes grammaticaux en compétition, les rapports dialectiques soutenus avec d’autres langues et les pressions externes provenant des affirmations identitaires des populations. Le modèle quantitatif et formel propre au français que nous développerons, parce qu’il s’intègre à un courant de recherche sur d’autres langues (anglais et portugais) créera une synergie unique : nous pourrons mesurer, pour des états de langue différents mais aussi pour des langues différentes, les configurations variables du changement.
La force de cohésion de notre équipe, constituée de chercheurs dans trois disciplines des sciences humaines (linguistique, littérature, histoire) et des sciences informatiques et mathématiques, répartis dans neuf pays (Canada, États-Unis, France, Danemark, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Brésil, Portugal), résulte d’une décennie de partenariats et de collaborations. Nous avons également établi des partenariats avec de grands centres d’archives et des organismes de recherche réputés (ARTFL, Centre ATO, Toposcan, Balsac/Laboratoire de géographie historique, Strathy Language Unit, Bibliothèque et Archives nationales du Canada, les Archives nationales du Québec à Québec, Les Archives Nationales du Québec à Montréal, la Division des Archives de l’Université de Montréal, le Centre d’études acadiennes de Moncton, les Archives départementales de Charente-Maritimes,) ainsi qu’avec la maison d’éditions Champion.
Appliqué au français, notre modèle permettra de répondre à des questions fondamentales sur le changement linguistique et sur les sociétés qui en sont la source. Quels sont les moteurs linguistiques et sociaux du changement? Comment se propage-t-il? Quels sont les effets du contact entre langues ou dialectes différents sur l’évolution d’une langue? Et comment les sociétés ont-elles géré le contact de langues? Comment définir le poids démographique de certains groupes, linguistiques ou sociaux, dans ce changement? Comment s’affirme une norme et une identité linguistique?La diversité linguistique est ancrée dans l’histoire même du Canada (langues des premières nations, bilinguisme des colons, contact entre l’anglais et le français, multiculturalisme). Déjà privilégié par cette perspective historique et par l’expertise canadienne sur le changement linguistique, le Canada consolidera son leadership en recherches fondamentales sur le français parmi les pays francophones. Ce Grand Travail aura des retombées importantes non seulement sur la communauté universitaire mais aussi à l’extérieur de celle-ci. Par une meilleure compréhension de son patrimoine linguistique, de sa diversité et de ses normes, la communauté canadienne pourra ainsi mieux se situer dans l’espace francophone actuel et proposer de nouvelles voies pour le français.
Les savoirs à l’œuvre dans le roman africain
CRSH
Chercheur principal : Kasereka Kavwahirehi
En saisissant le roman francophone d’Afrique subsaharienne dans la tension qui le situe entre le local et global, ce projet voudrait étudier les enjeux poétiques, idéologiques et épistémologiques liés à la mise à l’œuvre des « savoirs endogènes » et des savoirs institués, précisément ceux des sciences humaines et sociales, dans sa construction narrative.
Ce faisant, on veut montrer que, grâce à sa capacité de faire jouer ensemble, en les brassant ou en les laissant se remettre en question, des systèmes de savoirs et de valeurs qui, dans la logique binaire coloniale, étaient perçus comme incompatibles, le roman francophone africain postcolonial peut apporter un éclairage capital au processus de redéfinition et de réorganisation des savoirs et des valeurs et, par là même, concourir à la décolonisation des sciences humaines et sociales que les intellectuels africains appellent de tous leurs vœux. Dans le sillage de ce premier objectif, on veut aussi mettre en relief l’éclairage que le roman africain, qui se déploie dans l’interface entre le local et le global, peut jeter sur la politique culturelle de la globalisation et permettre une nouvelle compréhension de l’identité culturelle et des interactions transculturelles. Enfin, on voudrait montrer les limites de certaines théories et méthodes mobilisées dans le discours critique sur le roman africain et suggérer quelques voies pour les dépasser.
Il s’agit des théories dont le caractère monotopique — elles s’enracinent uniquement dans la tradition occidentale, qui a développé une conception particulière de l’écriture et un rapport tout aussi particulier au texte — ne permet pas l’éclairage de certains enjeux des textes dans lesquels s’effectue la reprise d’une tradition interrompue par l’impérialisme culturel occidental. Il en va ainsi de la théorie postmoderne de la fin des grands récits avancée par François Lyotard et des méthodes que certains critiques appliquent, comme à partir d’un point de Sirius, sur le texte africain sans en interroger les limites ou les présupposés. Le grand risque est alors d’étouffer la veine véritablement subversive qui irrigue le roman africain postcolonial, laquelle pourrait donner lieu à l’élaboration d’une nouvelle théorie du texte et de la littérature qui ne soit pas l’universalisation d’une tradition particulière.
(Re)lire le Cycle du Survenant de Germaine Guèvremont
CRSH
Chercheur principal : David Décarie , U. de Moncton
Cochercheurs : Lucie Joubert et Marcel Olscamp
Cochercheure : Lori Saint-Martin, UQAM
Écrivaine majeure de la littérature québécoise et canadienne, Germaine Guèvremont (1893-1968) est l'auteure du Cycle du Survenant (un recueil de nouvelles publié en 1942, En pleine terre, qui fut suivi de deux romans : Le Survenant, paru en 1945, et Marie-Didace, en 1947). Guèvremont a adapté et poursuivi ses romans à la radio et à la télévision, et ces séries, par leur immense popularité, ont largement contribué à transformer le Survenant en véritable mythe national.
Le radioroman Le Survenant (CBF 1953-1955) et le téléroman du même nom (CBFT 1954-1957) constituent davantage que de simples adaptations : ils contiennent en effet des intrigues et des personnages entièrement inédits. Les œuvres télévisuelles présentent un intérêt encore plus grand puisque la matière d’un troisième roman que prévoyait écrire l’auteure a finalement donné lieu aux deux dernières séries télévisuelles (Marie-Didace et Le Survenant, CBFT 1958-1960). L’auteure présente, dans ces séries, une nouvelle génération de personnages, notamment l’unique descendante des Beauchemin, Marie-Didace. Le Survenant lui-même, ancien combattant vieilli, revient dans la dernière série pour sceller le destin des Beauchemin. Or, le titre de notre projet le souligne, le Cycle de Guèvremont n’a jamais été lu dans sa totalité puisque le vaste corpus des textes radiophoniques et télévisuels était difficilement accessible.
La récente acquisition par Bibliothèque et Archives Canada des archives personnelles de Guèvremont permettra d'avoir accès à ces textes dans leur quasi-entièreté. Notre équipe de recherche se propose donc d’étudier, pour la première fois, le Cycle du Survenant dans sa totalité en privilégiant deux axes de recherche.
Nous étudierons d’abord la multiplicité des genres ainsi que leurs interrelations complexes. En élaborant une poétique des genres chez Guèvremont, nous serons à même de mieux saisir les enjeux de cette variété générique. D’autre part, les parties inédites du Cycle surprennent par leur contenu résolument féministe et cette nouvelle matière donnera lieu à une relecture du féminin chez l’auteure.
Nous comptons également innover dans le domaine de la textologie en publiant, dans le cadre d’une collection appelée « Cahiers G. Guèvremont », des éditions critiques des trois premières saisons du téléroman Le Survenant. Nos travaux de recherche et d’édition se feront conjointement et se nourriront mutuellement.
Intertextualité et idéologie : usages de la citation à l’époque romantique
CRSH
Chercheur : Rainier Grutman
Comme point de départ pour étudier le statut de l’intertextualité à l’époque romantique, objet du présent projet, on a choisi la mode (d’origine britannique mais fort répandue dans la France des années 1820 et 1830) qui consistait à orner chaque chapitre de roman d’une citation placée en exergue (dite « épigraphe »). Le corpus va de Nodier à Stendhal, en passant par Balzac (première manière), Hugo, Vigny et Mérimée. La multiplication des recours à autrui sous la forme de citation constitue une pratique pour le moins paradoxale à une époque vouée au culte du sujet créateur affranchi du joug des autorités classiques. À partir de ce constat, on visera à une meilleure connaissance de la littérature du xixe siècle, de son fonctionnement tant formel qu’institutionnel. D’abord, la pratique citationnelle est envisagée du point de vue formel de la poétique historique : que nous apprend-elle sur l’évolution du genre romanesque ? Ensuite, elle est étudiée de manière non anecdotique, mais comme une stratégie d’écriture révélatrice des positions (esthétiques, idéologiques) qu’occupent « épigrapheurs » et « épigraphiés » dans le champ littéraire. Prolongement des débats qui avaient lieu concurremment dans les revues, salons et cénacles, l’épigraphomanie, loin d’être un jeu purement formel et en quelque sorte gratuit, débouche sur une réflexion plus ample en jetant un autre jour sur l’inscription sociale d’une production romanesque encore peu reconnue.
Les discours économiques transnationaux et la mondialisation dans les médias et les textes de vulgarisation au Canada en comparaison avec l'Amérique latine : déplacements culturels et économiques
CRSH, programme des Initiatives de la nouvelle économie
Directeur : Patrick Imbert
Collaborateurs : Daniel Castillo-Durante (Université d'Ottawa), Amy Colin (University of Pittsburgh), Adriana Rizzo (Universidad Nacional de Rìo Cuarto, Argentine)
L'économique et le culturel mènent le monde. Parfois un mot ou une phrase ont un impact énorme. C'est le cas de l'attribut juif dans un cadre antisémite ou celui d'une personne qui se sent valorisée par un prêtre affirmant qu'elle est reconnue par Dieu.
Entre ces deux pôles propres à la modernité menant soit à l'exclusion soit à l'affirmation de l'individu, se manifeste l'influence des discours médiatiques liés à des changements culturels aux répercussions socio-économiques importantes. On pense à certains slogans qui nous font passer à l'ère du libéralisme économique et du postmodernisme : "Profits is not a dirty word", affirme le cimentier Lafarge dans Maclean's (22 mars 1982). Ce slogan est lié à " There is nothing permanent except change " (Business Week, 23 oct. 1978), recyclé de Héraclite par la pétrolière Conoco, offrant une nouvelle logique. Nous étudierons les nouveaux lieux communs et les arguments transformant les politiques nationales, dans le cadre de la dynamique postmoderne/postcoloniale et de l'économie mondialisée jouant de la compétitivité du libre échange économique et culturel.
La culture génère exclusion ou reconnaissance de l'altérité et permet de créer ou non une démocratie ouverte sur l'avenir favorisant ou non l'intégration sociale suivant que les discours économiques parviennent à reconnaître ou non la légitimité des différences et à se contextualiser dans les systèmes de valeur locaux ou réseautés. On analysera donc un corpus canadien des vingt dernières années (publicités dans les médias imprimés ou télévisuels, livres de vulgarisation économique, comme ceux du penseur canadien Tapscott, émissions économiques). On le mettra en relation avec un corpus de documents produits en Amérique latine durant la même période, afin d'évaluer les particularités des nouveaux discours et des déplacements des logiques identaires dans le cadre des réeseautages créant des solidarités nouvelles en fonction de valeurs transnationales et interculturelles.
On analysera donc les savoirs issus des textes, afin de saisir comment se construit ou peut être évitée l'exclusion et favoriser la production de significations multiples laissant une place à l'altérité. Cette production fonde un monde économico-culturel où l'individu, pour être efficace, parvient à s'affirmer dans la compétitivité économique et symbolique et à se reconnaître comme participant actif à son avenir.
Face à une situation ou mondialisation et hégémonie états-unienne se rejoignent souvent (Laberge), le but est, dans le cadre d'une société multiculturelle et sur un continent construit à partir de l'innovation culturelle, économique et technologique, de voir comment créer les conditions qui permettent de gérer des rencontres entre groupes ethniques (Maclure) et entre influences socio-culturelles transformées par l'accélération des rythmes et la multiplicité des réseaux et des sources de savoirs. L'intérêt est d'étudier les jeux de déplacements en relation avec la croissance des liens inter-américains et internationaux dans le contexte de la promotion du libre-échange et de l'Aléna, comme des liens à l'intérieur même du Canada et d'évaluer les transformations dans la construction de l'autre et dans les changements apportés dans les rapports de pouvoir.
Ancien et moyen français sur le Web : programme de recherche en analyse du discours
CRSH
Chercheurs : Pierre Kunstmann, France Martineau et Danielle Forget
Ce projet, subventionné par le CRSH (avril 2001), consiste à créer, développer et placer sur le Web un programme de recherche avancée dans le domaine des textes littéraires du moyen âge; ce programme, à la fois outil d’exploration et ensemble de données résultant de l’analyse des textes, sera installé sur le site du Laboratoire de Français Ancien (LFA) de l’Université d’Ottawa.
Le programme sera conçu et établi à partir de deux corpus (les oeuvres romanesques de Chrétien de Troyes, XIIe siècle, et le recueil des Miracles de Notre-Dame par personnages, XIVe siècle), qui nous permettront d’offrir aux spécialistes des moyens de travail inédits. L’outil présentera également des bases d’interrogations croisées (grammaticales, lexicales, thématiques), accessibles à toute personne intéressée.
Situé à un stade de recherche avancée, cet instrument nous permettra d’approfondir, avec nos collaborateurs européens, la problématique dans trois domaines : analyse des constructions verbales, lexique, parole rapportée.
Aucun programme de ce type n’existe actuellement sur Internet dans le domaine de la recherche en ancien et moyen français. Notre expérience de gestion de la base Textes de Français Ancien nous montre pourtant que la demande est grande de par le monde; si nous arrivons à la satisfaire, nous aurons bâti un programme précieux et indispensable pour l’étude plurielle (plusieurs problématiques, plusieurs disciplines) de l’ancienne langue. Nous destinons aux spécialistes des données fiables et des moyens de recherche performants couvrant un champ qui recoupe plusieurs disciplines : littérature, rhétorique, linguistique, histoire, anthropologie.
Édition des inédits de Jacques Ferron. Jacques Ferron inédit
CRSH
Responsable : Marcel Olscamp
Collaborateurs : Jean-Pierre Boucher (McGill), Pierre Cantin (Collège de l’Outaouais),Lucie Joubert, Pierre L’Hérault (Concordia University) et Ginette Michaud (Université de Montréal)
Ce projet constitue la seconde phase du projet « Jacques Ferron inédit. Enjeux et perspectives », subventionné par le CRSH de 1997 à 2000; il entend poursuivre la publication et la mise en valeur du Fonds Jacques-Ferron déposé à la Bibliothèque nationale du Québec (BNQ) en 1994. Notre groupe, qui a déjà plusieurs réalisations à son actif, veut faire connaître ces manuscrits — par le biais de publications annotées et commentées — et approfondir la connaissance du corpus ferronien par une série d‘études qui tiennent compte de ce nouvel apport. Ces ouvrages seront publiés dans une collection déjà existante, fondée dans ce but, il y a trois ans, par notre équipe de recherche. Sur le modèle des publications sériées européennes consacrées aux grands auteurs, les « Cahiers Jacques-Ferron » donnent à lire en effet, dans un apparat critique à la fois souple et rigoureux, les précieux inédits de l’écrivain tout en établissant clairement leur statut particulier par rapport aux œuvres publiées du vivant de l’auteur.
Notre projet contribue à l’avancement des connaissances de plusieurs manières :
Il rend accessible, par un travail clair et scientifique, un riche ensemble de manuscrits dont l’importance littéraire, sociale et historique ne fait aucun doute.
Comme nous nous intéressons principalement aux inédits du romancier et aux problèmes que leur édition soulève, les ouvrages que nous avons déjà publiés et ceux qui sont à venir invitent à poursuivre une réflexion sur la pratique de la génétique textuelle au Canada français.
De par la position centrale de Jacques Ferron dans l’évolution intellectuelle du Québec moderne, la publication de ses écrits et correspondances est à même de susciter la relecture d’une société. À cet égard, la publication de correspondances croisées — assez rare au Canada — nous permettra de jeter un regard neuf sur les milieux littéraires, sociaux et politiques dont le Dr Ferron fut un acteur important de 1950 à 1985.
Le projet, qui s’étale sur trois ans, permettra de mener à bien deux types de travaux :
L’établissement du texte et l’annotation de plusieurs manuscrits ferroniens — romans, chroniques, correspondances — accompagnés d’études et d’analyses de genèse qui approfondiront ce nouveau corpus en le situant dans le contexte plus large de l’œuvre du romancier.
Outre l’édition de ces manuscrits, la publication d’un ensemble d’ouvrages de référence (Actes d’un colloque international sur l’intertextualité ferronienne, bibliographie critique, inventaire descriptif du Fonds Ferron) destinés à favoriser et faciliter les travaux de recherches futurs dans le domaine des études sur cet écrivain.