Amour et théâtre au temps du numérique et du colonialisme

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Sheetala Bhat
Les bourses Arts sans frontières témoignent de l’engagement de la Faculté des arts envers l’équité, la diversité et l’inclusion. Ces bourses permettent actuellement à deux chercheuses émergentes de poursuivre leur recherche à l’Université d’Ottawa. La Faculté a rencontré l’une des boursières, Sheetala Bhat, pour discuter de ses travaux et de ses plans d’avenir.

L’amour est une source intarissable d’inspiration, en art comme en recherche. Il trouve son chemin jusqu’à notre cœur, et à notre cahier de notes, même lorsqu’on croit que tout a déjà été dit à ce sujet. Sheetala Bhat étudie la façon dont l’amour est mis en scène au théâtre en Inde et sur l’Île de la Tortue (nom que les peuples autochtones donnent au territoire formé par l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale). Plutôt que de considérer l’amour comme un sentiment universel souvent dépeint en contexte hétéronormatif, elle l’examine du point de vue du colonialisme.

Inspirée par les universitaires autochtones, elle utilise le terme « loveformance » pour décrire les manifestations de l'amour au théâtre, terme qu’on pourrait librement traduire par « amour en acte ». La chercheuse anichinabée Jill Carter lui a déjà dit que « l’amour n’est pas un sentiment, mais plutôt un acte, une performance ». Cette conception a influencé la façon dont Sheetala Bhat envisage l’amour, tant dans le sentiment d’appartenance à sa communauté que dans les relations entre les humains et le monde qui les entoure. L’amour s’est ensuite imposé à elle comme une façon plus large de penser le colonialisme.

Comme la plupart d’entre nous, la boursière a regardé de nombreuses prestations artistiques en ligne durant la pandémie. Une pièce de théâtre a particulièrement inspiré ses travaux : Kamloopa (2020), de Kim Senklip Harvey, qui a d’ailleurs remporté le prix du Gouverneur général pour la meilleure pièce de théâtre en anglais.L’histoire, campée sur la route 97 en Colombie-Britannique, en est une d’amour entre des femmes autochtones.  Bien qu’elle se situe dans un environnement reconnu pour sa violence coloniale, « la pièce refuse d’aborder ce sujet. Elle se concentre plutôt sur les rires ainsi que la quête de bonheur et de joie de ces femmes, et sur leur façon de prendre soin les unes des autres, faisant ainsi contrepartie aux stéréotypes et aux récits coloniaux où les femmes ne sont représentées que dans des contextes de violence », explique Sheetala Bhat. Kamloopa illustre bien comment une artiste autochtone utilise le concept de l’amour pour s’opposer aux normes artistiques colonialistes.

Or, l’amour est également au cœur des questions de justice sociale en Inde, le pays natal de Sheetala Bhat, où chaque célébration de la Saint-Valentin s’accompagne d’actes de violence de masse de la part de nationalistes hindous contre les femmes et les personnes queers, de même que les couples composés de personnes de castes ou de religions différentes. Ces actes entraînent par ailleurs des réactions de la part de mouvements féministes.

La boursière, qui a participé à la campagne Pink Chaddi en opposition à ces violences, peut en témoigner. C’est ce qui l’a poussée à s’intéresser davantage à la façon dont les forces coloniales manipulent l’amour vécu par les femmes et les personnes queers.

Sheetala Bhat

« Ma démarche se nourrit également de l’étude des manifestations d’un point de vue ethnographique et d’entrevues réalisées avec des artistes »

Sheetala Bhat

La bourse Arts sans frontières permettra à Sheetala Bhat d’étudier les prestations numériques d’artistes autochtones du partout au Canada et en Inde pour comprendre en quoi elles sont influencées par la surveillance coloniale et capitaliste des espaces numériques. Elle note depuis quelques années que ces prestations virtuelles migrent vers les théâtres et d’autres lieux de prestation physiques, et vers des manifestations dans les rues.

Depuis qu’elle s’est installée sur l’Île de la Tortue, Sheetala Bhat intègre de plus en plus le militantisme à ses recherches et à son quotidien, étant convaincue que la recherche et l’activisme doivent aller de pair. « Je vois les deux concepts comme un continuum, même si on tend à cantonner la recherche à l’université, et l’activisme à la rue et aux manifestations qui s’y déroulent », précise-t-elle.

Elle insiste également sur la nature interdisciplinaire de ses recherches, qui combinent les études autochtones aux études sur l’Asie du Sud et le postcolonialisme. « Ma démarche se nourrit également de l’étude des manifestations d’un point de vue ethnographique et d’entrevues réalisées avec des artistes », conclut-elle.

En plus de créer un groupe de recherche interdisciplinaire international pour explorer le nationalisme en action, la chercheuse postdoctorale souhaite mettre sur pied d’ici la fin de son stage une série d’ateliers qui seront suivis d’un colloque. Elle se réjouit également à l’idée d’assister à des pièces de théâtre au Centre national des arts et de patiner sur le canal Rideau cet hiver.

C'est un immense plaisir pour la Faculté des arts d'accueillir Sheetala Bhat au sein de la Faculté des arts et de profiter de ses contributions dans de nombreuses disciplines.