Nous avons le regret d’annoncer le décès de cette grande dame, emportée à l’âge de 92 ans et dont le souvenir de sa persévérance et de sa détermination à défier les attentes restera à jamais dans nos mémoires.
En 1957, lorsque Rose-Marie Perry demande à être admise dans le programme de common law, elle se voit brutalement rappeler les préjugés auxquels les femmes sont alors confrontées. En effet, les administrateurs du programme sont réticents à « attribuer une place précieuse » à une femme, craignant qu’elle ne finisse par abandonner la profession pour se marier et fonder une famille.
Dans 50 Years in Common Law: 2007 Tea and Talk for Women (« 50 ans en common law : thé et causerie entre femmes 2007 »), un exposé qu’elle présentera en 2007 à l’Université d’Ottawa, Mme Perry décrit son entretien d’admission avec le père Lorenzo Danis, membre des Oblats de Marie-Immaculée et principal responsable de la création et de l’administration de la Section de common law.
« Il m’a dit que je prenais la place d’un homme, que je me marierais, que j’aurais des enfants et que je ne pratiquerais jamais le droit. Aujourd’hui, j’affirme haut et fort avoir travaillé toute ma vie pour prouver au père Danis qu’il avait tort. J’ai été admise. J’ai pris la place d’un homme. »

Seule femme parmi plus de 40 étudiants, Rose-Marie Perry gagnera sa place et prouvera plus d’une fois aux gens qui doutaient d’elle qu’ils avaient tort.
Sa réussite n’est pas le fruit du hasard, mais découle plutôt de sa disposition à défier les attentes. Avant d’étudier en droit, elle était la seule femme dans un programme en sciences de trois ans au St. Patrick’s College. Elle dira plus tard qu’elle sentait le poids de la différence, mais qu’elle était habituée à cette situation.
Cela dit, il lui faudra surmonter bien d’autres obstacles que celui du nombre. À cette époque, les femmes qui fréquentent l’Université d’Ottawa sont confrontées à des préjugés tenaces, tant de la part des professeurs que des étudiants. À ce sujet, un article paru à l’époque dans le Fulcrum sur les attitudes des hommes à l’égard des étudiantes expose une réalité troublante : la présence de femmes sur le campus est souvent accueillie par la moquerie plutôt qu’avec bienveillance, et leurs capacités intellectuelles sont souvent mises en doute.
Mais Rose-Marie Perry persévère. Elle obtient son diplôme en 1960 et compte parmi les 22 personnes de sa cohorte qui terminent le programme. Puis elle entame une brillante carrière en droit de la propriété intellectuelle, domaine dans lequel elle deviendra une sommité.
En 1964, elle se joint à un cabinet maintenant connu sous le nom de Gowling WLG. Elle enchaîne les causes liées aux marques de commerce, au droit d’auteur et au dessin industriel, et gagne au fil du temps la confiance de clients multinationaux.
Son expertise et son leadership ne passent pas inaperçus. En 1974, elle devient associée chez Gowling Lafleur Henderson LLP, un exploit à une époque où peu de femmes occupent de telles fonctions dans de grands cabinets de droit.
En 1985, son apport à la profession est officiellement reconnu lorsqu’elle se voit nommée conseillère de la reine. En 2008, la Section de common law a le plaisir de l’introniser à la Société honorifique, la plus prestigieuse des distinctions octroyées par la Faculté de droit à sa communauté diplômée, et en 2012, elle reçoit la Médaille du jubilé de la Reine. Elle prend sa retraite de Gowling WLG en 2012, au terme d’une longue et illustre carrière.
En plus de son travail juridique, Rose-Marie Perry a joué un rôle influent au sein de l’Association internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (AIPPI), où elle a siégé à de nombreux comités et participé à des congrès mondiaux. Elle a contribué à modeler le droit de la PI et multiplié les rencontres avec ses pairs à l’international, qui la respectaient non seulement pour son expertise juridique, mais aussi pour sa chaleur et sa générosité.
Malgré toutes ses obligations professionnelles, Rose-Marie Perry avait une vie personnelle bien riche. Bénévole dévouée à l’église catholique romaine St. Anthony’s, elle offrait aussi des conseils juridiques pro bono à l’organisme de bienfaisance Les Servites de Marie d’Ottawa.
Elle adorait jardiner et prendre soin de ses chiens, qu’elle aimait beaucoup. Fière Italo-Canadienne, elle a souvent voyagé en Italie, toujours enthousiaste de renouer avec ses racines. On se souviendra également d’elle pour sa générosité et son hospitalité légendaire.
Ses réalisations ont ouvert la voie à des générations de femmes dans la profession juridique. À son entrée à la Faculté, celles-ci ne représentaient qu’une infime fraction de la population étudiante en droit; il faudra attendre en 1973 pour qu’elles constituent plus de 20 % des inscriptions en faculté de droit au pays. De nos jours, cette communauté est majoritairement féminine dans de nombreuses universités, y compris la nôtre, ce qui témoigne du chemin que des pionnières telles que Rose-Marie Perry ont tracé.
Aucune place dans une école de droit, un tribunal ou un conseil d’administration ne devrait être considérée comme trop précieuse pour une femme. Rose-Marie Perry aura démontré toute l’importance d’abattre les obstacles et le potentiel illimité des femmes dans la profession juridique.