Classe à part : Les apprentissages d’une étudiante à Genève sur le rétablissement et le maintien de la paix dépassent le cadre scolaire

Par Common Law

Communication, Faculté de droit

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L’histoire suivante a été rédigée par Mina Kittani (3L), étudiante en Common Law, dans le cadre de la série CLASSE À PART. Cette série présente des témoignages de première main sur des expériences d’apprentissage expérientiel ainsi que des tribunes écrites par nos étudiants.

Lorsque j’ai mis les pieds dans la salle de conférence à Genève, entourée de diplomates, d’universitaires, de militantes et de militants, j’ai réalisé que j’étais alors plus qu’une étudiante : j’étais témoin de conversations internationales sur l’avenir du monde. Cette occasion s’est présentée lorsque j’ai accompagné le professeur John Packer, titulaire de la bourse professorale Neuberger-Jesin, expert en résolution de conflits internationaux et conseiller spécial pro bono pour Conciliation Resources (une ONG londonienne œuvrant pour le maintien de la paix), lors d’une visite à Genève à la fin du mois de novembre 2024. Au programme : une rencontre sur la gestion de la diversité et la question des langues minoritaires en Syrie, des discussions sur la médiation des conflits d’autodétermination et la dix-septième session du Forum des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités.

Enjeux liés aux langues minoritaires en Syrie

La Fondation Berghof, un organisme non gouvernemental sans but lucratif de Berlin qui œuvre pour le maintien de la paix mondiale depuis la Guerre froide, était au cœur de l’une de ces activités. Connue pour ses approches novatrices dans la transformation des conflits, la Fondation a organisé un atelier pour expliquer les liens complexes entre la diversité linguistique, la diversité culturelle et le conflit actuel en Syrie. Si l’arabe est la langue dominante de ce pays, les minorités linguistiques – qui parlent notamment le kurde, l’arménien, le kabarde, l’assyrien, le syriaque, le chaldéen, le turkmène ou le grec – ont toujours pu conserver leurs pratiques linguistiques et culturelles. Toutefois, les différentes identités qui coexistent en Syrie sont aujourd’hui des catalyseurs de tensions et même de violences.

L’atelier portait sur la gestion de ces enjeux, indissociables du tissu politique et historique complexe du pays, dans le contexte actuel. Des questions politiques de haute importance ont été abordées, comme l’utilisation d’initiatives pédagogiques pour réunir les visions divergentes du (désormais ancien) gouvernement syrien et de l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES) dans le but d’obtenir un État unifié. La discussion a aussi porté sur la possibilité que la promotion de l’inclusion linguistique et culturelle crée un lien de confiance entre les factions divisées, surtout en l’absence de négociations officielles. En s’inspirant d’autres contextes, on a dégagé certains principes pour aborder les enjeux liés aux minorités dans le cadre de la médiation pour la paix, y compris le potentiel de réforme constitutionnelle et du système juridique, dans le but de reconnaître officiellement la diversité culturelle de la Syrie et de mettre sur pied, entre autres, un système d’éducation multilingue.

Langue, identité et médiation pour la paix

Les militantes et militants qui ont participé à l’atelier ont tenu à souligner les liens intrinsèques qui existent entre la langue, l’identité et le sentiment d’appartenance. Pour ces personnes, nier les droits linguistiques et culturels renforce les divisions sociales et la résistance. Leurs revendications pour la reconnaissance de ces droits ne sont pas symboliques, mais ancrées dans un besoin pressant de survie. Elles prônent essentiellement l’« unité grâce à la diversité », où la mosaïque culturelle de la Syrie serait accueillie comme une force plutôt qu’un sujet de discorde.

En tant que Canadienne d’origine kurde d’Iraq, j’avais un point de vue unique sur la situation. Je n’appartenais à aucune des catégories de participantes et participants, ce qui m’a permis d’aborder la conversation avec curiosité et dans une perspective plus large. Comme je suis polyglotte (je parle kurde, arabe, syriaque et anglais), je me suis sentie interpellée par le sujet, car j’arrive à comprendre les nuances relatives à la langue et à l’identité. De plus, mon expérience du multiculturalisme canadien favorise, chez moi, une ouverture à divers points de vue. Comme je ne suis pas concernée par le conflit, j’ai pu écouter et réfléchir – un luxe que les personnes directement et profondément touchées par les événements ne peuvent pas toujours se permettre.

Genre et perception dans les espaces diplomatiques

Être une jeune femme a façonné davantage mon expérience et la façon dont les autres me percevaient dans ces espaces, souvent dominés par des hommes à des postes de pouvoir. Mon absence d’autorité formelle ou d’affiliation directe avec le conflit semblait faire de moi une présence non menaçante, ce qui encourageait des conversations franches avec les participants, en particulier les dirigeants masculins. Cette dynamique m’a offert un avantage inattendu : je pouvais poser des questions et explorer des idées d’une manière qui n’aurait peut-être pas été possible pour quelqu’un perçu comme un égal ou un rival en matière d’autorité.

Médiation des conflits d’autodétermination

Dans les jours qui ont suivi, j’ai pris part à des rencontres et à des discussions sur la médiation des conflits d’autodétermination, une initiative menée conjointement par Conciliation Resources et l’organisme Sasakawa Peace Foundation, situé à Tokyo. Il y a notamment eu une rencontre au Centre pour le dialogue humanitaire, ainsi qu’une table ronde intergouvernementale à la Mission permanente du Canada auprès des Nations Unies à Genève, animée par Peter MacDougall, représentant permanent et ambassadeur du Canada. 

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De gauche à droite : Le professeur John Packer, Peter MacDougall, représentant permanent et ambassadeur du Canada, et Mina Kittani.

L’initiative, dirigée par Conciliation Resources avec les conseils du professeur Packer, portait sur les complexités tenaces des guerres d’autodétermination, lesquelles constituent aujourd’hui la moitié des conflits violents dans le monde. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la plupart des parties belligérantes dans ce genre de conflit ne cherchent pas à obtenir un État complètement indépendant, mais plutôt à protéger leur identité culturelle, leur bien-être économique et leurs droits et libertés fondamentales. Les peuples souhaitent généralement être maîtres de leur propre destinée. Et c’est en prenant conscience de ces motivations, plutôt qu’en observant seulement le conflit sous un angle géopolitique ou territorial, qu’il est possible de trouver des solutions durables qui conviennent à toutes les parties.

Perspectives des efforts mondiaux en résolution des conflits

Les participants à ces discussions ont apporté des perspectives issues de conflits à travers le monde, notamment en Géorgie/Abkhazie, au Cachemire et dans le sud de la Thaïlande. Leurs expériences communes ont mis en lumière un principe fondamental : une médiation efficace repose sur la compréhension et le traitement des causes profondes du conflit, la garantie d’une participation inclusive et la reconnaissance des griefs passés. L’initiative s’est également concentrée sur le développement d’outils pratiques et d’une expertise permettant aux acteurs concernés de surmonter ces défis et d’identifier des voies innovantes vers la paix.

L'importance de la diplomatie informelle

L’une des réalisations les plus frappantes de mon séjour à Genève a été la façon dont la diplomatie prospère non seulement dans les réunions officielles, mais aussi dans les moments informels — pauses café, dîners et conversations dans les couloirs. Ces interactions non structurées ont souvent permis des échanges sincères, où la confiance était établie, les histoires étaient partagées et un terrain d’entente émergeait. Dans ces espaces, loin des contraintes du protocole, j’ai vu le côté humain de la diplomatie — un rappel que certains des progrès les plus significatifs se réalisent en marge des discussions officielles, là où se les liens sont formés, les idées sont testées et les relations personnelles approfondies.

Forum des Nations Unies sur les enjeux liés aux minorités

Enfin, assister à la dix-septième session du Forum sur les questions relatives aux minorités du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a été une expérience inoubliable – une expérience qui m’a donné la chance inouïe de voir le travail de l’organisation. Assise dans une pièce remplie de leaders mondiaux, de militantes et militants, de représentantes et représentants gouvernementaux et communautaires, et de personnes spécialisées dans les enjeux pressants auxquels les minorités font face, je sentais tout le poids des conversations qui se déroulaient devant moi. Au nom de la Sasakawa Peace Foundation, le professeur Packer s’est exprimé brièvement – mais de manière très évocatrice – sur le droit à l’autodétermination. J’ai adoré explorer les coulisses des Nations Unies : marcher dans les couloirs et croiser des membres de délégations de partout dans le monde tout en étant témoin du bourdonnement de la diplomatie à l’œuvre.

Genève : une ville de diplomatie mondiale

La ville de Genève elle-même a enrichi mon expérience. Avec la proximité des bâtiments des Nations Unies, des missions politiques, des organisations internationales et d’une société civile dynamique, elle donnait l’impression d’être l’épicentre de la diplomatie mondiale. En arpentant ses rues, j’entendais des conversations dans d’innombrables langues et croisais des délégations venues du monde entier. Même une simple promenade à travers Genève révélait les strates de son histoire diplomatique. La visite du musée du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fut particulièrement émouvante, offrant un aperçu saisissant de l’héritage humanitaire profondément ancré dans la ville. À travers ses expositions retraçant l’impact des conflits à l’échelle mondiale et les efforts pour atténuer la souffrance humaine, le musée soulignait le rôle de Genève comme centre de la consolidation et du maintien de la paix.

L’agencement même de la ville semblait refléter l’interconnexion des défis abordés au sein de ses murs. Un rappel puissant que la diplomatie et la consolidation de la paix ne sont pas de simples idéaux abstraits, mais des réalités vécues, qui se déploient dans les salles de conférence, les couloirs et jusque dans les rues de cette ville remarquable.

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Le musée du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Une expérience d’apprentissage transformatrice

Mon séjour à Genève a énormément enrichi mon parcours et ma compréhension du droit international, de la résolution de conflits, ainsi que du rétablissement et du maintien de la paix. Loin d’être un simple voyage scolaire, cette expérience m’a permis de voir de visu la collaboration internationale dans toute sa complexité et d’être témoin des effets des politiques publiques sur les peuples. Que ce soit en prenant part à des discussions de haut niveau ou en explorant la riche histoire de la diplomatie à Genève, j’ai acquis un savoir qui ne s’apprend pas dans les livres. Je chérirai pour toujours les conversations, les rencontres et les leçons qui ont ponctué mon expérience. Elles m’habiteront pour le reste de mon parcours universitaire et me guideront dans mon désir de contribuer concrètement à la recherche de la paix et de la justice mondiales. Ce séjour restera pour moi un moment marquant de mon cheminement scolaire et personnel, un moment qui m’aura inspirée à voir grand, à écouter attentivement et à agir pour faire le bien.