De l'acquiescement au bannissement, petit aperçu de l'évolution de la tolérance des pratiques violentes à des fins d'éducation sur les enfants
Par : Ophelie Konsimbo
La civilisation gréco-romaine est considérée comme le berceau duquel sont nées les plus grandes théories qui sont nécessaires à la compréhension du monde actuel. Cependant, malgré l’intemporalité de certains concepts et préceptes, il y a un décalage entre les méthodes éducatives employées à l’attention des enfants en ce temps-là et celles tolérées aujourd’hui. En effet, dans ces sociétés, on note une omniprésence de la violence à usage éducatif. Dans un article intitulé « Violence ou douceur. Les normes éducatives dans les sociétés grecque et romaine », Bernard Legras examine sous l’angle philosophique cette violence institutionnelle faisant partie intégrante des mœurs.
Saint Augustin au IVe siècle de notre ère écrira ces mots dans La cité de Dieu pour qualifier son ressentis vis-à-vis de son enfance à l’école :« Qui ne serait horrifié, qui ne préférerait la mort, si on lui offrait de subir soit la mort, soit à nouveau l’enfance ». Cette citation a le mérite d’être explicite. Il faut dire que la société spartiate par exemple utilisait la violence éducative à des fins eugéniques, c’est-à-dire afin de sélectionner les éléments les plus forts et les plus résistants parmi les enfants. La finalité étant de former des citoyens aptes à la guerre et à la défense de la cité. Dès la naissance, commençait l’agôgê (terme utilisé pour désigner l’éducation spartiate). Les enfants les plus faibles ou présentant des difformités étaient d’emblée éliminés. Puis, tout au long de leur vie, ils étaient formés à l’obéissance à l’endurance et à la discipline. Ils subissaient régulièrement des sévices corporels tels que des coups de fouet. Ces sévices étaient infligés à titre de punition et étaient parfois obligatoires en vue de l’accession à un échelon supérieur au cours d’un rite de passage. Le film 300 nous offre un aperçu de ces pratiques. Dans les gymnases grecs qui étaient des lieux d’apprentissages pour les plus jeunes, ce n’est guère mieux. Les retards et les fraudes sont punis graduellement d’une « simple correction » ou d’une bastonnade sévère. A l’école romaine, la férule et le fouet (qui se perpétuent jusqu’au Moyen Âge) sont les compagnons fidèles des maîtres qui ont le statut d’éducateurs privés auxquels les parents avaient recours pour la formation de leur progéniture. Il ne s’agit plus ici d’une violence d’État, mais d’une violence cautionnée par l’État. L’usage de la violence était fait afin de permettre aux enfants de réaliser des progrès scolaires ou pour sanctionner leur mauvaise conduite. Dès cette époque, des penseurs minoritaires s’insurgent et plaident pour plus de douceur en milieu éducatif afin de rendre l’expérience plaisante pour les enfants. Il s’agit de penseurs tel que Horace, Martial ou Plutarque. Des limites légales commencent à être fixées. Dans la Lex Aquilia : « la trop grande sévérité d’un maître est regardée comme une faute de sa part ». L’une des manifestations de cette trop grande sévérité étant la crevaison de l’œil d’un apprenti par son maître.
Graduellement, la violence éducative va perdre de l’ampleur du fait de l’étude de ces conséquences physiques mais aussi de ces conséquences psychologiques. Le changement de perception de ce que représente un enfant, la prise en compte de l’enfant comme un sujet de droit sont aussi des aspects décisifs qui épaulèrent l’éradication de toute forme de violence à leur encontre.
Les atteintes à l’intégrité physique des enfants sont sévèrement punies par les textes nationaux et internationaux de nos jours.
Au-delà des conséquences visibles et palpables, la science a mis le doigt sur la myriade d’effets négatifs au plan psychologique que pourraient avoir des pratiques violentes sur l’éducation. L’enfant pourrait présenter un stress intense, un retard mental, des troubles cognitifs et une mauvaise estime de soi. C’est ainsi que l’humanité est passée de l’acceptation de la flagellation et des lacérations à des débats sur le bien fondé et l’interdiction de la fessée sur les enfants.
La complexité de l’article 43 du Code Criminel du Canada atteste de l’importance qu’accorde les autorités à la fessée, aux limitations et permissions établies par la Cour Suprême mais encore à l’encadrement de la pratique par les lois territoriales et provinciales.
Il y a malheureusement de nombreux enfants qui subissent encore des sévices graves plus proches des traitements inhumains et dégradants que de la nécessité éducative. Il est donc impérieux de relancer le dialogue international et de travailler sur les mentalités afin que chaque enfant puisse dire au sujet de l’école « comme j’ai douce souvenance… » du joli lieu de mon apprentissage.
Références :
- Legras, Bernard. « Violence ou douceur. Les normes éducatives dans les sociétés grecque et romaine », Histoire de l’éducation, n° 118, 2008, 11-34.
- Romano, E et al. « Childhood Maltreatment and Educational Outcomes »Trauma, Violence and Abuse, 16(4), aux pp 418-437.
- Zero to six Collaborative Group National Child Traumatic Stress Network Early Childhood Trauma Los Angeles and Durham NC: National Center for Child Traumatic Stress(2010).
- Convention Relative aux droits de l’enfant, 1989.