Instaurer une société québécoise bienveillante pour nos enfants : Les grandes lignes du rapport de la Commission Laurent

By: Marie-Pier Jolicoeur

Après deux ans de travaux, et quelques centaines de témoignages provenant, entre autres, d’organismes communautaires, d’intervenants du milieu, d’experts universitaires, d’avocats, et de citoyens, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, présidée par Régine Laurent, a rendu son rapport final contenant près d’une soixantaine de « recommandACTIONS ». Ce rapport constitue un volumineux document de plus de cinq cents pages et il est divisé en quinze chapitres. Certaines thématiques abordées concernent tous les enfants, par exemple la proposition d’adopter une Charte des droits de l’enfant et celle d’instaurer un Commissaire au bien-être et aux droits des enfants (chap. 1). D’autres chapitres abordent des questions plus spécifiques telles que les enjeux touchant les familles autochtones (chap. 9), les familles issues de l’immigration récente ou d’expression anglaise (chap. 10 et chap. 11), les impacts des conflits familiaux et de la violence conjugale sur les enfants (chap. 12), et l’humanisation des services de réadaptation (chap. 7).

Rappelons que le 30 avril 2019, le décès tragique d’une jeune fille à Granby avait fortement ébranlé toute la population du Québec. Sa mort avait soulevé des doutes importants sur la capacité du système de protection de la jeunesse québécois à protéger adéquatement les enfants en situation de vulnérabilité (Rapport, 2021, p. 13). Dans les mois qui ont suivi, d’autres drames familiaux sont survenus, provoquant l’incompréhension, la colère et surtout des remises en question profondes sur le système (Rapport, 2021, p. 13). C’est dans cette mouvance, en mai 2021, que le gouvernement du Québec a entrepris un chantier de réflexions sur la Loi sur la protection de la jeunesse, le rôle des tribunaux, des services sociaux et des autres acteurs concernés afin que, dans l’avenir, nous protégions mieux les enfants québécois. Le gouvernement provincial a ainsi mis sur pieds la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

Faire du bien-être des enfants un projet de société

Le rapport final souligne que tous les individus ont un rôle à jouer dans l’épanouissement des enfants (Rapport, 2021, p. 30). Le pédiatre Gilles Julien, figure engagée pour la protection de la santé et le développement de l’enfant par le biais de la Fondation Dr Julien, utilise une expression très révélatrice, soit celle du « cercle protecteur des enfants » (Rapport, 2021, p. 31). Cela signifie que chaque citoyen a la responsabilité d’être attentif aux signes de détresse de tous les enfants, et de faire un signalement à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en cas de soupçons au fait qu’un enfant soit victime de maltraitances. Le rapport propose de renforcer, rehausser et compléter une trajectoire robuste de services de proximité́ à la famille, et ce, de manière prioritaire (chap. 2), de faciliter l’échange d’information pour mieux servir l’intérêt de l’enfant (chap. 3), et d’améliorer le processus de traitement des signalements (chap. 4). En adéquation avec l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant qui consacre le droit de l’enfant de participer aux décisions qui le concerne, le rapport suggère de rendre obligatoire la prise en compte de l’expression de l’enfant dans son projet de vie : « Cette prise en compte peut se faire par les paroles, les gestes, les attitudes ou le comportement de l’enfant. Cette obligation est pour tous les acteurs, sociaux et judiciaires, qui sont appelés à prendre des décisions dans la vie de l’enfant. » (chap. 5). De plus, l’intervention judiciaire auprès de la famille devra dorénavant être des plus collaborative, participative et adaptée (chap. 6).

La protection des enfants passe aussi par une valorisation, un soutien et une reconnaissance du travail des intervenants de la protection de la jeunesse. Il semble nécessaire de revisiter leur formation, l’organisation et leur charge de travail, etc. (chap. 13). Le rétablissement d’un leadership fort en services sociaux, fortement ébranlé par la réforme de 2015, semble urgent (chap. 14), et un investissement massif dans les services de prévention une clé pour un système plus efficient et protecteur (chap. 15). En ce sens, plusieurs témoins ont insisté sur l’importance de soutenir adéquatement les programmes jugés efficaces dans le domaine de la prévention, insuffisamment soutenus en termes d’investissement. Au final, cet investissement permettra de diminuer les coûts du système de protection de la jeunesse (Rapport, 2021, p. 410).

En somme, la province du Québec doit passer d’un « Québec fou de ses enfants » (Rapport Bouchard, 1999), titre donné en 1999 au rapport d’un groupe de travail du Ministère de Santé et des Services sociaux, à, en 2021, un « Québec digne de ses enfants ». Espérons que le Québec aura le moyen de ses ambitions et que ce rapport aura un impact significatif sur l’amélioration du système de protection de la jeunesse au Québec. Comme l’a déjà affirmé la professeure et experte des droits des enfants Cindy Blackstock (2017, p. 125) : « les enfants méritent nos plus grands et diligents efforts » et les conclusions du Rapport de la Commission Laurent sont une occasion de le démontrer.

Bibliographie

Blackstock, Cindy. (2017). The United Nations Committee on the Rights of the Child: Does its structure and working methods optimize efficacy and promote child participation? Canadian Journal of Children’s Rights, 4(1), 116-126.

CRC, N. U. (2010). Convention relative aux droits de l’enfant

Gouvernement du Québec (2021), Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes - Rapport de la Commission spécialise sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, avril 2021 en ligne : https://www.csdepj.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport_final_3_mai_2021/2021_CSDEPJ_Rapport_version_finale_numerique.pdf (PDF; 10.97 Mo)

Institut de la statistique du Québec (2021), Estimations de la population des MRC selon le groupe d’âge et le sexe, âge médian et âge moyen, Québec, 1er juillet 1996 à 2020, <https://statistique.quebec.ca/fr/document/population-et-structure-par-age-et-sexe-municipalites-regionales-de-comte-mrc>.

Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ c P-34.

Loi sur les commissions d’enquête, RLRQ c C-37

Québec (Province). Groupe de travail pour les jeunes, & Bouchard, C. (1998). Un Québec fou de ses enfants: Rapport du groupe de travail pour les jeunes. Gouvernement du Québec, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Direction des communications.