Par : Claire Coenen
D’après un rapport révisé en octobre 2018 rendu par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dix pour cent des mères québécoises ont vécu au moins une violence physique ou sexuelle exercée par leur conjoint, durant la période de pré-grossesse, grossesse ou après-grossesse. Ce rapport nous apporte une définition de la violence conjugale, sous ses différentes déclinaisons, et développe la transition à la parentalité, source de tensions et de conflits dans un couple (Lévesque (PDF; 1.11 Mo), 2018).
Ces violences traumatiques rappellent la Convention relative aux droits de l’enfant, et plus particulièrement son article 19 consacrant une obligation des Etats de prendre des mesures « pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle (…) ». Cet article illustre les évolutions en termes de conscience collective quant à la nécessité de reconnaitre les impacts de tout traumatisme sur l’enfance. Cependant, cette avancée en termes de protection de la jeunesse ne pointe pas du doigt les diverses situations de stress maternel post-traumatique, et plus précisément les traumatismes prénataux.
En effet, la professeure Langevin nous explique que le fœtus n’est pas reconnu comme étant un sujet de droit au Canada, lui ôtant alors l’accès aux différents droits proclamés par les conventions et les chartes, tels que le droit à l’intégrité ou le droit à la vie. Néanmoins, nous pouvons retrouver dans différents systèmes juridiques provinciaux canadiens la reconnaissance au fœtus de quelques droits. Par exemple, grâce à ces constructions juridiques, nous avons pu créer, dans l’affaire « Montreal Tramway c. Léveillé », un précédent jurisprudentiel en termes de responsabilité pour « préjudice causé in utero » (Langevin, 2004).
Or, malgré l’absence de réglementation en tant que telle à l’égard des traumatismes prénataux, plusieurs experts ont démontré dans différentes disciplines l’importance de ces derniers et leurs conséquences à long terme sur l’enfant né par la suite. Les chercheurs Suzanne King, Yannick Marsolais et David P. Laplante ont démontré, à travers leur Projet Verglas, la nécessité de reconnaitre les effets du stress maternel prénatal sur le développement cognitif, physique et comportemental des enfants. A partir d’une étude quantitative basée sur la crise du verglas au Québec en 1998, ils ont démontré que « le stress lié à la crise du verglas s’est avéré assez important pour entraîner des effets mesurables chez les enfants l’ayant vécu in utero ». Selon eux, leurs résultats pourraient être étendus « à certains événements personnels vécus pendant une grossesse, tels que la violence conjugale ou d’autres événements difficiles ». Lesdits chercheurs exposent différents cas de stress maternel prénataux et leurs conséquences, notamment des complications obstétriques, des naissances prématurées et des maladies mentales liées à la perte d’un parent durant la période in utero. Ces chercheurs ont permis de comprendre comment les aspects objectifs, subjectifs et hormonaux de l’expérience du stress peuvent influencer la grossesse et le fœtus (King, Marsolais et Laplante, 2007).
De plus, une équipe de chercheurs universitaires a publié en 2017 une étude permettant de déterminer comment des expériences traumatiques « permettaient de prédire la santé mentale prénatale de la mère et la régulation du stress infantile dans des conditions de guerre ». Lesdits chercheurs ont étudié le cas d’environ 500 mères palestiniennes ayant déclaré avoir été victimes de traumatismes de guerre actuels et les conséquences en termes de symptômes de dépression. Ils tentent de déterminer si les évènements traumatiques de guerres particulièrement dommageables pendant la période prénatale sont nuisibles à la santé mentale des enfants après leur naissance. Cette recherche démontre à nouveau combien nous sommes amenés à devoir nous intéresser au stress maternel prénatal dans notre société étant donné les différents conflits armés sévissant actuellement (Isosävi, Diab, Kangaslampi, Qouta, Kankaanpää, Puura et Punamäki, 2017).
Par conséquent, il serait peut-être intéressant aujourd’hui d’inscrire de manière plus approfondie cette conscientisation, révélée dans les disciplines médicales, psychologiques et criminologiques, des répercussions du trauma prénatal sur l’enfant dans le système juridique international. Par exemple, en incluant les traumatismes prénataux dans la liste des différentes formes de violences établie par l’article 19 de ladite Convention, amenant alors à une sensibilisation de la société à cet égard. Bien que cette Convention ne traite pas des fœtus, elle pourrait éventuellement réglementer les traumatismes prénataux sous l’angle d’une protection attribuée à l’enfant né lui-même, étant donné les répercussions a posteriori desdits traumatismes sur son développement après sa naissance.
Références :
Diab, S., Isosävi, S., Kangaslampi, S., Kankaanpää, S., Punamäki, R.-L., Puura, K. et Qouta, S. (2017), Maternal trauma affects prenatal mental health and infant stress regulation among Palestinian dyads. Infant Mental Health Journal, 38(2), pp. 617-633.
King, S., Laplante, D. et Marsolais, Y. (2007), Les effets du stress maternel prénatal sur le développement cognitif des enfants : Projet Verglas. Institut National de Santé Publique du Québec.
Langevin, L. (2004), Entre la reconnaissance et la protection : la situation de l’embryon et du fœtus au Canada et au Québec. Revue internationale de droit comparé, Vol. 56 (1), pp. 39-75.
Lévesque (PDF; 1.11 Mo), S. (2018), Violence conjugale. Institut National de Santé Publique du Québec.