Perspectives d’un praticien en droit des enfants : Rencontre avec le procureur Me David Fonseca
By: Marie-Pier Jolicoeur
La présente entrevue a été réalisée au printemps 2021 auprès de Me David Fonseca, un avocat qui, dans sa pratique actuelle, représente uniquement des enfants devant la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, en application de la Loi sur la protection de la jeunesse. Confronté au quotidien à des cas d’abus physiques, d’abus sexuels, de négligence et de toxicomanie, il a eu la gentillesse de nous accorder un peu de son temps pour une entrevue informelle sur l’exercice de sa profession exigeante, mais tout à fait indispensable et passionnante.
- D’abord, dites-nous, en quelques mots, ce qui vous a amené à exercer à titre d’avocat principalement auprès des enfants?
Je dirais que je ne me suis pas dirigé moi-même vers le droit des enfants, c’est le droit des enfants qui est venu vers moi. Je travaillais déjà au contentieux de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) au Québec et j’ai décidé de me joindre à l’équipe de l’Aide juridique pour représenter uniquement des enfants. Une opportunité s’est présentée, et je l’ai saisi.
Ayant déjà une expérience pertinente à la DPJ, ce qui m’a motivé, c’est la possibilité de côtoyer les enfants, de faire valoir leurs intérêts devant les tribunaux, et de mettre mes connaissances juridiques à leur service. Là où je travaille, nous sommes cinq procureurs qui représentent uniquement des enfants.
- Quelles seraient les plus grandes qualités à posséder pour être juriste auprès des personnes mineures?
Je crois que ça prend plusieurs qualités humaines et cognitives. C’est une fibre d’être procureur aux enfants. Il faut que tu sois un passionné, à l’écoute et capable de te mettre à la place de ce que vit l’enfant, selon sa perspective et son âge. Je dirais qu’il faut de l’empathie. C’est aussi d’être capable de se détacher et de prendre un pas de recul, tout en étant apte à se mettre dans la peau des autres et vouloir ce qu’il y a de mieux dans leur situation.
En tant que procureur aux enfants, je suis toujours à la Cour. Il est donc clair qu’il faut aimer plaider. Il faut également avoir une bonne hygiène de vie, car je travaille souvent de bonne heure le matin, et parfois jusqu’à tard le soir
Je pense que l’on se doit aussi d’être ferme et solide dans ses prises de position; on ne doit pas se laisser influencer par les situations et les personnes, et ce, en fonction de la gravité des dossiers (abus physique, viol, négligence, etc.).
- Parlons un peu de la pandémie maintenant. Comment cette dernière a-t-elle affecté votre pratique dans la dernière année et demie?
Les effectifs judiciaires ont été réduits au début de la pandémie. Les enfants ont aussi cessé d’aller à l’école à un certain moment. Nos meilleurs yeux et nos meilleures oreilles, ce sont les milieux scolaires, et les garderies. Ce qui est arrivé, c’est qu’il y avait beaucoup moins de signalements, mais cela ne voulait pas dire qu’il y avait moins de maltraitance. Le silence était plutôt inquiétant.
- Parlez-nous un peu de la voix des enfants devant les tribunaux. Comment leur représentation est-elle assurée dans le processus judiciaire?
Le procureur aux enfants jouit d’une grande indépendance. J’ai le droit, en tant que porteur de ses intérêts, de rencontrer mon client, qu’il ait seize ans ou huit ans, à mon bureau. Si quelqu’un s’y oppose, je peux même déposer une demande en justice en vertu de l’article 80 de la LPJ. Cet article assure qu’un enfant ait un procureur qui soit indépendant, en tout temps, présent pour le représenter.
Les parents ne peuvent pas s’immiscer dans la conduite de mon mandat. Le procureur de l’enfant n’est pas lié par la position des parents. Selon son âge, l’enfant pourra me mandater. J’ai déjà plaidé pour un enfant qui venait de naître. Ce mandat sera légal ou conventionnel.
- Finalement, quels sont les principaux défis et les enjeux que vous voyez pour le présent et pour l’avenir dans le secteur du droit de l’enfance?
Il y a plusieurs enjeux. Les parents contestent bien souvent, et ce, avec raison puisqu’ils sont très informés sur les réseaux sociaux, et ils se font des groupes virtuels dans lesquels ils se racontent leur propre dossier. Donc, la complexité des dossiers augmente de plus en plus.
Les enfants de la protection de la jeunesse, c’est malheureusement parfois une roue qui tourne. Certains enfants ont vécu des carences et des épreuves extrêmement difficiles quand ils étaient jeunes, et se retrouvent un jour à être parents à leur tour. Les parents que je rencontre dans ma pratique, ne sont pas souvent ceux qui ont un désintérêt total envers leurs enfants. Il y en a plusieurs qui aiment leurs enfants, mais qui ne savent pas comment les aimer.
Finalement, je dirais que l’intérêt de l’enfant peut parfois être dilué par des considérations administratives. Moi, comme avocat, j’essaie de pratiquer mon métier en me concentrant sur l’intérêt de l’enfant, mais je ne cacherai pas qu’il y a des défis pour l’avenir au niveau de la gestion du système en lui-même.
Merci, Me Fonseca, d’avoir pris le temps de répondre à mes questions, et au nom du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits des enfants, merci de travailler à préserver et promouvoir l’intérêt des enfants!