Au cœur du projet, on trouve Étienne Trépanier, avocat-cinéaste en résidence et conseiller en plaidoirie visuelle. D’ordinaire conseiller juridique à Justice Canada, le documentariste d’expérience travaille depuis bientôt un an avec son alma mater à créer du contenu audiovisuel bilingue et engageant pour démocratiser les connaissances en droit, un projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps.
Sa vision d’avant-garde et son engouement ont incité la doyenne de la Section de droit civil, Marie-Eve Sylvestre, à nouer un partenariat sans précédent avec le ministère de la Justice pour faire sortir le savoir juridique des vases clos et enfin mettre l’image au service du droit.
« C’est un projet qui permet de donner toute la visibilité qu’elle mérite à la recherche novatrice souvent interdisciplinaire et résolument engagée qui se fait à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, et à l’expertise exceptionnelle des juristes du ministère de la Justice du Canada », de souligner la doyenne à l’occasion du lancement de l’initiative.
« L’Université d’Ottawa a été précurseure et visionnaire avec la création de la plateforme Jurivision », d’ajouter la sous-ministre de la Justice et sous-procureure générale du Canada, Me Nathalie Drouin. « Cette plateforme propose une nouvelle façon d’apprendre sur le droit et la justice. Elle offre une façon plus interactive et engageante de partager notre savoir au sein de la communauté du droit, et peut-être même à plus grande échelle. On pourra maintenant entendre des professionnels de la justice raconter leur histoire dans leurs propres mots. »
De Gutenberg à YouTube
La façon dont nos sociétés consomment l’information change, et les attentes du public aussi. À défaut de réinventer leur façon de diffuser leur contenu, les institutions publiques voient la Toile s’abreuver de renseignements qui ne touchent qu’à la surface d’enjeux complexes, voire chavirer dans la désinformation.
Alors, par où commencer à faire rayonner les connaissances basées sur la recherche? « L’idée, au fond, c’est d’occuper les espaces algorithmiques, » explique Étienne Trépanier, qui mise sur les codes du film documentaire et de la capsule pour aller vers le grand public. « Beaucoup des choses que l’on consomme nous sont présentées par des algorithmes. Si les productions audiovisuelles fondées sur le savoir ne sont pas présentes, ce sont d’autres informations qui seront communiquées. »
En accompagnant les vidéos de textes descriptifs, il s’assure de faire ressortir ses billets visuels dans les résultats des moteurs de recherche. Une fois sur Jurivision, les internautes trouveront la vidéo, les publications sur lesquelles elle se base, la jurisprudence connexe et d’autres ressources sur le Web pour quiconque souhaite approfondir la question.
Un projet interdisciplinaire à dimension humaine
La plateforme n’aurait pu voir le jour n’eût été le travail phénoménal de l’équipe composée des vice-doyennes à la recherche Margarida Garcia et Jennifer Quaid, de la doyenne adjointe à la recherche Cintia Quiroga, du stratège en communications Andrew Kuntze, de l’agent en communications numériques Patrick Walton et de l’adjointe administrative Natalie Carter. C’est grâce à ce groupe multidisciplinaire que l’architecte du projet a pu rallier la communauté du droit à l’idée de transposer leurs travaux et leur vécu en images.
Ensemble, l’équipe a jeté les bases de quatre grandes catégories de billets vidéo : JuriExpérience, qui s’intéresse au parcours de juristes; JuriSavoir, qui met en valeur le contenu tiré des publications savantes; JuriMétho, qui révèle toutes les phases d’un processus de recherche; et JuriDocs, qui explore des sujets précis en profondeur.
Les témoignages recueillis sous ces formats nous livrent non seulement des contenus d’une grande pertinence, mais nous rapprochent des gens derrière la profession; ils donnent un visage à la fonction publique, au corps professoral, à la magistrature. Ils illustrent en quoi consiste une carrière dans le milieu juridique et dévoilent l’enthousiasme qui anime la communauté de pratique et de recherche.
« Les chercheurs et juristes sont généralement passionnés par leur sujet, et les entretiens génèrent de vraies perles », constate Me Trépanier.
Cette formule appelant à vivre la recherche à travers des histoires personnelles a ravi les partenaires qui se sont lancés dans l’aventure.
« On entre dans une nouvelle ère de mobilisation des connaissances juridiques, où, dans une posture de curiosité, de créativité et d'humilité, nous découvrirons la force d’avoir différentes voix pour approfondir ensemble notre compréhension des enjeux sociaux de notre temps », signale Margarida Garcia.
Un virage qui tombe à point
Créée sur fond de COVID-19, la plateforme regroupe un certain nombre de chroniques portant sur les bouleversements qui ont marqué notre société au cours des derniers mois. Ses billets, tels que Les droits prioritaires en santé et sécurité du travail en temps de pandémie, Alimentation – concepts juridiques et défis et Les pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux en temps de pandémie, ont entre autres servi à la prestation d’un cours sur la COVID-19 à la Faculté de droit à l’été 2020.
« La crise de la COVID montre à quel point les décideurs publics ont besoin de la recherche et de données probantes pour être guidés et prendre des décisions utiles efficaces et positives pour l’ensemble de la société à tant de plans différents, que ce soit la santé, l’éducation ou le bien-être de la population », souligne Cintia Quiroga, qui voit en Jurivision une excellente démarche pour transmettre ce savoir aux organismes décisionnaires.
Et selon elle, la communauté universitaire était mûre pour ce changement. « Il est normal qu’à mesure que les chercheurs changent leur façon de faire de la recherche, ils aient le goût de la partager différemment. C’est presque une évolution naturelle. Notre recherche étant désormais plus inclusive et démocratique, on veut utiliser des outils plus inclusifs et démocratiques qui sont accessibles à l’ensemble de la population. »
Perspectives d’avenir
Le lancement derrière elle, l’équipe de Jurivision replonge maintenant dans sa longue liste de projets en cours et à venir. Dans les prochains mois, elle mettra en ligne le volet Visio-formation de la plateforme, des vidéos de formation continue destinées à la communauté juridique, mais dont des versions condensées seront mises à la disposition du grand public.
On y trouvera également une série intitulée « Les entretiens de la doyenne », dont le premier chapitre est déjà disponible en ligne : une rencontre avec le juge en chef du Canada, le très honorable Richard Wagner, pour discuter de sa vision de l’accessibilité à la justice. Une collaboration avec la Revue générale de droit est aussi en chantier.
Chose certaine, le virage audiovisuel est bien amorcé à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. L’appel est d’ailleurs lancé à la communauté de recherche, que l’on invite à communiquer avec l’équipe de Jurivision pour amorcer des projets de tournage.
« En droit, la tendance est de réfléchir de façon très linéaire - papier, écriture. Or, ça garde l’information juridique en vase clos. Il est grand temps pour les juristes d’explorer ailleurs et d’apprendre à lire et à écrire avec des images », conclut Étienne Trépanier.