La course aux minéraux « critiques » et la justice environnementale pour les peuples autochtones

Par Sophie Thériault

Professeure titulaire, Faculté de droit - Section de droit civil

Sophie Thériault
Droit de l'environnement
Environnement
Droits des autochtones
Camion transportant du minerai
Face à la crise climatique et en réponse à leurs engagements internationaux en matière de réduction des gaz à effet de serre, de nombreux pays, dont le Canada, ambitionnent de propulser la transition énergétique en investissant massivement dans les secteurs des énergies renouvelables, de même qu’en accélérant l’électrification des transports. Souvent qualifiées de « vertes », ces technologies « de substitution » requièrent toutefois l’extraction et la transformation de quantités toujours plus considérables de ressources naturelles. Il en est ainsi des minéraux dits « critiques » - tels le lithium, le nickel, le graphite, le cobalt et le cuivre - requis aux fins notamment de la fabrication des batteries alimentant les véhicules électriques, des turbines éoliennes, et des panneaux solaires, minéraux qui suscitent un fort engouement de la part des États et des industries.

Si la transition énergétique globale est susceptible de contribuer à la lutte contre les changements climatiques, il n’en demeure pas moins que le développement des minéraux critiques comporte des risques écologiques et sociaux considérables pour les communautés vivant à proximité des gisements convoités. Il en va ainsi notamment pour les peuples autochtones qui sont exposés à une pression accrue des activités minières sur leurs territoires traditionnels, activités dorénavant promues par les gouvernements et les acteurs industriels sous le couvert de l’urgence climatique et de l’impératif de décarboner rapidement l’économie.

Les discours sur les minéraux « critiques » dans le contexte de la transition énergétique

Ces dernières années, les gouvernements du Canada et de plusieurs provinces et territoires, à l’instar de nombreuses autres juridictions dans le monde, ont adopté des plans et stratégies visant à stimuler les investissements et à accélérer le développement de la « chaîne de valeur » des minéraux critiques. Ces politiques publiques justifient l’urgence d’exploiter les minéraux critiques en insistant sur le caractère « vital » de ces ressources aux fins de la transition énergétique, de même qu’en soulignant le rôle crucial que le Canada est appelé à jouer, à titre de fournisseur « stable », « éthique » et « durable » dans la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques pour ses propres besoins et ceux de ses « alliés ». Ces discours trouvent par ailleurs écho dans ceux diffusés par les entreprises minières et les associations représentant leurs intérêts, lesquels présentent l’industrie minière comme actrice essentielle de la transition énergétique et de la lutte contre les changements climatiques.

Il ne fait toutefois aucun doute que la volonté des gouvernements et de l’industrie minière de saisir « l’occasion générationnelle » que présentent les minéraux critiques aux fins de décarboner l’économie repose toujours primordialement sur les logiques de croissance économique et de maximisation du profit propres au secteur minier « traditionnel ». D’aucuns désignent d’ailleurs les logiques sous-jacentes à l’intensification de l’activité minière aux fins de la transition énergétique par les termes d’extractivisme « vert » ou « climatique ».

Les implications de la ruée vers les minéraux critiques pour les droits des peuples autochtones

Au Canada comme dans plusieurs autres pays, les réserves connues ou potentielles de minéraux critiques sont pour la plupart situées sous ou à proximité des territoires traditionnels des peuples autochtones. Il en découle que la convoitise pour ces minéraux engendrée par la transition énergétique risque d’accélérer encore davantage la dépossession historique des peuples autochtones et de compromettre durablement la jouissance et l’exercice de leurs droits territoriaux, réalités toutefois largement occultées par les discours portés par les gouvernements et l’industrie minière afin de justifier le développement des minéraux critiques.

Dans les stratégies canadiennes relatives aux minéraux critiques, les peuples autochtones sont généralement dépeints comme des « partenaires » souhaitant participer au développement de ces ressources et aux bénéfices résultant de leur exploitation, plutôt que comme des titulaires de droits territoriaux exerçant une autorité inhérente sur leurs territoires traditionnels. La compatibilité présumée entre les intérêts miniers et ceux des peuples autochtones qui émane de cette approche « partenariale » pourrait s’avérer difficile à concilier avec les droits des peuples autochtones, notamment avec les droits à l’autodétermination et au consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones enchâssés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Rappelons que le Canada de même que la province de la Colombie-Britannique se sont formellement engagés à mettre en œuvre la Déclaration dans les domaines relevant de leurs compétences.

Qui plus est, les droits des peuples autochtones, y compris ceux consacrés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sont susceptibles d’être compromis par les mesures mises en place par les gouvernements afin de promouvoir la « compétitivité réglementaire » et de faciliter les projets liés aux minéraux critiques, consistant notamment à « rationaliser » les processus administratifs et les mécanismes de protection environnementale et de participation citoyenne. Dans la plupart des provinces et territoires, ces mesures s’inscrivent par ailleurs sur le fond de régimes miniers fondés sur le principe de free mining structurés de manière à faciliter l’accès au territoire à des fins minières.

D’ailleurs, dans certaines juridictions canadiennes, les systèmes d’acquisition unilatérale des claims miniers propres aux régimes de free mining font présentement l’objet de réformes en réponse à des décisions judiciaires ayant affirmé l’incompatibilité entre ces systèmes et l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones découlant de l’interprétation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Une transition énergétique juste requiert donc la mise en place de structures juridiques transformatrices, propices à l’exercice par les peuples autochtones de leurs droits fondamentaux en lien avec le développement des minéraux critiques et la production d’énergies renouvelables, ainsi qu’une transformation radicale des modes dominants de production et de consommation à l’origine de la crise climatique.

           

Une version complète de ce texte fera l’objet d’un chapitre dans un ouvrage collectif à paraître chez Bruylant en 2024 (sous la direction du professeur Olivier Delas). La professeure Thériault a par ailleurs récemment partagé les fruits de cette recherche dans un balado diffusé par Options Politiques sur la thématique Addressing Ecological Risks.