Eva Ottawa dépose une thèse sur opikihawasowin

Faculté de droit - Section de droit civil
Programme combiné M.D. et Ph.D.

Par Communications

Faculté de droit, Section de droit civil

eva ottawa
Alors que l’été battait son plein et que la plupart d’entre nous étions à nous prélasser au soleil, la professeure Eva Ottawa soutenait sa thèse de maîtrise : Awactenamakanicic e opikihakaniwitc - Comment se manifeste le « droit » coutumier en matière de circulation des enfants chez les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan ?

Pendant plus d’une heure, la candidate à la maîtrise, qui était dirigée par la professeure Aimée Craft de la Section de common law, a résumé son travail de plus d’une centaine de pages – soit situer opikihawasowin dans le système civiliste – et répondu aux questions des membres du comité :  les professeures Naiomi Metallic de l’Université Dalhousie (membre de l’Ordre du mérite de la section de droit civil) et Gina Starblanket de l’Université de Calgary, ainsi que de Madame Réjeanne Flamand, membre de la nation Atikamekw de Manawan. Le professeur Graham Mayeda (Section de common law) présidait la séance. Au terme d’une attente ayant sans doute parue interminable à la chercheure, le comité a déclaré que sa thèse était reçue.

Bien au fait de ses travaux de recherche et ayant assisté à sa soutenance, le professeur Ghislain Otis, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones, est très enthousiaste quant au caractère novateur de l’exercice:

« Avec cette thèse, Eva Ottawa apporte une contribution remarquable à la connaissance d’un aspect fondamental du système juridique des Atikamekw Nehirowisiwok. Son travail est aussi un jalon dans le développement de la recherche sur la théorie autochtone du droit. En plus d’être un pas de plus sur le chemin d’une authentique autodétermination, la thèse ouvre la voie au dialogue des cultures juridiques. » - Ghislain Otis

La vice-doyenne aux études de la Section de droit civil et spécialiste du droit autochtone, la professeure Sophie Thériault, abonde dans le même sens :

« Le travail de recherche d’Eva Ottawa, mené en grande partie en langue atikamekw à Manawan, apporte une contribution inédite et essentielle aux savoirs sur le droit atikamekw Nehirowisiwok en matière de circulation des enfants, et plus généralement sur les fondements de ce système juridique.  La thèse et les publications qui en découleront procureront des outils inestimables afin de mieux comprendre les systèmes juridiques autochtones. » 

Décoloniser son esprit

Au cours de l’année 2016-2017, en suivant les travaux parlementaires sur la reconnaissance de l’adoption coutumière au Québec (projet de loi 113) qui évoquait la désignation d’une autorité compétente pour délivrer le certificat d’adoption coutumière, Eva Ottawa réalise qu’il est important de soutenir l’autorité compétente dans ses fonctions.  Pourtant très familière avec la coutume, ses propres parents ont pris en charge nimisak, « mes sœurs aînées », il lui a toujours été difficile de situer opikihawasowin dans le système civiliste. C’est dans ce contexte qu’elle entreprend de documenter la pratique coutumière. Elle mène dix-sept entrevues en atikamekw nehiromowin avant de traduire les transcriptions en français. Malgré cette transcription, elle a dû analyser les données à partir de la langue atikamekw nehiromowin et se rappeler à l’ordre elle-même:

« Humblement, je dois avouer que j’ai dû décoloniser mon propre esprit pour comprendre et interpréter les données empiriques. En fait, j’ai dû enrayer ce réflexe automatique – devenu inconscient avec le temps – de vouloir vérifier la légalité dans la perspective de emtcikociwic, « ceux qui sont arrivés par bateau », à chercher une approbation quelconque, à vouloir même me rassurer que le résultat puisse cadrer à l’intérieur du système juridique emtcikociwic. »
- Eva Ottawa

La femme qui appartient à la terre du clan Nehapiskak

Les données recueillies lors des entrevues l’ont carrément (re)plongée dans l’univers des Atikamekw Nehirowisiwok et Eva Ottawa a été émue par kaskeritamowina (les savoirs). Elle s’est énormément questionnée sur la façon d’interpréter les données tout en respectant la toile de fond et la vision du monde Nehirowisiwin et le plus difficile a été de transcrire ces données à l’intérieur d’un cadre externe où les questions ontologiques et épistémologique sont abordés différemment. Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, l’ontologie et l’épistémologie sont inter-reliées et interconnectées. Par exemple, le concept d’adoption est traduit par opikihawasowin : prendre soin d’un enfant, en être responsable et l’accompagner jusqu’à sa maturité, s’occuper de son bien-être, l’aimer, le chérir et lui apporter tous les enseignements nécessaires à son développement de même que les enseignements traditionnels. La professeure Ottawa a donc décidé d’adopter la posture d’interprète comme atikamekw nehirowisiw iskwew nehapiskak itekera, c’est à dire une femme qui appartient à la terre du clan Nehapiskak :

« J’ai réalisé des allers-retours entre les données et mon bagage culturel. Tout ce processus m’a permis de nommer des notions et concepts liés à awactenamakanicic e opikihakaniwitc, le système juridique coutumier engagé vers l’autonomisation de l’enfant. Cette recherche me permet aujourd’hui d’apprécier la profondeur de kaskeritamowina. » - Eva Ottawa

Cérémonie de graduation
Notawi (paternel) Gérard, Eva Ottawa et nikawi (maternel) Mariette lors de la collation des grades en 2002, Université Laval. Collection personnelle.


La suite des choses

Selon la professeure Eva Ottawa, qui aime travailler, discuter et écouter les gens, cette thèse de maîtrise lui permet d’appuyer et de soutenir davantage la préservation et la valorisation des traditions juridiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan : « Le fait d’avoir nommé des notions et des concepts juridiques coutumiers en atikamekw nehiromowin leur permettra certainement de développer leur propre gouvernance dans le domaine de l’enfance qui répondra davantage à leurs besoins, leurs attentes et leurs aspirations. »

Dans les prochaines années, il y a plusieurs éléments que la chercheure aimerait explorer comme les droits successoraux ou les règles de consanguinité chez les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan : « En fait, je vois cette recherche comme un début. Les résultats permettent notamment de dégager trois options ou régimes qui s’offrent aux parents en matière de prise en charge soit : awactenmakanicic e opikihakaniwitc – le système juridique coutumier engagé vers l’autonomisation de l’enfant; l’adoption coutumière tel qu’attestée par l’autorité compétente et finalement l’adoption plénière suivant le régime légal au Québec. Opikihawasowin est une pratique très répandue dans la communauté de Manawan et il serait tout à fait pertinent d’aller vérifier les impacts ou les effets de la reconnaissance de l’adoption coutumière dans quelques années.  Avec cette thèse, mon but était de soutenir et d’appuyer l’autorité compétente de la communauté. Elle aura donc un outil pour procéder aux vérifications de conformité énoncées dans le Code civil du Québec, ce qui lui permettra notamment d’inscrire les effets coutumiers dans le certificat d’adoption coutumière. Les autres communautés et groupes autochtones pourront certainement s’inspirer de ces travaux », conclut la professeure Eva Ottawa.

Exemples de termes en atikamekw nehiromowin – français

(Extrait de la thèse : Annexe I : Lexique des termes en atikamekw nehiromowin français)

Awacic(ak) Enfant(s)
Awactenamakanicic Petit Être de lumière
Kiocican

Désigne l’enfant orphelin et prise en charge par un parent adoptif 

Kokom

Grand-mère

Kokominook « Cercle des kokoms », matriarche
Misiwe otenak Communautaire
Nicim

Frère ou sœur plus jeune d’une fratrie

Nimocom Grand-père
Ntata Père
Ntcotco Mère
Okawi, Otawi Maternel, paternel
Okominan, Omocominan Grand-mère, grand-père
Onikihikok, Witcicanak Familial
Onikihikonan Parents d’origine
Otapakonaw Le fait de reprendre l'enfant par le parent original