À la rencontre du droit innu : un cours d’été immersif au cœur du Nitassinan

Faculté de droit - Section de droit civil
Cours
Droit autochtone
Étudiants - cours sur l'ordre juridique innu
À Uashat, sur la Côte-Nord, une vingtaine d’étudiants-es de la Section de droit civil ont vécu cet été une expérience hors du commun: explorer l’ordre juridique innu à travers la tradition orale, au bord du Saint-Laurent et au cœur du Nitassinan. Bien loin des bancs de la Faculté.

Pendant cinq jours à la fin juillet, les étudiants ont ainsi pu écouter les récits d’aînés et d’autres porteurs de savoir, en plus de participer à des visites guidées dans la communauté. Gouvernance innue, gestion des conflits, relations familiales et communautaires : les témoignages abordaient de multiples façons l’affirmation et la transformation des traditions juridiques innues au fil du temps, notamment dans leurs interactions avec le droit étatique.

L’enseignement du droit innu est «nécessaire pour avoir une idée juste du droit canadien», avance la professeure Sophie Thériault, qui donne le cours. Longtemps, dans une approche très coloniale, on présentait erronément le Canada comme un état bijuridique et non plurijuridique, poursuit-elle. «On parlait de culture autochtone ou de droits des peuples autochtones, mais on n’envisageait pas les Premières Nations comme productrices de droit.»

Or, les ordres juridiques autochtones continuent d'imprégner la vie des peuples autochtones dans leur quotidien, explique la professeure. Elle cite en exemple les règles d’adoption coutumière et les droits et responsabilités face au territoire chez les Innus, qui sont ancrés dans leurs traditions.

Le Saint-Laurent

Sophie Thériault encourage les étudiants et étudiantes à adopter «une posture d’humilité» et à s’ouvrir à d’autres manières d’envisager la juridicité, sans tenter de chercher systématiquement des équivalences avec le droit étatique. «En acceptant qu'ils ne comprennent pas tout et que c'est tout à fait normal», souligne-t-elle.

Pour les étudiants et étudiantes, ce type d’apprentissage représente un véritable changement de paradigme. « À la Faculté, quand le professeur parle, tu notes tout. Il faut que tu apprennes tout par cœur, il y a une pression. Tandis qu'ici, tu ne sais pas exactement comment, mais tu sais que tu apprends des choses», a expliqué l’étudiant Timmy D. Jutras à Radio-Canada, qui a produit un long reportage sur le cours. «Tu sens que ça te change petit à petit, mais tu ne le perçois pas. C’est un peu mystérieux. »

Les étudiants-es devaient rédiger chaque jour un journal de bord – principale méthode d’évaluation – reflétant ce qui a été entendu et découvert : les idées, les prises de conscience, ainsi que les émotions et autres réactions suscitées par les enseignements. Ce journal devait aussi inclure une synthèse de ce qui est important à retenir, rédigée au retour.

Apprendre à même le territoire

Pour Sophie Thériault, le cadre dans lequel ce cours est dispensé est aussi important que les enseignements eux-mêmes :  le droit innu repose sur le territoire et doit être compris dans son contexte. «Le droit est extrait de l’environnement dans lequel il évolue », explique celle qui enseigne seule le cours depuis 2023, après l’avoir co-enseigné avec le professeur Jean-Paul Lacasse, aujourd’hui à la retraite.

À Fauteux, l’enseignement est plus théorique et plus technique, rappelle Sophie Thériault. À Uashat, les étudiants peuvent constater de leurs propres yeux ce que signifient ces apprentissages.

«Quand les étudiants écoutent les aînés parler de leur lien au territoire et qu’ils voient le fleuve et les endroits où les Innus revenaient chaque été par la fenêtre, les principes partagés prennent tout leur sens», conclut Sophie Thériault.