Au-delà du substantif, l’antiracisme doit devenir un verbe.

Antiracisme
Au-delà du substantif, l’antiracisme doit devenir un verbe.
Le 13 mai 2021, Karine Coen-Sanchez, doctorante à la Faculté des sciences sociales, et le professeur Francis Bangou, vice-doyen à la gouvernance et aux affaires étudiantes à la Faculté d’éducation, coorganisaient la table ronde virtuelle Lutter contre le racisme au-delà du milieu universitaire : les voix de la communauté.

Avec plus de 200 participants et participantes (un nombre record de personnes), l’événement faisait partie intégrante de Solidaire contre le racisme, un projet phare de la Faculté. Ce panel avait pour but de réunir des leaders communautaires et des activistes qui luttent contre le racisme et travaillent à l’abolir dans les écoles, et de discuter de stratégies pour instiller un changement systémique et tendre vers l’éducation inclusive. Dans la conversation qui suit, le tandem met en exergue plusieurs des questions abordées lors de la table ronde, souligne les principaux apports des panélistes et revient sur les leçons retenues.

FB : En tant qu’universitaire, chercheuse spécialisée en antiracisme et militante communautaire, quels grands enjeux avez-vous dégagés de la table ronde?

KCS: Les enjeux du positionnement social, des alliances, des espaces sécuritaires et de la prise de responsabilités ont tous mené à des discussions entre les panélistes et l’auditoire. On y a parlé d’intégration efficace du discours antiraciste en classe, qui suppose de trouver un juste milieu entre les pratiques pédagogiques antiracistes, le vécu des élèves et des enseignantes et enseignants et les attentes à l’égard des programmes. Quelques-unes des questions portaient sur les obstacles rencontrés par les panélistes qui prônent l’antiracisme en milieu scolaire, le rôle que pourraient jouer les universités pour favoriser l’éducation antiraciste et la façon dont chacun percevait l’avenir à ce chapitre.   

FB : Nos panélistes se spécialisaient toutes et tous dans différents aspects de l’éducation. Que pouvez-vous nous dire de leurs principaux apports à la discussion?

KCS: C’était effectivement un groupe de réflexion exceptionnel, composé de personnes issues de différentes sphères de l’éducation. Par exemple, Bileh Abdi, fondateur de l’Association canadienne pour la promotion des héritages africains (ACPHA), soulignait que la formation et les ateliers sur l’histoire et l’héritage africains contribuent à déconstruire des stéréotypes nuisant à la réalisation du plein potentiel des étudiantes et étudiants noirs. Selon lui, c’est en s’instruisant sur cet héritage que l’on pourra instaurer une culture durable en milieu scolaire.

Tom D’Amico, directeur de l’éducation au Conseil des écoles catholiques d’Ottawa (OCSB), a livré ses réflexions sur les questions fondamentales de l’équité et du racisme en éducation et affirmé qu’il fallait passer des politiques à l’action. Il soutient que le changement systémique doit se faire avec tout le monde à bord, disant que «la solution, c’est l’éducation ».

Jimmy Pai, qui enseigne les mathématiques au secondaire, a ajouté son propre éclairage sur l’équité et l’antiracisme, en insistant sur l’importance du travail réalisé directement auprès des communautés marginalisées, où l’on retrouve le plus clair des expériences vécues. Il a avancé que c’est « en posant des gestes différemment et dans un espace nouveau », en travaillant et en créant des ouvertures qu’on apprend à devenir des alliées et alliés.

Enfin, Nathalie Sirois, qui compte plus de 20 ans d’expérience en éducation et auprès d’organismes communautaires, a relaté l’apprentissage qu’il lui a été donné de faire en tant que femme blanche dans le milieu de l’éducation. Elle a expliqué l’importance de: 1) faire le point sur ses émotions quant au racisme, 2) de bien comprendre les dynamiques de pouvoir entre les différentes cultures et 3) de déconstruire, puis de reconstruire pour apprendre, et réapprendre, le racisme systémique.

FB : Parlez-nous de certaines des leçons que l’on aura retenues. Comment peut-on se montrer critique tout en faisant preuve de compassion?

KCS: On peut miser sur la formation continue et un examen critique des problèmes actuels, en plus d’offrir des orientations et du soutien aux communautés marginalisées. On peut s’attacher à développer des communautés et des rapports qui prennent en compte le rôle du pouvoir et des privilèges. On apporte toutes et tous nos propres expériences aux différents contextes. On a beau respirer le même air et investir les mêmes espaces, on ne vit pas la même chose. Au-delà du substantif, l’antiracisme doit devenir un verbe. Il nécessite des actions et des efforts constants.  

FB : Vous êtes d’avis que la peur fait obstacle à notre cheminement collectif vers l’équité, la diversité et l’inclusion. Que voulez-vous dire?

KCS: Il nous faut continuer d’alimenter notre savoir et notre compréhension des « ismes ». Comment les systèmes en présence perpétuent-ils le racisme? Comment celui-ci se manifeste-t-il dans les écoles, au travail? Comment peut-on créer des occasions authentiques permettant aux gens de parler librement? Le racisme est lourd de conséquences. Pour s’attaquer aux obstacles systémiques, il faut donc privilégier une approche où tout le monde met la main à la pâte. Il faut se pencher sur les dissonances cognitives auprès des gens qui ne voient pas que le racisme est un problème. Un des obstacles au tableau, c’est la peur. Les gens évitent d’en parler, parce qu’ils ne veulent pas se sentir mal ou accepter certaines responsabilités. Lorsqu’on comprend cette responsabilité, on devient responsable de qui l’on est, de ses intentions, de ses paroles et de ses gestes, et on comprend la position privilégiée dans laquelle on se trouve. 

FB : Vous faites haut et fort la promotion de l’antiracisme. Selon vous, que doivent retenir avant tout les éducatrices et éducateurs? 

KCS: Tout changement systémique de longue haleine suppose que l’on ait des discussions démocratiques et difficiles, et que l’on pose des gestes pour déconstruire les structures scolaires empreintes du racisme dont on a hérité. L’équité et le racisme font partie d’une discussion continue; il faut les voir comme un cheminement et non une destination finale. Il est important de : 

  • Promouvoir un espace pour le dialogue et les discussions favorisant la prise de responsabilités;
  • S’élever contre la polarisation des discours;
  • Illustrer clairement ce qui a été fait et ce qui doit être accompli;
  • Comprendre le positionnement social et les privilèges pour travailler d’un commun accord au changement;
  • Poser de nouvelles questions pour encourager un dialogue interculturel sécuritaire;
  • Entretenir une certaine dissociation, ce qui est essentiel si l’on veut s’investir pleinement dans l’antiracisme.

On doit continuellement forger de nouveaux liens, de nouvelles relations. Après tout, on a toutes et tous un rôle à jouer au chapitre de l’équité et de l’antiracisme.

Bios

Karine Coen-Sanchez est doctorante, chercheuse et activiste. Ses recherches examinent le racisme systématique ancré dans les institutions d’enseignement et ses manifestations dans les expériences des étudiantes, étudiants, travailleuses et travailleurs des communautés racisées. Mme Coen-Sanchez s’intéresse particulièrement à la déconstruction du concept de race et à la manière dont le terme « racialisation » attire l’attention sur la construction et la contestation des identités « raciales » dans les relations de pouvoir. Ses intérêts de recherche sont nés des expériences qu’elle a vécues en tant qu’étudiante noire : elle a observé une profonde déconnexion entre la composition du corps étudiant et ce qui était enseigné dans son programme d’études supérieures. Coprésidente du Comité consultatif de lutte contre le racisme à l’endroit des personnes noires, elle a récemment reçu une bourse Accélération de Mitacs, en plus de se voir attribuer en 2021 une Bourse d’étude fondée sur le mérite de la Fédération des sciences humaines. La Société canadienne de sociologie a souligné sur son site Web ses recherches et son engagement communautaire d’exception.   

Francis Bangou est vice-doyen à la gouvernance et aux affaires étudiantes et professeur agrégé en didactique des langues secondes (français et anglais). Ses recherches portent sur l’adaptation des enseignantes, enseignants, apprenantes et apprenants de langue seconde à des environnements d’enseignement et d’apprentissage non familiers, ainsi que sur l’intégration des technologies numériques à l’enseignement des langues secondes. M. Bangou a obtenu son doctorat en didactique des langues étrangères et secondes à l’Université d’État de l’Ohio et est arrivé à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa en 2007. Il est directeur du groupe de recherche EducLang

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