Nos histoires nous rapprochent. Béatrice Crettenand Pecorini (M.A. 2019), candidate au doctorat à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, décrit le sentiment de bien-être accru que peuvent éprouver les adultes aînés lorsqu’ils racontent, enregistrent et partagent des anecdotes sur leur vie. Ses recherches, financées en partie par le Conseil de recherches en sciences humaines, portent sur les effets du partage et de l’apprentissage intergénérationnel au moyen de la technologie.
Le présent article s’inscrit dans notre série Les universitaires en éducation.
Parlez-nous de vous et de ce qui vous a menée aux études doctorales.
Certaines filles rêvent du Prince charmant. Quand j’étais enfant en Suisse, je rêvais de devenir infirmière, depuis la première fois où je suis allée à l’hôpital voir ma grand-maman. Je me rappelle l’odeur du désinfectant et l’allure des infirmières qui, à l’époque, portaient encore des robes blanches. Ma grande sœur trouvait que ça sentait mauvais. Mais moi, j'adorais cette odeur. À l’adolescence, j’ai commencé à lire des biographies. Lorsque j’ai lu l’histoire d’Albert Schweitzer, médecin pionnier de la médecine humanitaire, j’ai su avec certitude que j’allais devenir infirmière. Pendant mes études, j’ai fait un stage en ambulance de réanimation, puis j’ai travaillé comme infirmière anesthésiste pendant huit ans, j’ai ensuite enseigné dans une école de soins ambulanciers (paramédics). C’est ainsi que j’ai commencé ma carrière en éducation, qui m’a amenée à partir en missions humanitaires internationales avec différents partenaires et à enseigner la préparation aux catastrophes aux bénévoles et aux professionnelles et professionnels de la santé. J’ai donc fait une maîtrise en enseignement en santé à la Faculté d’éducation avant d’entreprendre mon doctorat.
Quel est l’objet de vos recherches ?
Mes travaux se basent sur le concept d’apprentissage tout au long de la vie, et plus précisément sur le bien-être et l’apprentissage intergénérationnel, avec l’utilisation du numérique comme moyen pour inciter les rencontres entre les générations. L’idée est novatrice : au fil de plusieurs rencontres, une personne âgée raconte l’histoire de sa vie à une autre, plus jeune. Ensuite, elles créent ensemble un récit numérique de quelques minutes, illustré par des photos et d’autres souvenirs avec la voix de l’adulte aîné. Le but est de mieux comprendre les expériences partagées durant le processus de la gérontologie narrative numérique. Les paires « adulte aîné-jeune adulte » ont apprécié leur collaboration, et certaines ont même gardé contact une fois l’étude terminée. De nos jours, les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé, alors c’est aussi une façon de concevoir des approches permettant une transition démographique plus harmonieuse et respectueuse et également de combattre l’âgisme.
D’où vient votre intérêt pour le bien-être et le vieillissement ?
J’avais déjà un diplôme et de l’expérience en andragogie (enseignement aux adultes) et en gérontagogie (enseignement aux adultes aînés), et le domaine numérique m’intéressait également. Mon directeur de thèse m’a donc orientée vers le concept innovateur de gérontologie narrative numérique, que j’avais développé pendant mes études de maîtrise. L’idée de s’amuser tout en participant à un apprentissage informel et intergénérationnel, où jeunes et moins jeunes travaillent ensemble, le tout combiné au principe d’apprentissage tout au long de la vie, m’a immédiatement séduite. Les adultes aînés sont une composante essentielle de la réussite collective de notre société. Elles ont un rôle essentiel à jouer dans l’inclusion sociale de toutes les générations. Dans le fond, nous sommes tous et toutes de futures personnes aînées; dans quel genre de société voulons-nous vivre ?
À qui profiteront vos travaux ?
D’abord et avant tout aux adultes aînés, mais toutes les générations en bénéficieront, surtout les jeunes. Les adolescentes et adolescents, et même les enfants, dans les écoles ou dans d’autres cadres organisationnels peuvent faire de la gérontologie narrative numérique. Les aspects positifs sont nombreux : la lutte contre l’âgisme, bien sûr, mais aussi l’importance historique et sociale des récits de vie, le développement de la culture numérique, l’apprentissage informel, l’amélioration de l’estime de soi par la réalisation de projets, la promotion du respect d’autrui, le développement des habiletés sociales, l’accroissement du sentiment d’être utile à la société, le renforcement de la fierté et de l’identité culturelles... la liste est longue ! Bref, c’est en donnant l’occasion aux différentes générations d’interagir et de se rapprocher, de mieux se connaître et d’apprendre à bien vivre ensemble que nous construirons une société inclusive où tout le monde sera plus heureux.
Avez-vous découvert des choses surprenantes ou inattendues dans le cadre de vos recherches ?
J’ai beaucoup lu sur les relations intergénérationnelles, mais rien dans la littérature n’abordait le thème de l’humour. C’est un sujet qui n’a reçu que très peu d’attention dans les études scientifiques sur l’apprentissage. Pourtant, c’est l’une des choses que toutes les paires adultes aînés-jeune adulte avec lesquelles j’ai travaillé ont en commun. En écoutant leurs récits oraux, j’ai non seulement entendu leurs rires, mais aussi leur complicité dans un humour chaque fois plus drôle et plus contagieux. Cet humour contribue certainement au bien-être rapporté lors des rencontres. Les premiers résultats indiquent par ailleurs que l’apprentissage informel est sous-estimé et que les personnes participantes n’ont pas conscience de tout ce qu’elles apprennent lors des rencontres intergénérationnelles. L’étude a révélé également que les paires qui ont travaillé ensemble en présentiel ont été jusqu’à la fin du projet, même celles qui ont été suivie à distance en dehors du Canada, mais que les rencontres de paires en ligne n’aboutissent pas. La présence en personne est donc importante dans les relations intergénérationnelles.
Pourquoi avoir choisi l’Université d’Ottawa ?
J’avais ciblé trois universités, mais la possibilité d’étudier en français dans un établissement bilingue – et plus particulièrement à la Faculté de l’éducation, qui proposait un accès administratif simplifié – s’est imposée. J'ai également eu l'occasion de participer à divers projets de recherche et enseigner dans le cadre de mes études doctorales. Un élément très important de ma décision était d’avoir la personne idéale pour diriger ma thèse, quelqu’un qui s’accordait à ma personnalité en tant qu’étudiante.
À propos de Béatrice Crettenand Pecorini
Béatrice Crettenand Pecorini est doctorante en enseignement aux professionnels de la santé à la Faculté d’éducation et membre de l'Institut de Recherche LIFE. Elle a corédigé les articles « Narrative gerontology and digital storytelling: What benefits for elders? » (2017), « La gérontologie narrative numérique : porte ouverte sur les apprentissages informels intergénérationnels et les communications numériques » (2020) et « Digital narrative gerontology as bridges between generations to improve well-being, learning and share experiences » (2023).