Miriam Nkangu a coupé une branche dans les broussailles denses puis s’en est servi de bâton durant une marche de deux heures sur un terrain boueux et accidenté dans la commune de Bali, au Cameroun.
« J’ai fait le chemin que les femmes enceintes doivent traverser pour accéder aux routes accessibles en voiture et aux services de transport qui leur permettent de se rendre aux établissements de santé de la région », raconte-t-elle.
Le mauvais état des routes et les terrains accidentés, en particulier en situation d’urgence, combinés à un manque de services de soins prénataux de qualité, ont contribué aux taux élevés de mortalité maternelle en Afrique subsaharienne.
Miriam Nkangu, candidate au doctorat à l’École d’épidémiologie et de santé publique (EESP) de la Faculté de médecine, et ses collègues chercheurs ont compris le potentiel de la technologie numérique pour atteindre les régions les plus reculées et aider les futures mères à communiquer directement avec des professionnels de la santé, en particulier dans les situations d’urgence, afin de bénéficier du soutien dont elles ont besoin.
Ils ont donc créé le système de gestion prénatale BornFyne (qui signifie « accouchement sécuritaire » dans un dialecte régional), une plateforme numérique destinée à améliorer l’accès aux services pour les femmes pauvres des régions rurales du Cameroun et de l’Afrique en général, tout en améliorant les soins et en soutenant les systèmes et les politiques sanitaires.
Réduire les obstacles aux services prénataux
Piloté de 2018 à mars 2020, le projet a permis de fournir des téléphones portables munis de l’application BornFyne aux futures mères de Bali. Les professionnels de la santé leur ont appris à utiliser l’application, les ont inscrites en ligne et les ont aidées à saisir leurs données de santé. À partir de là, les mères ont pu entretenir un dialogue continu avec leur équipe de soins tout au long de la grossesse. Le GPS de l’application permet aussi de localiser la mère en cas d’urgence.
L’équipe du Dr Sanni Yaya, chercheur principal à la Faculté des sciences sociales, soutient les composantes de recherche qualitative de BornFyne et apporte son expertise sur les aspects du comportement social.
« La facilité d’utilisation l’emporte sur la réticence de certaines mères à se prévaloir de soins prénataux en raison des difficultés liées aux déplacements, aux dépenses de santé, aux barrières linguistiques ou à l’alphabétisation, ou encore à la simple mentalité culturelle », explique le Dr Yaya, ajoutant que l’application comporte une forte composante d’équité dans l’utilisation de graphiques qui favorisent la communication de l’état de santé et de grossesse.
Selon Miriam Nkangu, le rôle de la Faculté de médecine consiste à soutenir la conception quantitative, la mise en œuvre et la production de preuves et d’implications politiques par le biais de l’EESP.
« La collaboration entre les différentes facultés de l’Université d’Ottawa, ainsi qu’avec d’autres partenaires et le secteur privé, apporte une perspective et une expertise de recherche diversifiées », dit-elle.
Permettre à tous de se connecter pour assurer la qualité et la continuité des soins
L’application BornFyne est connectée à une plateforme web destinée aux professionnels de la santé. La communication permanente entre la mère et le professionnel permet un suivi continu des grossesses à haut risque et assure la continuité des soins. La plateforme permet également aux différents membres de l’équipe de soins de santé (échographistes, techniciens de laboratoire, pharmaciens, etc.) de saisir et d’enregistrer les activités.
C’est aussi une plateforme de surveillance en temps réel. « L’application fournit des données pour améliorer les politiques et contribue à optimiser la qualité des services de santé de la commune en suivant sa capacité à traiter les problèmes de santé », explique Miriam Nkangu. « Elle fournit également à la commune de l’information sur les modèles de santé, ce qui permet aux équipes communautaires d’intervenir en temps opportun ».
Le projet finance également la fourniture de sources d’énergie solaire qui permettent aux mères de recharger leur téléphone, d’éclairer les chambres d’hôpital et de fournir une alimentation fiable pour les équipements et les installations de stockage de fournitures médicales.
« Un accouchement réalisé dans de bonnes conditions nécessite des salles bien éclairées, affirme Miriam Nkangu, et en réduisant les dépenses par l’achat de plus grandes quantités de denrées périssables, les fonds peuvent être utilisés pour d’autres ressources. »
Dans l’ensemble, dit l’équipe, BornFyne a permis d’augmenter la demande d’accès aux soins prénataux et d’accouchement par du personnel qualifié dans la commune de Bali. Les données de l’étude pilote seront bientôt ajoutées au registre des essais.
Développer la plateforme
Le projet BornFyne, dont la mise en œuvre s’est étendue à l’ensemble de la commune de Bali, au Cameroun, en est maintenant au stade de la validation et du renforcement des capacités, et doit s’étendre à d’autres régions du Cameroun. L’équipe travaille avec les intervenants locaux, les décideurs politiques et les secteurs des télécommunications et de la santé, mais a dû reporter ses déplacements en raison de la COVID-19.
En attendant, le Forum genevois de la santé a inscrit BornFyne comme l’une des principales innovations en matière de santé mondiale. L’équipe présentera le logiciel au salon de l’innovation en novembre. L’application a également été inscrite à la liste des innovations potentielles par le Global Innovation Exchange pour faire face à la COVID-19.
« Toute la commune de Bali et, en réalité, toute la région nord-ouest du Cameroun connaissent BornFyne », affirme Miriam Nkangu, « et ceci est dû à l’impact qu’elle a déjà eu sur la vie de plusieurs femmes, de leurs familles et de la santé de la commune au milieu d’un conflit armé qui s’intensifie ».
BornFyne est financé par Grands Défis Canada, un organisme soutenant les innovations qui améliorent la vie des personnes les plus vulnérables au Canada et dans les pays à revenu faible et moyen.