Par Jessica Sinclair
Rédactrice scientifique
Henry Gustav Molaison, célèbre patient (longtemps appelé H.M.) a subi des lésions à l’hippocampe après une intervention chirurgicale destinée à soigner son épilepsie. Cela l’a amené à souffrir d’amnésie antérograde, ce qui signifie que les choses qu’il apprenait n’étaient jamais enregistrées plus loin que dans sa mémoire à court terme. Bien que ses souvenirs d’enfance soient restés intacts, H.M. pouvait, par exemple, consulter son médecin et lui dire après cinq minutes : « Je ne crois pas qu’on se soit déjà rencontré. Quel est votre nom? »
H.M. a aidé les chercheurs à comprendre le rôle de l’hippocampe dans l’apprentissage, mais un mystère demeure quant à la manière dont les signaux de l’hippocampe sont partagés avec les milliards de neurones du cortex qui s’activent de manière coordonnée lorsque nous apprenons. Un article publié aujourd’hui dans la prestigieuse revue Science, issu d’une collaboration entre l’Université d’Ottawa et l’Université Humbolt de Berlin, révèle le rôle essentiel d’une région du cerveau appelée cortex périrhinal dans la gestion de ce processus d’apprentissage.
L’étude consistait à apprendre à des souris et à des rats une « compétence cérébrale » plutôt étrange. Un petit nombre de neurones dans le cortex sensoriel ont été stimulés, et le rongeur devait montrer qu’il avait senti le bourdonnement en léchant un distributeur pour recevoir de l’eau sucrée. Personne ne peut dire avec certitude ce que cette stimulation cérébrale fait ressentir à l’animal, mais l’équipe pense qu’il imite la sensation de quelque chose qui touche ses moustaches.
En observant la réaction du cerveau à cette expérience d’apprentissage, l’équipe a constaté que le cortex périrhinal servait de station de passage entre l’hippocampe à proximité, qui traite le lieu et le contexte, et la couche externe du cortex.
« Le cortex périrhinal se trouve au sommet de la hiérarchie du traitement de l’information dans le cortex. Il accumule les informations provenant de multiples sens et les renvoie ensuite au reste du cortex », explique le Dr Richard Naud, professeur adjoint au Département de médecine cellulaire et moléculaire de la Faculté de médecine et à l’Institut de recherche sur le cerveau. « Ce que nous montrons, c’est qu’il joue un rôle très important dans la coordination de l’apprentissage. Lorsque ces projections ne reviennent pas de la région conceptuelle, les animaux ne peuvent plus apprendre. »
Les études précédentes se sont concentrées sur la communication de l’hippocampe vers le haut, dans les régions décisionnelles du cerveau comme le cortex périrhinal, mais on ne s’était jamais autant penché sur ce que le cortex périrhinal fait de ces informations et sur ce qu’il renvoie à la couche 1 du cortex. Il s’avère que cette étape est une partie essentielle du processus, sans laquelle l’apprentissage est impossible.
« Lorsque nous avons coupé la connexion entre le cortex périrhinal et ces neurones de la couche 1, les animaux se sont comportés comme H.M. Ils s’amélioraient un peu, mais ça ne restait pas. Ils apprenaient et oubliaient, apprenaient et oubliaient, apprenaient et oubliaient, » rapporte le Dr Naud.
Neuroscientifique informatique avec une formation en physique, le Dr Naud était responsable des analyses statistiques, ainsi que de la création de modèles informatiques pour cartographier le traitement de l’information par le cerveau. Plus particulièrement, il a pu confirmer ce qu’il croyait depuis longtemps : que les décharges rapides provenant d’un neurone ont une signification particulière, différente de ce que l’on entend par un rythme plus lent de l’activité électrique. Lorsque les animaux étaient en pleine phase d’apprentissage, les potentiels d’action de décharges rapides illuminaient les cellules surveillées.
L’équipe a également pu recréer artificiellement l’effet de décharge.
« Si vous forcez le même nombre de potentiels d’action, mais à une fréquence élevée, alors l’animal est plus à même de le détecter », explique le Dr Naud. « Cela veut donc dire qu’il y aurait une corrélation entre les décharges et l’apprentissage, et un lien de causalité entre les décharges et la perception. En d’autres termes, vous serez plus susceptible de percevoir quelque chose si cela crée une décharge dans vos neurones. »
Le prochain défi sera de déterminer exactement en quoi consiste le signal d’apprentissage du cortex périrhinal vers les zones cérébrales d’ordre inférieur. Le Dr Naud travaille sur un modèle informatique reliant nos connaissances actuelles en physiologie à ce que cette expérience permet de constater.