Lorsque vous apprenez à faire du vélo ou à jouer d’un instrument de musique, vos mouvements manquent normalement de coordination. Cependant, avec le temps et la pratique, les neurones moteurs de votre cerveau créent un type de raccourci entre votre cerveau et vos muscles. Les mouvements associés finissent par être si bien intégrés que monter sur un vélo ou répéter des gammes se fait presque automatiquement.
Qu’est-ce qui est à la base du mécanisme cellulaire dans ce processus d’apprentissage moteur? Dans une étude publiée cette semaine dans la revue Neuron, une équipe de recherche dirigée par le Dr Simon Chen, de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, apporte un nouvel éclairage précieux sur ce grand mystère de la neuroscience.
Son laboratoire s’emploie à élucider comment les souvenirs sont encodés et emmagasinés dans le cerveau, particulièrement en ce qui a trait à l’apprentissage moteur, processus complexe selon lequel nous faisons travailler les muscles de notre corps. Dans cette dernière étude, l’équipe de recherche du Dr Chen a exploré les mécanismes utilisés dans la régulation du processus d’acquisition et de consolidation de la mémoire motrice à chaque répétition.
Le Dr Chen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les circuits neuronaux et le comportement, mentionne que les résultats de l’étude pourraient s’avérer utiles pour définir de nouvelles cibles thérapeutiques pouvant aider les patients à retrouver leurs fonctions motrices dans le cas de la maladie de Parkinson, d’un accident vasculaire cérébral ou d’une lésion cérébrale. Cela est d’une grande importance puisque le rétablissement de la motricité globale et des mouvements est un combat très difficile pour ces personnes.
« Si nous comprenons comment le développement des capacités motrices se fait dans le cerveau, peut-être qu’un jour nous pourrons aider les patients ayant subi un accident cérébral ou ceux atteints de la maladie de Parkinson à retrouver ces capacités durant le processus de réadaptation, » explique-t-il.
L’étude portait sur des souris, et non des humains. Cependant, puisque les chercheurs pensent que les mécanismes de la mémoire sont très similaires chez les souris et les êtres humains, les résultats ont probablement une grande pertinence.
De quelle façon ont été menées les expériences?
En limitant le mouvement de la tête des souris sur la platine pour l’imagerie, ce qui permet aux chercheurs d’étudier le cerveau grâce à la résolution pour observation de cellules isolées, l’équipe a entraîné les animaux à effectuer une tâche motrice précise : tendre la patte et saisir une granule de nourriture à partir d’un dispensateur motorisé.
Initialement, les souris, dont la tête avait été immobilisée, étaient hésitantes et maladroites lorsqu’elles tentaient de saisir une granule. Les chercheurs ont réalisé une analyse détaillée des mouvements des animaux au moyen de DeepLabCut, une boîte à outils logicielle d’apprentissage profond combinant la capture de mouvements par vidéo et l’intelligence artificielle. Ils ont découvert qu’avec la répétition et le temps, les souris ont développé les mouvements leur permettant de tendre la patte et de saisir les granules facilement.
L’équipe souhaitait observer l’activation des neurones propres à ces mouvements et voir se former des voies synaptiques dans le cerveau au fur et à mesure.
« Nous avons pu surveiller les changements cérébraux alors que les souris apprenaient cette tâche, » ajoute le Dr Chen, professeur agrégé au Département de médecine cellulaire et moléculaire de la Faculté de médecine.
En utilisant l’imagerie à deux photons, un type de microscopie qui permet la visualisation de tissu vivant à échelle micrométrique, son équipe a pu visualiser la réorganisation des épines dendritiques parmi les neurones excitateurs dans le cortex moteur primaire alors que les souris, dont la tête était immobilisée, effectuaient les mouvements visant à tendre la patte et à saisir une granule au fil du temps. Les épines dendritiques, des structures neuronales au niveau des synapses qui ressemblent à des suçons formés d’un mince bâtonnet et d’une tête en forme de bulle, sont essentielles pour former et emmagasiner des souvenirs.
En se concentrant sur le niveau cellulaire, les chercheurs ont découvert que l’apprentissage moteur provoque sélectivement l’expression d’un facteur de transcription dépendant de l’activité neuronale dans le cortex moteur primaire, soit le Npas4.
Ce que révèlent ces nouveaux résultats, mentionne le Dr Chen, c’est que l’expression de ce facteur de transcription déclenche la production d’un ensemble de neurones inhibiteurs associés à l’apprentissage, lequel module l’inhibition dans le cortex moteur primaire. Cela régularise le processus de réorganisation des épines dendritiques parmi les neurones excitateurs durant l’apprentissage.
Essentiellement, le Npas4 régularise les changements génétiques dans les neurones inhibiteurs qui contrôlent l’activité de ces neurones, de la même manière que l’icône de son permet de régler le volume des haut-parleurs d’un ordinateur portable. Le Dr Chen mentionne que ces résultats « montrent également que l’expression inhibitrice spécifique des neurones d’un facteur de transcription est caractéristique de la formation des ensembles neuronaux entraînée par un acte d’apprentissage. »
En d’autres mots, la répétition des mouvements au fil du temps a modifié les mécanismes internes du cortex moteur primaire des animaux, la partie du cerveau que seuls possèdent les mammifères et qui contrôle les mouvements complexes.
L’expression du facteur de transcription Npas4 dans les neurones inhibiteurs est essentielle pour permettre au cerveau de former une solide mémoire motrice pour des mouvements précis. De plus, il doit être réexprimé de façon constante pour que cette mémoire soit conservée et améliorée dans votre cerveau à chaque répétition du mouvement.
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