Les prêtres oblats catholiques qui ont fondé l’Université d’Ottawa en 1848 rêvaient presque dès le début de commencer une école de medicine, mais le moment n’était jamais venu pour une telle entreprise.
Cependent, le 8 avril 1945, le conseil d’administration de l’Université (composé de prêtres oblats) a énoncé trois bonnes raisons pourquoi le temps était finalement propice de fonder une école de médecine :
Premièrement, de nombreux médecins d’Ottawa appuyaient l’idée.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral était prêt à subventionner les frais de scolarité des anciens combattants.
Et troisièmement, si l’Université d’Ottawa n’ouvrait pas d’école de médecine maintenant, l’Université Carleton (une institution anglophone laïque) le ferait avant elle.
« Laisserons-nous les autres nous devancer? », demanda le père Jean-Charles Laframboise, qui fut recteur de 1946 à 1952. « Et une fois qu’une faculté de médecine anglaise est fondée, quand pourra-t-on en fonder une en français? Et qu’adviendra-t-il des catholiques anglophones de l’Ontario? Il n’y avait qu’une solution : fonder une faculté de médecine. »
La mission du père Danis
Le conseil d’administration a confié cette tâche au père Lorenzo Danis, appuyé par un conseil provisoire de six médecins d’Ottawa. Parfois appelé le fondateur de la Faculté de médecine, le père Danis devint plus communément connu sous le nom de « Lorenzo le Gardien » pour le rôle prépondérant qu’il a joué dans l’acceptation et le rejet de candidats à la Faculté de médecine.
Le père Danis a rapidement rencontré trois bonnes raisons pourquoi le temps n’était pas propice ouvrir une école de médecine à l’Université d’Ottawa.
Premièrement, le manque d’espace.
Deuxièmement, le manque d’argent.
Troisièmement, le manque de professeurs.
La recherche de fonds
Le problème d’espace a été résolu, du moins temporairement, par l’acquisition d’une série d’anciennes casernes de l’armée à Côte-de-Sable au coût de 8914 $ (voir l’histoire La construction d’une école de médecine).
Le problème d’argent venait du fait que l’Ontario avait une politique contre le financement des universités religieuses. Le père Danis a lancé une campagne pour solliciter des dons auprès de diplômés de l’Université et de sympathisants de Montréal (où l’ordre des Oblats était basé) qui lui aura permis de recueillir près de 250 000 $ en deux ans. D’autres campagnes de financement parmi les catholiques loyaux et un certain lobbyisme auprès du gouvernement provincial ont permis de recueillir suffisamment de fonds pour maintenir l’école de médecine à flot (dont une subvention unique de 250 000 $ du gouvernement de l’Ontario en 1947).
Mais l’argent se faisait encore rare, et le soutien du gouvernement s’est fait au prix de la pureté religieuse. En 1948, l’Université a accepté de créer un conseil d’administration composé de membres non catholiques. En 1965, elle allait devenir entièrement laïcisée, les Oblats ayant cédé le contrôle et la propriété au gouvernement provincial, principalement en raison de la nécessité de rendre la Faculté de médecine admissible à un généreux financement gouvernemental pour les sciences de la santé.
La recherche de professeurs
La plupart des professeurs de médecine qualifiés au Canada occupaient déjà des postes universitaires, mais le père Danis parvint tout de même à en recruter quelques-uns dans la région. Le Dr Leonard Bélanger, un catholique bilingue de Montréal qui avait servi comme médecin dans l’Aviation canadienne, est ainsi devenu le premier directeur du Département d’histologie et d’embryologie.
Le Dr Desmond Magner, un cancérologue d’origine irlandaise diplômé de médecine à l’Université de Toronto qui avait dirigé un corps médical pendant la guerre, est devenu chef du Département de pathologie.
D’autres ont accepté des postes à temps partiel. Mais pour compléter son corps professoral, le père Danis s’est tourné vers l’Europe.
Le Dr Fedor Bohatirchuk, un réfugié ukrainien, a été recruté depuis un hôpital américain en Allemagne occupée. Il est arrivé au Canada avec son appareil de radiographie portable pour rejoindre le Département d’anatomie (voir l’histoire Ce radiologue ukrainien et maître d’échecs a peut-être inspiré Le Docteur Jivago).
Le Dr Victor Szyrynski, un psychiatre qui s’était joint au mouvement de résistance clandestin polonais pendant la Seconde Guerre mondiale, est venu enseigner la neurophysiologie.
Le Dr Jean Ettori, Chevalier de la Légion d’honneur qui avait servi comme médecin dans les Forces françaises libres, est devenu chef du Département de biochimie. Et plusieurs autres.
Mission accomplie
Le 26 septembre 1945, cent jours après que le père Danis eut été chargé de sa mission, les premiers étudiants commencèrent leurs études préparatoires en médecine. En septembre de l’année suivante, l’école de médecine était en pleine action. Une entente avec les Sœurs Grises, qui dirigeaient l’Hôpital général d’Ottawa, a alors permis d’assurer aux étudiants en médecine une place en formation clinique.
« Merci, mon Dieu, et merci, Père Danis, pour cette petite école », écrira plus tard dans ses mémoires le Dr Léonard Bélanger, qui a pris sa retraite en 1978 après 32 ans à la Faculté.
« Merci pour les centaines de jeunes hommes et de jeunes femmes de partout au Canada et aux États-Unis qui ont pu se lancer dans la médecine à Ottawa. Ça en valait la peine, oui, ça en valait vraiment la peine. »