Il faut un village pour se débarrasser d’une dépendance

Faculté de médecine
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la Dre Smita Pakhale et une ami dans un jardin
La Dre Smita Pakhalé, qui codirige un programme unique d’abandon du tabac pour et avec les personnes les plus vulnérables d’Ottawa, craint que le confinement induit par la pandémie de COVID-19 ne les prive d’un soutien social essentiel.

Par Melanie Ratnayake
Rédactrice invitée

Pneumologue à l’hôpital d’Ottawa, la Dre Smita Pakhalé a malheureusement vu beaucoup trop de patients souffrant de maladies pulmonaires graves en phase terminale. 

« La plupart des personnes qui se présentent à ma clinique sont si gravement atteintes par la maladie qu’il n’y a pas grand-chose que je puisse faire d’autre que de leur apporter une solution temporaire », a déclaré la Dre Pakhalé, professeure agrégée au Département de médecine de l’Université d’Ottawa et scientifique au sein du Programme d'épidémiologie clinique de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa.

Consciente que le tabac est la cause la plus fréquente de maladies pulmonaires graves, la Dre Pakhalé a décidé, il y a quelques années, de participer à la création d’un programme conçu pour aider certaines personnes à arrêter de fumer. Ou plus précisément, les personnes les plus vulnérables de la société, c'est-à-dire les sans-abri, ceux qui vivent dans la pauvreté et les toxicomanes. 

« Nous devons traiter les humains comme des humains », a déclaré la Dre Pakhalé. « En donnant des opportunités aux gens, nous pouvons réduire certaines des grandes inégalités de la société. »

La base de la Dre Pakhalé pour aider les gens à arrêter de fumer est le Bridge Engagement Centre (The Bridge),situé dans un centre communautaire de la rue Donald, dans le quartier Overbrook d’Ottawa. Plus qu’un simple centre de recherche communautaire, The Bridge sert de deuxième foyer plusieurs de ses participants, leur offrant un espace sûr pour pratiquer des activités qui les intéressent, notamment l’art, la cuisine et le jardinage.

Mais la ville étant désormais placée sous confinement en raison de la pandémie de COVID-19, The Bridge, comme tous les espaces communs, est fermé. 

« Les populations vulnérables subissent plus que d’autres les effets de cette pandémie de COVID-19, car plusieurs n’ont pas accès aux services téléphoniques, internet et bancaires que nous considérons tous comme acquis », a-t-elle déclaré. « Certains comptent sur l’accès à Internet du Bridge ou d’autres lieux publics comme les bibliothèques pour communiquer avec leur famille et leurs amis. Mais maintenant, avec le confinement, ce n’est plus possible. »

« Je m’inquiète donc de leur état de santé mentale, de leur accès à l’information sur la santé et de leur sécurité alimentaire pendant cette période. Près de 80 % des membres qui accèdent au Bridge ont du mal à assurer leur sécurité alimentaire. Dans la situation actuelle, ils sont encore plus nombreux. »

Avant de commencer à travailler au Bridge, la Dre Pakhalé a été interviewée par ses pairs chercheurs du centre et le comité consultatif de la communauté. Après avoir été acceptée par la communauté, elle a commencé à travailler sur le premier projet de The Bridge, intitulé Participatory Research in Ottawa Understanding Drugs(PROUD). Ce projet a révélé que le taux de tabagisme dans la population pauvre de la ville d’Ottawa est d’environ 96 % - un contraste frappant avec le taux de tabagisme de seulement 9 à 12 % dans la population générale d’Ottawa.

Cela a conduit la Dre Pakhalé et le comité consultatif de la communauté de The Bridge à collaborer à la création du projet PROMPT en 2018, qui a fourni à 80 participants des thérapies gratuites de remplacement de la nicotine, en plus d’un espace sécurisé, d’un soutien par les pairs, de conseils, d’une éducation aux compétences de la vie comme les transactions bancaires, et d’un accès à un personnel infirmier. Les deux projets ont eu recours à une approche communautaire de recherche-action participative appelée Ottawa Citizen Engagement and Action Model(OCEAM).

L’étude PROMPT, d’une durée de six mois, a révélé que les participants qui sont restés dans le programme ont réduit leur consommation quotidienne de cigarettes de 20,5 à 9,3 en moyenne par jour. De plus, les participants ont également signalé une baisse de 18,8 % de leur consommation d’autres drogues telles que l’héroïne, l’OxyContin et le fentanyl. 

Cela a eu un effet positif en aval, puisque de nombreux participants se sont inscrits à l’école ou ont continué à travailler. 

« Tous ces déterminants sociaux sont étroitement liés : problèmes de santé mentale, pauvreté, logement, insécurité alimentaire, traumatisme. Tous ces facteurs sont liés aux dépendances », explique la Dre Pakhalé. « Il faut donc une approche qui s’adresse à la personne dans son ensemble plutôt que seulement aux opiacés, à la cigarette ou au diabète. »

Aujourd’hui, la Dre Pakhalé craint que la pandémie de COVID-19 et les efforts de la société pour la contenir n’aient des effets négatifs en aval pour les personnes les plus vulnérables de la société. 

« La pandémie de COVID-19 a révélé des inégalités structurelles au sein de nos institutions, de nos politiques et de notre économie, laissant les populations vulnérables en dernière position pour recevoir du soutien », a-t-elle déclaré. « Les espaces publics communs et les services sociaux essentiels, tels que les parcs municipaux, les services de gestion des cas, les musées et les bibliothèques, sont fermés, ce qui aggrave encore plus les problèmes de santé mentale et de comorbidité. »

« Il est plus que jamais nécessaire d’adopter des politiques fondées sur l’équité et de réagir aux épidémies ».

Depuis que cet article est apparu, la Dre Pakhale a recu un financement du Fonds d'urgence COVID-19 de la Fondation de l'Hôpital d'Ottawa pour étudier les repercussions de la COVID-19 sur les personnes vulnérables.


Melanie Ratnayake est une étudiante de quatrième année à la Faculté de médecine, inscrite au programme de baccalauréat ès sciences spécialisé en médecine moléculaire et translationnelle. Initialement, elle a écrit cet article pour son cours en communication scientifique dans le cadre d’une série dressant le profil de chercheurs de la Faculté de médecine. L'article a été mis à jour à l'aide de la Dre Smita Pakhalé.

Le cours a été élaboré et enseigné par Dre Kristin Baetz, doyenne adjointe intérimaire, recherche et projets spéciaux et professeure au Département de biochimie, microbiologie et immunologie, afin de permettre aux étudiants de transmettre des sciences complexes à un public profane - une compétence essentielle lors de présentations, de demandes de subventions, de résumés d'articles de recherche et de communications générales dans le domaine des sciences biomédicales.

MedPoint publiera des profils tirés de cette série tout au long de l’année 2020.

La Dre Smita Pakhale et une ami dans un jardin
un groupe de personnes devant un mur vert