Lorsque la cigogne passe durant une pandémie

Faculté de médecine
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Donner naissance en période de COVID-19 peut être périlleux.

Un texte de Jessica Sinclair
 

La naissance est un moment fragile même dans des conditions normales, et l’on craint que la pandémie actuelle ne fasse que compliquer les choses. L’épidémiologiste Deshayne Fell et des experts de partout à travers la province veulent savoir comment le nouveau coronavirus se comporte dans les services de maternité et les centres de naissance de l’Ontario. Pour cela, cette professeure agrégée de l’École d’épidémiologie et de santé publique utilise l’immense quantité de données recueillies par le Registre et réseau des Bons résultats dès la naissance (BORN Ontario).

Notre registre provincial des naissances, BORN Ontario, recueille régulièrement des données sur les circonstances entourant chaque naissance, notamment sur l’état de santé de la mère, la prématurité ou tardiveté de la naissance et le poids du nouveau-né. En plus des données provenant des hôpitaux, BORN Ontario reçoit de l’information des sages-femmes qui participent aux naissances à domicile et aux accouchements dans les centres de naissance. Lorsque la pandémie de la COVID-19 a frappé, la Dre Fell a collaboré avec BORN Ontario pour concevoir rapidement un outil de collecte de données, qui a été mis en place à l’échelle de la province en deux semaines. Cette collecte de données améliorée sera en place pendant une année entière, pour couvrir la deuxième vague de la COVID-19 prévue à l’automne.

« Les épidémies passées de maladies infectieuses nous ont appris que les femmes enceintes sont souvent plus affectées par les maladies respiratoires virales que les femmes du même âge qui ne sont pas enceintes, et que cela peut entraîner des complications de grossesse, comme des naissances prématurées », a déclaré la Dre Fell.

La grossesse entraîne des changements physiques importants, et la pression exercée par un utérus élargi peut à elle seule diminuer les capacités pulmonaires. En plus des changements chimiques et hormonaux, les deux derniers trimestres semblent rendre certaines maladies, comme la grippe, plus dangereuses pour les femmes enceintes. Les femmes enceintes sont également plus susceptibles de contracter certaines maladies, comme c’est le cas avec le paludisme.

Il y a onze ans, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré une nouvelle souche de grippe H1N1 d’origine porcine comme étant une pandémie. La Dre Fell, qui travaillait alors à BORN Ontario, a participé à l’utilisation du registre pour suivre les effets de la grippe porcine sur les femmes enceintes et leurs nouveau-nés. Ses craintes étaient justifiées : les femmes enceintes ont été touchées de manière disproportionnée pendant cette pandémie. En 20 mois, des centaines de milliers de personnes sont décédées dans le monde, dont une poignée de femmes enceintes aux États-Unis et au Canada. Les enfants âgés de moins de 5 ans ont enregistré les taux d’hospitalisation les plus élevés.

Le nouveau coronavirus a déjoué nos prévisions dès le début. Les professionnels de la santé s’attendaient au départ à ce qu’il frappe aussi bien les personnes très âgées que les très jeunes enfants, sur la base de l’expérience acquise lors d’autres épidémies de maladies infectieuses. Or, seule la première prévision s’est avérée exacte. La question de l’heure en matière de santé maternelle est de savoir si l’infection par le SRAS-CoV-2 suivra ou non le même schéma que les précédentes pandémies de la grippe.

« Les premières études chinoises suggèrent que les femmes enceintes ne sont pas plus susceptibles d’être infectées par le SRAS-CoV-2 (le virus qui provoque la COVID-19) », a affirmé la Dre Fell. « En Ontario, nous examinerons non seulement la gravité de l’infection diagnostiquée chez les femmes enceintes, mais également si elles sont plus susceptibles de se retrouver à l’hôpital ou aux soins intensifs (ou de présenter d’autres problèmes) une fois qu’elles l’ont contractée ».

Avec autant de variables inconnues, de sérieuses questions subsistent sur la manière de gérer l’accouchement d’une mère atteinte de la COVID-19. Le bébé doit-il être isolé de sa mère immédiatement après la naissance? Faut-il conseiller à la mère d’allaiter pendant qu’elle est infectée? Les anticorps présents dans le lait maternel confèrent-ils une immunité à l’enfant? Le coronavirus se transmet-il verticalement de la mère à l’enfant in utero, par le placenta? Les réponses à ces questions seront lourdes de conséquences pour les jeunes familles et les nouveau-nés au cours des premiers jours de leur vie.

L’équipe de BORN Ontario prévoit de partager certains rapports de surveillance initiaux dans les mois à venir, en partageant autant d’informations que possible avec le groupe de travail sur la COVID-19 de la province, et en contribuant à informer les réseaux provinciaux de soins obstétricaux. BORN partagera également les données de l’Ontario dans le cadre de la collaboration nationale canadienne « COVID-19 pendant la grossesse ».