La lutte contre la COVID dans les établissements de soins de longue durée

Faculté de médecine
Faculté de médecine
Le Dr Alan Chaput
Le Dr Alan Chaput, doyen adjoint aux Études médicales postdoctorales, fait part de son travail dans un établissement de soins de longue durée d’Ottawa.

Le Dr Alan Chaput fut l’un des nombreux professionnels de la santé à être déployés par L’Hôpital d’Ottawa pour aider les établissements de soins de longue durée à faire face aux éclosions de la COVID-19. Nous nous sommes entretenus avec le Dr Chaput, doyen adjoint aux Études médicales postdoctorales et anesthésiologiste à L’HO au sujet de son expérience dans un établissement de soins de longue durée d’Ottawa où il était affecté en mai et juin. 

Vous avez rencontré plusieurs résidents de l’établissement atteints de la COVID-19. Quel était leur état de santé ?

Plusieurs résidents sont plus jeunes que ce à quoi je m’attendais, et vivent dans un établissement de soins de longue durée parce qu’ils souffrent de maladies chroniques qui nécessitent un niveau élevé de soins. J’ai été agréablement surpris de constater que bon nombre des résidents infectés par la COVID se portaient bien, notamment ceux qui présentaient des facteurs de risque tels que l’immunosuppression. C’était rassurant. Il convient de noter qu’au moment où je suis arrivé pour travailler dans cet établissement, plusieurs résidents avaient déjà été emportés par la COVID, de sorte que mon expérience s’est déroulée après le pire de l’éclosion.

J’ai également été surpris par le fait qu’aucun des résidents dont l’infection était active ne toussait ou n’éternuait. Les résidents infectés rapportaient plutôt une perte d’appétit, un sentiment de mal-être, un sentiment de malaise général et un manque d’énergie. Bien que ces résidents ne se plaignent pas d’essoufflements, et ne semblaient pas avoir de la difficulté à respirer, ils affichaient souvent un faible niveau d’oxygène dans le sang. Dans la plupart des cas, les patients ont très bien répondu à de faibles doses d’oxygène d’appoint. Cela dit, les résidents qui avaient besoin d’oxygène d’appoint devaient être surveillés de près puisque dans certains cas, leur état se détériorait rapidement.  

Parliez-vous avec les résidents de ce qui allait se passer s’ils devenaient gravement malades de la COVID-19 ?

Très certainement. Avec les résidents sans handicap cognitif, nous avons eu une bonne discussion sur ce qu’ils souhaitaient si leur état devait s’aggraver. Voulaient-ils être envoyés à l’hôpital ? Si un tube respiratoire s’avérait nécessaire, voudraient-ils qu’on procède à l’intubation ? Nous avons eu une discussion réaliste sur les solutions et les résultats à prévoir face aux différentes options de traitement. Par exemple, nous savons que chez les patients atteints de la COVID, la probabilité d’un rétablissement complet après l’intubation/ventilation est plutôt faible et que les résultats sont encore moins encourageants chez les personnes qui présentent d’autres affections médicales ou qui sont âgées. Il est donc possible de mettre cette information en contexte pour les résidents. Si les résidents ne sont pas en mesure de prendre des décisions concernant leur traitement, nous avons cette discussion avec la famille.

Comment l’établissement de soins de longue durée a-t-il fait face au fait que certains de ses résidents étaient infectés par la COVID-19, alors que d’autres ne l’étaient pas ?

Dans l’établissement de soins de longue durée où j’ai travaillé, ils ont tenté de séparer les résidents autant que possible : une unité était dédiée aux résidents atteints de la COVID, et une autre sur le même étage était pour les « débordements » avec une section de résidents atteints de la COVID et une section de résidents non infectés. J’ai été témoin de résidents infectés et non infectés qui partageaient les mêmes chambres et les mêmes salles de bain. Heureusement, la situation a été rapidement rectifiée peu de temps après mon arrivée dans cet établissement. De façon générale, les résidents non infectés à cet étage étaient beaucoup plus à risque de contracter la COVID, et conséquemment beaucoup plus à risque d’en être sévèrement atteints comparativement à la moyenne des gens. Les résidents non infectés qui cohabitaient sur le même étage étaient très inquiets de contracter l’infection étant ni plus ni moins entourés de résidents infectés. Tous étaient très conscients que plusieurs résidents, dont plusieurs qu’ils connaissaient personnellement, étaient décédés de la COVID. De nombreux résidents m’ont confié que la seule chose à laquelle ils pouvaient penser, était à quel moment ils seraient infectés et s’ils allaient alors en mourir ou non.

Quelle est la relation entre les résidents et le personnel ?

Le personnel est fantastique. Quand je visitais ces résidents qui n’ont pas eu beaucoup d’interaction sociale au-delà des gens qui s’occupent d’eux, et que je leur demande : « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? », la grande majorité des résidents disent : « Non, vous en faites déjà assez en étant ici. Nous sommes tellement reconnaissants de votre présence. Vous et l’ensemble du personnel êtes ici pour nous aider. »  Les membres du personnel permanent de l’établissement sont très attentifs aux résidents. Ils ont joué un rôle essentiel pour nous aider à comprendre l’état des patients qu’ils connaissent si bien. Ceci fut important pour nous aider à assurer une évaluation et un soutien rapides.

Comment les installations des établissements de soins de longue durée se comparent-elles à celles des hôpitaux ?

De façon générale, nous avons traité les résidents sur l’étage de la COVID de la même façon que nous l’avons fait pour les patients en milieu hospitalier. Nous avons fait des rondes, et chaque fois que cela était possible, un(e) infirmier/infirmière autorisé(e), un(e) infirmier/infirmière psychiatrique autorisé(e) ou un membre du personnel permanent nous accompagnait. De cette façon, nous avons appris à connaître chacun des résidents. Ce que nous avons rapidement réalisé, c’est que nous n’avions pas accès au même niveau de soutien médical auquel nous étions habitués à l’hôpital. Par exemple, la mesure des signes vitaux était souvent difficile à obtenir parce que les appareils étaient hors d’usage ou non disponibles. De plus, l’information sur les antécédents médicaux et les médicaments des résidents n’était accessible qu’à partir du dossier électronique, qui ne pouvait être consulté qu’à partir d’un poste central de soins infirmiers (pour y accéder, nous devions enlever tout l’équipement de protection individuelle, chose que nous avons essayé d’éviter de faire autant que possible pour minimiser notre propre risque d’infection). De plus, nous étions limités dans nos capacités d’analyses sanguines et de radiographies et il fallait beaucoup de temps pour obtenir des résultats. Lorsqu’un traitement d’oxygène d’appoint était nécessaire, un concentrateur d’oxygène devait être commandé d’une tierce partie. Pour éviter les délais, un concentrateur d’oxygène était souvent emprunté d’un résident qui n’en avait plus besoin puisque les résidents ne pouvaient pas se permettre d’attendre pour leur oxygénothérapie. Lorsqu’un nouveau médicament était prescrit, l’ordonnance devait être envoyée à une pharmacie externe et il pouvait s’écouler jusqu’à 2 jours avant que le traitement puisse être initié. Dans les premiers jours, on a reconnu qu’il était nécessaire d’avoir une réserve de médicaments pour soins palliatifs pour éviter les délais inutiles lorsqu’un résident était considéré en fin de vie.

Je me demande ce que vous pensez de la difficulté qu’il y a à isoler des gens qui risquent d’être très malades et qui peuvent mourir sans être avec leurs proches, par rapport aux problèmes que pourrait causer la venue d’un proche et la propagation éventuelle de la maladie ?

C’est une question sans réponse facile. Nous devons trouver un équilibre entre les besoins d’un résident mourant et ceux de sa famille et la nécessité de protéger la société dans son ensemble. J’ai vu à quel point cette maladie peut être dévastatrice pour plusieurs. Il n’y a aucun moyen de prédire avec précision qui aura des symptômes légers et qui en mourra. Ainsi, nous devons être très vigilants pour protéger le plus grand nombre de personnes que possible d’une infection potentielle. À mon avis, on ne peut justifier le risque d’exposer un membre de la famille d’un résident à une unité remplie de résidents infectés à la COVID, même lorsque ce résident est dans ses dernières heures ou ses derniers jours de vie. Une partie de mon rôle dans les établissements de soins de longue durée a été de veiller à ce que les patients en fin de vie reçoivent des soins appropriés, notamment l’administration de médicaments qui minimisent la souffrance. J’espère que les membres de la famille seront réconfortés de savoir que cela a été fait pour leurs proches. 

 

 

 

 

Le Dr Alan Chaput