Les médicaments les plus répandus agissent de façon surprenante sur le microbiome

Faculté de médecine
L’étude des effets sur les micro-organismes suggère un manque de connaissances de ce qui se passe dans la flore intestinale

Par Jessica Sinclair
Rédactrice scientifique

Une étude publiée aujourd’hui dans la revue Microbiome révèle que certains des médicaments et composés les plus couramment utilisés peuvent avoir de lourdes conséquences sur le microbiome de la flore intestinale. L’ibuprofène, par exemple, peut éliminer les bactéries intestinales de façon semblable aux antibiotiques. 

Plus de la moitié des cellules de notre corps sont des micro-organismes, c’est-à-dire les bactéries et champignons qui contribuent souvent à notre santé de manière déterminante. Malgré leur petite taille, les organismes du microbiome sont des usines qui fabriquent d’importants métabolites utilisés par notre corps.  

Les médicaments que nous prenons peuvent avoir un effet particulier sur notre propre physiologie et un tout autre effet sur les micro-organismes qui vivent en nous. Par exemple, divers anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent avoir des effets similaires sur les humains tout en ayant des effets très différents sur le microbiome. Bien que l’ibuprofène diminue radicalement la biomasse du microbiote intestinal, l’indométacine, un autre AINS enrichit la famille de bactéries désignée sous le terme d’entérobactéries. Parmi ces bactéries, on y retrouve le E. coli et la salmonelle, qui peuvent potentiellement provoquer de graves infections.

Le Dr Daneil Figeys, chercheur principal, fait valoir que ces conclusions confirment la nécessité de renforcer le processus réglementaire pour les nouveaux médicaments et d’examiner de plus près les médicaments existants.

« Les médicaments devraient être identifiés par deux étiquettes ; une pour leurs effets sur l’hôte, et une autre pour leurs effets sur le microbiome, » signale le Dr Figeys, professeur au Département de biochimie, microbiologie et immunologie. « Aucun médicament ne pourrait être mis en marché sans qu’une évaluation de la fonction hépatique soit d’abord réalisée, et il devrait en être de même pour l’évaluation de la fonction du microbiote. »

Comme il n’y avait jusqu’à présent aucune méthode d’analyse fiable, très peu de composés ont fait l’objet d’études quant à leurs effets sur le microbiome. L’analyse des effets sur chacune des bactéries individuellement ne sera pas possible puisque les bactéries ne produisent pas les mêmes métabolites ou n’agissent de la même façon lorsqu’elles sont isolées. Au sein d’une communauté, elles se font concurrence et coopèrent de manière complexe, et le Dr Figeys chercher à capter cette complexité afin de mieux simuler ce qui se passe dans la flore intestinale.

Son équipe a développé une méthode pour maintenir en vie les microbiotes intestinaux dans des conditions de culture précises. Des échantillons sont prélevés dans les selles des patients, et parfois même directement dans les intestins lors d’une endoscopie. Ces échantillons sont placés sur une plaque à 96 cupules. Un composé peut ensuite être ajouté dans chaque cupule pour de vérifier son effet sur le microbiome qui s’y trouve.

Cette méthode d’analyse d’un grand nombre de médicaments permettrait de sonner l’alerte, en plus de s’ajouter à notre arsenal de soi-disant « promédicaments, » qui parfois se servent du microbiome pour libérer leurs composés actifs. Par exemple, un composé surnommé berbérine est largement utilisé en Asie pour la perte de poids et peut agir, en partie, à travers le microbiome.

« Nous avons constaté que lorsqu’elles sont traitées avec la berbérine, certaines bactéries importantes pour la perte de poids, présentes chez les personnes minces et absentes chez les personnes obèses, augmentent, » mentionne le Dr Figeys.

Entre-temps, son équipe n’attend pas que l’étude soit exigée en vertu de dispositions réglementaires. Le laboratoire étudie activement les effets d’une variété de composés sur le microbiome, et sait très bien qu’elle pourrait être surprise par ce qu’elle découvrira.