Jessica Sinclair
Rédactrice scientifique
Lorsqu’un acteur ne peut jouer au théâtre, une doublure (idéalement quelqu’un qui connaît un peu le rôle) peut prendre sa place sur scène. Une étude du laboratoire du Dr Bernard Jasmin publiée aujourd’hui dans Nature Communications montre qu’il en va de même pour les protéines. Ses résultats ouvrent la voie à de nouveaux traitements de la dystrophie musculaire de Duchenne.
Les enfants nés avec la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) présentent une mutation dans le gène du chromosome X qui coderait normalement la dystrophine, une protéine qui assure l’intégrité structurelle des muscles squelettiques. La perte de cette protéine provoque des symptômes graves, notamment une détérioration de la force musculaire qui commence vers l’âge de quatre ans. L’espérance de vie moyenne d’un enfant atteint de cette maladie est actuellement de 26 ans.
Bien qu’il n’existe pas de remède, un domaine de recherche prometteur s’est développé autour de l’utrophine, une protéine identique à la dystrophine à environ 80 % et qui prend même sa place au début du développement musculaire. L’utrophine est produite à partir d’un gène du chromosome 6, généralement intact chez un patient atteint de DMD.
« Les traitements à base d’utrophine peuvent s’appliquer à tous les patients atteints de DMD, quelle que soit leur mutation de la dystrophine », déclare la Dre Christine Péladeau, stagiaire postdoctorale responsable de ce projet. « Et ce n’est pas quelque chose que nous voyons avec la plupart des autres approches thérapeutiques ».
Cette étude a examiné une voie spécifique de « transposition dépendante du site interne d’entrée du ribosome (IRES) », qui incite le ribosome d’une cellule à déclencher la production d’utrophine. L’équipe a procédé à la mise à l’essai de 262 médicaments approuvés par la FDA pour savoir lesquels pouvaient activer le plus efficacement la transposition médiée par l’IRES pour stimuler l’expression d’utrophine dans le muscle. Deux médicaments actuellement sur le marché se sont révélés être les meilleurs candidats : le bétaxolol, un bêta-bloquant, et la pravastatine, un médicament hypocholestérolémiant. Lorsqu’ils sont administrés à un modèle murin de DMD, ces médicaments favorisent chacun une augmentation de la force musculaire semblable à celle des souris en bonne santé.
Un certain nombre d’avantages soutiennent le ciblage de l’utrophine comme traitement de la DMD, par rapport à des approches plus complexes, notamment le remplacement du gène de la dystrophine par des vecteurs viraux. L’utilisation, à d’autres fins, de médicaments approuvés par la FDA peut également contribuer à l’accélération du processus d’essai clinique. Les doses requises devraient être assez faibles, ce qui améliore les chances d’obtenir une faible toxicité.
De plus, l’utrophine semble jouer un rôle dans les efforts de l’organisme pour combattre la maladie.
« Les muscles des personnes atteintes de DMD ont tendance à essayer de réguler naturellement les niveaux d’utrophine, sachant qu’il n’y a pas de dystrophine », explique le Dr Bernard Jasmin, qui dirige le laboratoire où les travaux ont été menés. « Ce n’est évidemment pas suffisant, mais en l’absence de cette régulation endogène positive, la DMD serait bien pire ».
Une stimulation supplémentaire de cette réponse naturelle par la voie identifiée agit avec le corps pour renforcer les muscles, sans risque d’une réponse immunitaire négative au traitement. Cela démontre également la possibilité d’utiliser la transposition médiée par l’IRES à des fins thérapeutiques. Elle sert de preuve de principe pour renforcer l’idée que cette méthode pourrait être utilisée afin de traiter d’autres maladies comme le cancer et les maladies neurodégénératives.