Par Shauna Han et Iryna Abramchuk
Rédactrices invitées
Avoir son projet de recherche dévoré par une famille de libellules peut sembler ridicule, mais pour la Dre Manisha Kulkarni, professeure adjointe à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa, il s’agit d’un risque professionnel. À titre d’entomologiste médicale, elle étudie la propagation de maladies par des insectes et a rapidement compris qu’il « faut apprendre à encaisser les coups lorsqu’on effectue ce genre de travail ».
La Dre Kulkarni dirige le laboratoire de recherche INSIGHT (recherche interdisciplinaire en informatique spatiale pour la santé mondiale). Comme le suggère le nom, les scientifiques du laboratoire INSIGHT combinent la recherche en santé à l’étude des facteurs géographiques sous-jacents pour acquérir des connaissances sur la propagation de maladies.
Ces connaissances peuvent mener à l’adoption de politiques qui améliorent les interventions, minimisent le gaspillage de ressources et, ultimement, limitent la propagation de maladies.
« Les gens peuvent utiliser les connaissances et l’information que nous mettons à leur disposition pour prendre des décisions », explique la Dre Kulkarni, récipiendaire du prix Chercheuse de l’année — sciences fondamentales 2019 de l’Université d’Ottawa.
Les sujets de recherche de la Dre Kulkarni couvrent la transmission du virus Zika en Amérique du Sud; la prévalence de la maladie de Lyme dans l’Est ontarien; les facteurs environnementaux de la santé des mères en Éthiopie. Elle étudie aussi en quoi les changements mondiaux peuvent contribuer à la transmission d’agents pathogènes de la faune aux humains, comme ce fut le cas avec le virus SARS-CoV-2, afin de prévoir les secteurs à forte incidence d’émergence de maladies. Mais le cœur de sa recherche est son travail sur la transmission de la malaria en Tanzanie.
Depuis quelques années, les filets traités avec un type de pesticide appelé pyréthrinoïde se sont avérés efficaces pour maîtriser la malaria. Bien que mortel pour les insectes, les pyréthrinoïdes présentent une faible toxicité pour les mammifères et les oiseaux.
Cependant, dans certaines régions de la Tanzanie, les moustiques ont récemment développé une résistance aux pyréthrinoïdes et on note une hausse des cas de la maladie.
Les chercheurs envisagent des moyens de déjouer ces vecteurs résistants, en utilisant de nouveaux insecticides, ou en ajoutant des synergistes; des produits chimiques qui augmentent la puissance des pyréthrinoïdes actuels.
La Dre Kulkarni mène actuellement un projet de quatre ans en collaboration avec le Pan-African Malaria Vector Research Consortium (PAMVERC) sur l’efficacité des filets traités avec le synergiste butoxyde de pipéronyle pour maîtriser la maladie transmise par les moustiques résistants aux pyréthrinoïdes.
En 2018, des filets ont été envoyés dans les régions avec une forte densité de moustiques résistants aux insecticides. L’étude en cours évaluera l’impact des filets sur la prévalence de la malaria, les taux de transmission et la densité des populations de moustiques vecteurs.
« Si les résultats s’avèrent positifs pour certains de ces filets de la nouvelle génération, cela pourrait avoir des répercussions sur la politique mondiale », mentionne la Dre Kulkarni.
Avec des perspectives de distribution à grande échelle de ces filets de la nouvelle génération, cette recherche pourrait limiter la propagation de la malaria en Afrique de l’Est et déjouer cet arthropode ennemi adaptable.
Shauna Han et Iryna Abramchuk sont des étudiantes de quatrième année à la Faculté de médecine, inscrites au programme de baccalauréat ès sciences spécialisé en médecine moléculaire et translationnelle. Initialement, elles ont écrit cet article pour leur cours en communication scientifique dans le cadre d’une série dressant le profil de chercheurs de la Faculté de médecine.
Le cours a été élaboré et enseigné par Dre Kristin Baetz, doyenne adjointe intérimaire, recherche et projets spéciaux et professeure au Département de biochimie, microbiologie et immunologie, afin de permettre aux étudiants de transmettre des sciences complexes à un public profane - une compétence essentielle lors de présentations, de demandes de subventions, de résumés d'articles de recherche et de communications générales dans le domaine des sciences biomédicales.
MedPoint publiera des articles tirés de cette série tout au long de l’année 2020.