Par Michelle Read
Rédactrice
Le Dr Francis Bakewell, urgentologue, se souvient de la tension croissante lorsqu’un patient s’est présenté avec un saignement de nez épouvantable. « Au moins, je n’ai pas la COVID, » a lancé le patient, en tenant des mouchoirs contre son visage.
Cette blague inattendue a permis de détendre l’atmosphère dans la pièce, et aux médecins de tourner leur pensée vers le traitement du patient pour qu’il puisse rentrer à la maison.
Les bienfaits de l’humour en médecine sont reconnus depuis fort longtemps, déclare le Dr Bakewell, directeur du programme Médicine, éthique et humanité au Département d’innovation en éducation médicale (DIEM)—à un point tel qu’il croit qu’il faut explorer la possibilité d’intégrer une formation sur l’humour dans le cursus du programme de médecine.
Une longue histoire d’humour clinique
Ayant fait des études en éthique, le Dr Bakewell a toujours été fasciné par les communications acceptables par rapport à celles qui ne le sont pas. Médecin à L’Hôpital d’Ottawa et professeur adjoint au Département de médecine d’urgence, il détient une nomination conjointe au DIEM et est responsable d’intégrer au programme de la Faculté des concepts axés sur les sciences humaines afin de transmettre aux apprenants une bonne compréhension de l’histoire et l’expérience humaine.
Le Dr Bakewell ajoute que l’humour a toujours fait partie de la communication entre le médecin et son patient, expliquant que la plupart des rencontres avec les patients impliquent un certain degré d’humour, initié et adopté à peu près en parts égales par les patients et les fournisseurs de soins.
En plus de promouvoir la guérison, « l’humour contribue à établir un lien entre les personnes », mentionne-t-il. « Il permet de dédramatiser les situations tendues, d’atténuer la douleur causée par les messages difficiles à transmettre, et d’exprimer de la frustration ou de la colère de manière socialement acceptable; des aspects qui sont bénéfiques à la prestation de meilleurs soins ».
L’utilisation de l’humour clinique comporte des risques. Le Dr Bakewell cite une étude des interactions cliniques entre les médecins et leurs patients qui rapporte que, bien souvent, les fournisseurs de soins croient plaisanter, mais les patients ne perçoivent pas l’humour de leurs propos, ouvrant ainsi la possibilité de préjudices ou d’erreurs.
Toutefois, le Dr Bakewell ne croit pas que les risques devraient empêcher les gens d’avoir recours à l’humour ou d’examiner et de bénéficier de ses aspects positifs. Il s’agit d’une question d’équilibre, dit-il : il faut savoir quand avoir recours à l’humour, et ne pas viser une personne en particulier.
Enseigner l’humour dans le programme de médecine
Dans le cadre de l’éducation médicale, la discussion au sujet du recours à l’humour porte principalement sur ses aspects négatifs, et ce faisant, décourage les stagiaires d’y avoir recours.
« La formation professionnelle met souvent en garde les étudiants contre l’utilisation inappropriée de l’humour, mais ne leur fournit peut-être pas des idées ou des outils pour utiliser l’humour de manière appropriée », insiste-t-il.
La recherche sur l’humour en éducation médicale est quasi-inexistante, ajoute le Dr Bakewell, malgré des douzaines de théories en philosophie, psychologie, sociologie et autres domaines qui traitent des raisons poussant les humains à plaisanter et du fonctionnement de l’humour. Certaines théories pourraient s’appliquer en médecine, donnant lieu ainsi à des possibilités de développer un cadre pour une recherche future sur l’utilisation de l’humour en éducation médicale; tant comme méthode d’enseignement de la médecine que pour expliquer aux stagiaires la façon de l’utiliser dans leur propre pratique.
« Nous devons aborder l’humour de manière plus positive, définir comment nous pouvons l’utiliser efficacement en médecine et comment transmettre cette information à nos stagiaires », insiste-t-il. Il cite en exemple l’improvisation médicale, un domaine en essor que le programme de Médecine, éthique et humanité a exploré durant les stages au choix des étudiants, à titre d’exemple sur la façon d’enseigner les compétences en humour et en communication.
En règle générale, mentionne le Dr Bakewell, la recherche suggère que les individus affichent un meilleur rendement sur le plan cognitif après avoir ri, plus encore qu’après avoir fait de l’activité physique. « Clairement, un processus neuronal profond est en jeu lorsque nous sommes exposés à quelque chose d’humoristique, mais encore là, le phénomène n’a pas été réellement examiné en éducation médicale ».
Préconiser une certaine légèreté après une année de pandémie
L’humour peut aussi jouer un rôle pour contrebalancer les problèmes de santé mentale anticipés liés à la pandémie de COVID-19, grâce à sa capacité éprouvée de réduire des risques de dépression et d’anxiété.
« Cette année, il a été très difficile de préserver notre sentiment d’humanité, notre santé mentale, notre résilience », enchaîne-t-il. « Comme élément fondamental d’une expérience humaine complète, chacun pourrait et devrait incorporer, dans une certaine mesure, l’humour dans son quotidien ».
Il y a place pour de la recherche sur la façon d’intégrer l’humour dans le mieux-être des médecins. « Il pourrait être utile de l’inclure de façon plus formelle dans un programme de mieux-être », mentionne le Dr Bakewell, expliquant que les patients admettent qu’ils souhaitent voir des fournisseurs qui possèdent cette expérience humaine complète, et plaisantent et rient aux moments opportuns.
Nous ne devons pas nous sentir coupables de rire tous les jours, que ce soit dans notre pratique, entre collègues ou dans nos loisirs, assure le Dr Bakewell.
« Il est important pour nous tous de préserver notre santé mentale malgré la pandémie », dit-il.
Au fait, vous connaissez la série télévisée américaine Scrubs?