Par David McFadden
Rédacteur scientifique
Au cours des dernières semaines, on a fait l’éloge du Dr Ronald Labonté et du coauteur Dr Arne Ruckert, les deux des professeurs a la Faculté de médecine, pour leur livre qui donne un aperçu des principaux enjeux de l’équité en matière de santé mondiale. Leur livre Health Equity in a Globalizing Era: Past Challenges, Future Prospects a été choisi comme Ouvrage médical de l’année 2021 et le gagnant dans la catégorie santé publique par la British Medical Association, l’un des organismes médicaux les plus influents du Royaume-Uni.
Alors que le monde sort peu à peu de la pandémie de COVID-19, le Dr Labonté, professeur à l’École d’épidémiologie, de santé publique et de médecine préventive de la Faculté de médecine et ancien titulaire d’une chaire de recherche du Canada, mentionne que plus que jamais, de nouvelles politiques sont nécessaires pour traiter les multiples crises sanitaires, les inégalités grandissantes et le changement climatique. Dans le cadre de l’entretien ci-dessous, le Dr Labonté livre ses réflexions sur les défis et les prochaines étapes.
Au cours de la pandémie, quelles sont les choses les plus importantes qui ont été révélées au sujet des structures de la santé mondiale – et de nos vulnérabilités?
Depuis plus de vingt ans, nous avons adhéré à l’idée que la santé des gens d’un pays est étroitement liée à la santé des autres personnes qui vivent dans des pays lointains. La mondialisation de nos interdépendances économiques nous a rendus d’autant plus vulnérables à la propagation rapide de pathogènes et d’espèces envahissantes qui n’ont aucun concept des frontières, et des disruptions socio-économiques dont ils sont souvent responsables, qui sont tous des risques accrus pour la santé.
Nous avons réitéré cette idée au début de la pandémie, alors que les responsables gouvernementaux soutenaient à maintes reprises : ‘nous allons traverser cette crise ensemble,’ et ‘personne n’est en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas.’ Mais dès qu’un remède a été à portée de main – les vaccins – les pays riches se sont rapidement accaparés la presque totalité de l’approvisionnement pour leurs propres citoyens. Tout prétexte de collaboration mondiale a été rapidement sacrifié pour l’intérêt personnel nationaliste.
Vous et votre coauteur avez attiré l’attention sur trois enjeux d’équité en matière de santé que l’humanité aura à affronter. Pouvez-vous brièvement décrire ces trois enjeux?
Avant la pandémie, le monde composait déjà avec des ‘crises existentielles’ comme nous l’avons décrit dans le dernier chapitre de notre livre. Existentielles en ce sens que notre propre survie repose sur leur résolution. La première crise a été la croissance explosive et l’échelle des inégalités en matière de revenu et de richesse. En termes relatifs, certains progrès ont été remarqués en matière de croissance du revenu chez les plus pauvres du monde au cours des dernières décennies, principalement en raison de la sous-traitance de la fabrication et de certains services des pays à revenu élevé à des pays à revenu relativement faible. Mais en termes absolus, ce fut le cliché 1 % (de façon plus importante, le 0,1 % ou moins) de la population mondiale qui s’est approprié la majorité de ces gains en revenus.
La seconde crise a été l’effondrement imminent de plusieurs écosystèmes fondamentaux dont les humains dépendent; le changement climatique et la perte de biodiversité étant les plus immédiats et évidents. Mis à part les risques considérables et à long terme de pollution toxique, chaque année nous (plus particulièrement ceux parmi nous dans les pays les plus riches) consommons beaucoup plus de ressources écologiques que ce que la Terre parvient à renouveler. Les habitants des pays plus pauvres font face aux conséquences dévastatrices : sécheresse, conflits, pauvreté extrême, maladies infectieuses accrues alors que les vecteurs de transmission se multiplient, et hausse des maladies chroniques alors que les sociétés transnationales ‘transforment’ le régime alimentaire qui passe de sources traditionnelles à des ‘aliments’ ultra-transformés obésogènes.
La combinaison de ces deux crises jumelles alimente la troisième : le mouvement de masse de gens dans les régions les plus pauvres du monde qui fuient la pauvreté, les conflits, et l’effondrement de l’écosystème, mais qui sont confrontés et par ainsi sont confrontés à la militarisation autoritaire aux frontières des pays riches dans lesquels ils cherchent refuge.
Est-ce que ces inégalités ne font qu’augmenter?
Malheureusement, oui. Le nombre de milliardaires a presque triplé au cours de la dernière année seulement, alors que l’on s’attend à ce que 150 millions de personnes de plus se retrouvent en situation d’extrême pauvreté – en soi une mesure tristement inadéquate de ce que signifie réellement d’être ‘pauvre.’ Que certains deviennent beaucoup plus riches alors que beaucoup plus de gens deviennent plus pauvres peut, ironiquement, s’expliquer en partie par l’injection importante de fonds gouvernementaux par une poignée de pays riches, dont le Canada, dans les programmes d’aide liés à la pandémie.
Pour ce qui est de notre santé planétaire, au point le plus bas de la pandémie, plusieurs d’entre nous étaient très émus devant la clarté soudaine du ciel et la fraîcheur de l’air, alors que nos économies industrielles entraient temporairement en confinement. Ce fut un sursis de courte durée, puisque les émissions de gaz à effet de serre étaient en voie d’augmenter en 2021 comparativement aux émissions enregistrées en 2020 et 2019. Nous sommes maintenant à quelques années d’un point de bascule en matière de changement climatique.
Quel est le changement important au sein de l’économie mondiale que nous devons adopter de toute urgence afin de réduire progressivement le fardeau de la maladie et les autres inégalités flagrantes en matière de santé mondiale?
Vivre dans les limites de nos écosystèmes et assurer une juste attribution des ressources matérielles nécessaires pour une vie saine à l’échelle mondiale.
Selon vous, que faudra-t-il pour atteindre l’objet idéal de ‘santé pour tous’ dans les prochaines décennies?
Fondamentalement, nous devons transformer notre modèle de capitalisme centenaire, que nous le décrivions comme marché libéral, néolibéral, capitalisme d’État, social-démocrate. Le capitalisme nous a peut-être (ou du moins certains d’entre nous) très bien servi dans le passé, mais il repose sur une prémisse fatidique : que la seule façon qu’une économie peut subsister est de croître indéfiniment.
Le nouvel objectif économique est simple : nous devons consommer moins.
Quelle que soit l’économie post-croissance hybride ou imparfaite que nous parvenons à créer, ce sera le seul moyen que nous avons qui nous permettra en fait d’atteindre l’objectif idéal de ‘santé pour tous.’
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