Engouement viral : des étudiants de premier cycle de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa plongent dans le monde vaste et étrange des phages

Par David McFadden

Rédacteur scientifique, Université d'Ottawa

Faculté de médecine
Actualités médecine
Recherche et innovation
Biochimie, microbiologie et immunologie
Prix et distinctions
Salle de presse
Phages cropped
Armés de tubes stériles, des étudiants de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa ont récemment parcouru la ville pour prélever des échantillons de sol, à la recherche de « bactériophages ». Ces virus, dont la taille est environ quarante fois plus petite que celle d’une bactérie typique, ressemblent étrangement à des vaisseaux spatiaux extraterrestres dignes d’un film de science-fiction des années 50.

La quête de ces virus n’a pas été très compliquée. Les bactériophages, aussi appelés « mangeurs de bactéries », sont les organismes biologiques les plus abondants sur Terre. On les trouve partout où vivent des bactéries : dans le sol, dans l’eau, et même dans le microbiome intestinal humain. En constante coévolution avec leurs hôtes bactériens depuis la nuit des temps, les bactériophages ont un nombre qui dépasse 1031, soit dix millions de milliards de milliards, selon les estimations des scientifiques.

Pour mieux saisir l’ampleur de ce chiffre hallucinant, il y a sur Terre bien plus de bactériophages (ou simplement de phages) que de grains de sable. On estime qu’il y a près de dix millions de fois plus de phages que d’étoiles dans l’univers visible. Leur activité est tout aussi impressionnante : chaque jour, la moitié des bactéries océaniques sont infectées et détruites par ces prédateurs microscopiques qui se répliquent sans relâche dans une guerre perpétuelle.

Un monde caché se révèle aux étudiants de premier cycle

Le Dr Adam Rudner, professeur agrégé au Département de biochimie, microbiologie et immunologie de la Faculté de médecine, est passionné par le monde fascinant des phages et enseigne à ses étudiants comment en découvrir de nouveaux. Ses travaux menés dans le cadre de ces cours de laboratoire axés sur la découverte lui ont récemment valu un Prix d’excellence en éducation de l’Université d’Ottawa.

Phages soil collection
Sydney Brown, étudiante en troisième année de TMM, recueille de la terre dans un tube stérile afin de commencer le processus d'isolement d'un bactériophage.

Grâce à la vision du Dr Rudner, l’Université d’Ottawa est devenue la première université canadienne à participer à un programme de l’Institut médical Howard Hughes (HHMI). Ce programme a pour but de familiariser les étudiants de premier cycle avec les méthodes de recherche, la conception expérimentale et l’interprétation des données. Ainsi, l’Université d’Ottawa s’est intégrée au vaste réseau d’établissements participant au programme Phage Hunters Advancing Genomic and Evolutionary Science (SEA-PHAGES).

Le premier cours de ce programme à la Faculté de médecine a été offert en 2019 et comptait 16 étudiants. Il s’agit désormais d’un cours de laboratoire obligatoire, divisé en cinq modules, pour 80 étudiants en troisième année de médecine moléculaire et translationnelle. Les étudiants doivent remplir des objectifs divers, notamment : 1) purifier et amplifier le phage qu’ils ont découvert; et 2) isoler son génome et procéder à une analyse de « polymorphisme de longueur des fragments de restriction » (RFLP).

« Ils apprennent les techniques fondamentales de la microbiologie, explique le Dr Rudner, mais je crois qu’une expérience de recherche plus vaste contribuera davantage à leur développement en tant que chercheurs indépendants. »

Student looking at plate
Un étudiant de la Faculté de médecine travaillant sur un test de plaque lors d'un cours de laboratoire sur les chasseurs de phages.

Ce changement de direction a augmenté la charge d’enseignement du Dr Rudner et modifié l’orientation de ses recherches. Cependant, il souligne que la Faculté a offert un « soutien incroyable » au cours de cette transition.

« Un changement en milieu de carrière est inhabituel, et cela s’est révélé à la fois exigeant et stimulant », ajoute-t-il.

Initier les étudiants aux défis et aux joies de la recherche

L’un des objectifs du programme SEA-PHAGES de l’Université d’Ottawa est d’immerger les étudiants de premier cycle dans les réalités de la recherche en laboratoire, en leur faisant découvrir non seulement les accomplissements gratifiants, mais aussi les défis et les échecs expérimentaux.

« Être confronté à l’échec peut véritablement amener les étudiants à perfectionner leurs techniques et à améliorer les contrôles expérimentaux, ainsi que la conception d’expériences qui offrent des résultats plus interprétables. Ce travail peut être éprouvant, mais pour ceux qui envisagent des études supérieures (plusieurs de nos étudiants poursuivent une maîtrise ou un doctorat), il est important de savoir s’ils sont prêts à relever ce genre de défi. Cette expérience peut aussi les inciter à innover dans les techniques qu’ils utilisent », explique le Dr Rudner.

Chaque étudiant effectue entre 50 et 100 essais de culture sur plaques par trimestre, ce qui leur donne de nombreuses occasions d’apprendre par l’échec. Des problèmes peuvent rapidement surgir, notamment lorsque certains phages se révèlent plus complexes que d’autres. Cependant, ces difficultés peuvent aussi indiquer qu’un étudiant a découvert un nouveau phage spécifique à la bactérie hôte.

/Phages landing
Représentation artistique des phages spécifiques aux bactéries.

« Un phage complexe a plus de chances d’être unique », précise le Dr Rudner, qui a obtenu son doctorat à l’Université de Californie, à San Francisco, et effectué ses recherches postdoctorales à l’Université Harvard.

Ces découvertes s’accompagnent d’un privilège particulier : celui de nommer le nouveau phage. Après avoir travaillé d’arrache-pied pour isoler et caractériser un nouveau phage, les étudiants peuvent lui donner un nom et l’enregistrer dans une base de données internationale.

Un objectif crucial pour de nombreux étudiants

Zachary Mitchell, étudiant en cinquième année du programme de baccalauréat/maîtrise ès sciences en médecine moléculaire et translationnelle (MMT), qui assiste les étudiants en tant qu’assistant à l’enseignement, affirme que son expérience au laboratoire de découverte de phages du Dr Rudner a confirmé son désir de poursuivre ses recherches au troisième cycle. Originaire de North Bay, en Ontario, Zachary aspire à travailler un jour comme technicien de laboratoire spécialisé dans les phages, que ce soit en milieu universitaire ou dans l’industrie de la biotechnologie.

« En passant plus de temps à étudier ces virus, en découvrant leur rapidité d’évolution et leur diversité biologique, j’ai constaté à quel point nous connaissons encore peu de choses sur la biologie fondamentale de ces virus. Aujourd’hui, mon principal intérêt est de tenter de répondre aux questions portant sur la biologie des phages récemment découverts par les étudiants. »

Au cours de ses recherches, Zachary a découvert deux nouveaux phages, qu’il a baptisés « EnochSoames » en hommage à un personnage de l’écrivain Max Beerbohm, et « SunWukong » d’après le personnage chinois religieux du roman La Pérégrination vers l’Ouest de Wu Cheng’en.

Student holding up test tube
Samar Walia, étudiante à la Faculté de médecine d'Ottawa, présente un tube contenant de la terre mélangée à un liquide.

De son côté, Emily Wood, étudiante en 4e année du programme de maîtrise accélérée en MMT dans le laboratoire du Dr Rudner, souhaite travailler dans le domaine de l’oncologie. Elle explique que l’expérience d’isoler un phage à partir d’un échantillon de terre de jardin et de séquencer son génome complet lui a permis de se sentir « beaucoup plus investie dans son travail au laboratoire ».

« Le cours m’a permis d’expérimenter et de pratiquer diverses techniques de laboratoire qui, je crois, m’ont préparée à travailler dans n’importe quel laboratoire de recherche biomédicale », déclare Emily, qui a grandi à Caledon, en Ontario. « L’environnement du laboratoire m’a permis d’apprendre de mes erreurs et de m’amuser tout au long du processus. »

Elle a nommé son phage « Superstar », en s’inspirant d’une chanson de Taylor Swift et de ce qu’elle estimait être le charisme de ce virus. Présentement, dans le cadre de son projet de maîtrise, elle isole et caractérise des bactériophages qui infectent Staphylococcus epidermidis, une bactérie responsable d’infections liées aux dispositifs médicaux implantés et souvent résistante aux antibiotiques.

Un domaine en pleine expansion et en pleine effervescence

Découverts par hasard il y a plus d’un siècle par deux scientifiques qui cherchaient à comprendre pourquoi leurs cultures bactériennes de laboratoire étaient soudainement détruites, les phages ont révélé une capacité unique à traiter les infections bactériennes. Ils pourraient devenir une arme de précision contre les « superbactéries » et la résistance aux antibiotiques, un fléau croissant que l’Organisation mondiale de la santé classe parmi les plus grandes menaces pour la santé, la sécurité alimentaire et le développement à l’échelle mondiale.

Actuellement, la phagothérapie (utilisée notamment en Europe de l’Est pour traiter des infections bactériennes) demeure expérimentale au Canada et n’est disponible que dans le cadre d’essais cliniques. Cependant, les choses semblent évoluer en Amérique du Nord avec plusieurs essais en cours et la création d’instituts de phagothérapie dans de grandes universités américaines.

« La phagothérapie est très prometteuse, affirme le Dr Rudner. Elle suscite un vif intérêt et commence peu à peu à être financée et soutenue à l’échelle mondiale. L’utilisation des phages dans l’agriculture (où la majorité des antibiotiques sont employés, souvent de manière excessive) et dans certains produits tels que les emballages alimentaires, les pansements, les crèmes topiques contre l’acné et certains produits pour prévenir la plaque dentaire, présente un grand potentiel. »

Rudner cropped
Le Dr Adam Rudner

Le Dr Rudner souligne que le programme en plein essor à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa évoluera au rythme de la science et des découvertes en laboratoire.

« Mon laboratoire poursuit quelques projets qui ont tiré parti de la recherche menée par les étudiants de premier cycle et qui sont en train de devenir des histoires intéressantes. Ces projets pourraient fournir des phages pour des essais de thérapie par les phages à l’Hôpital d’Ottawa » ajoute-t-il.

Soutenez la Faculté de médecine aujourd'hui ! Utilisez notre formulaire de don en ligne pour soutenir le 'Fonds d'appui aux étudiants et étudiantes de la Faculté de médecine'