La douleur chronique infantile, une pathologie bien réelle
Les enfants atteints de douleur chronique se heurtent souvent à l’incrédulité des personnes qui les entourent, non seulement au sein de leur famille, mais aussi à l’école et dans le milieu médical. En effet, une étude menée au Canada en 2009 révèle que la formation sur la douleur est cinq fois plus importante dans les études vétérinaires que les études en médecine et en sciences infirmières! Ce manque a des conséquences sur l’évaluation et le traitement de la douleur chez les enfants et les jeunes, et la propension du corps médical à y prêter foi.
Cette méconnaissance s’explique notamment par la confusion entre douleur aiguë et douleur chronique. La douleur aiguë touche une seule partie du corps et s’atténue à mesure que les tissus cicatrisent, tandis que la douleur chronique, qui n’est pas nécessairement causée par une blessure, persiste au-delà de trois mois.
La professeure Forgeron constate que dans le milieu de la santé, certaines personnes estiment que les plaintes des enfants souffrant de douleur chronique sont exagérées, car une douleur d’une telle intensité les empêcherait de fonctionner. Elle souligne toutefois la nature très plastique du système nerveux qui, « en présence d’un stimulus nuisible, peut changer et se moduler de telle sorte que la douleur persiste après la disparition du stimulus qui l’a provoquée ».
Pour illustrer ce phénomène, la chercheuse fait remarquer que nous avons tendance à nous référer à notre propre expérience de la douleur pour évaluer celle des autres. Mais ce cadre subjectif peut poser problème lorsqu’on l’applique à des enfants et des jeunes qui souffrent de douleur chronique. « Ainsi, lorsque des enfants évaluent leur douleur à des niveaux très élevés, comme huit sur dix selon l’échelle de référence, leurs proches et même les membres du corps médical peinent à les croire, car selon leur expérience, une douleur aussi forte les affaiblirait au point de les épuiser, explique-t-elle. Cependant, parce que la douleur chronique est présente au quotidien, la perspective de passer leur vie au lit n’est pas envisageable pour ces jeunes malades. »
C’est la raison pour laquelle leur entourage sous-estime leur douleur. « Beaucoup de gens croient que leur douleur est simulée », ajoute la professeure. Des études prouvent pourtant le contraire : pour éviter d’être stigmatisés, ces jeunes ont tendance à refouler leur douleur.
Selon la professeure, un tel manque de compréhension peut les amener à se tenir à l’écart des autres, même de leurs proches amies et amis qui, en plus de ne pas les croire, les poussent à dépasser leurs limites physiques. Le poids de la solitude s’ajoute alors à leur crainte de n’être pas pris au sérieux et de faire des choses qui amplifient leur douleur.
La solitude
Dans le cadre de son étude, Paula Forgeron a relevé un grand nombre de sujets adolescents en proie à d’importantes difficultés sociales. « Ces jeunes se sentaient incompris de leurs proches et différents des autres. » Ses travaux ont confirmé le risque élevé de solitude persistante chez les membres de ce groupe. Or, la solitude chronique, c’est-à-dire un sentiment de solitude quasi omniprésent, nuit à la santé tant mentale que physique.
La professeure en distingue trois types : dyadique (p. ex., dans les amitiés intimes), relationnelle (p. ex., dans un plus grand cercle de pairs) et collective (p. ex., dans une communauté ou le milieu scolaire). Les personnes souffrant de solitude chronique à l’école (collective) sont moins enclines à poursuivre des études postsecondaires, « avec des conséquences négatives sur leur statut socioéconomique à l’âge adulte ». Dans sa toute dernière étude, elle a observé une forte corrélation entre les trois types de solitude et l’humeur dépressive, l’anxiété sociale et la faible estime de soi.
Elle insiste sur l’importance de distinguer la solitude et l’isolement social : « La solitude est le sentiment ou l’impression que nos relations sociales ne répondent pas à nos besoins, entraînant un sentiment de détresse et de tristesse, alors que l’isolement social désigne l’absence manifeste de relations. » Par exemple, une personne peut se sentir seule, même si elle a une dizaine d’amies et amis proches. Une autre peut combler ses besoins sociaux avec une seule amie ou un seul ami très intime et, par conséquent, ne pas éprouver de solitude.
Si Paula Forgeron s’intéresse à la solitude plutôt qu’à l’isolement social, c’est parce qu’elle se manifeste davantage à l’adolescence et entraîne les problèmes décrits plus haut.
Douleurs chroniques et relations amoureuses
La professeure Forgeron s’est aussi penchée sur la vie sociale des jeunes atteints de maladies chroniques, plus particulièrement leurs relations amicales et amoureuses. En collaboration avec des collègues du Royaume-Unis, sous la direction de Bernie Carter, elle a réalisé, en tant que responsable de site pour le Canada, des entrevues qualitatives auprès de nombreux couples hétérosexuels et homosexuels dont une ou un des deux partenaires souffre de douleur chronique.
Il en ressort que, plus elle est intense, plus la douleur chronique entraîne de l’anxiété à l’égard de la relation, notamment la crainte du rejet ou d’une rupture. Elle n’a cependant aucun effet sur la satisfaction au sein du couple. C’est une bonne nouvelle pour la chercheuse, car contrairement à ce que de précédentes études laissaient entrevoir, ces conclusions ont de quoi rassurer les adolescentes et adolescents et les jeunes adultes : « Souffrir de douleur chronique n’empêche pas de vivre une relation amoureuse satisfaisante ».
À la lumière des nouvelles connaissances sur les facteurs qui entrent en jeu dans les répercussions sociales de la douleur chronique, il est possible d’offrir une meilleure vie aux jeunes qui en souffrent en ciblant mieux les interventions visant à améliorer leur santé mentale, physique et sociale. Il est également crucial de mieux former le monde médical à reconnaître la douleur réelle des enfants et des jeunes et à leur apporter un soutien adéquat.