Le rôle d’Anna Zumbansen dans cette étude novatrice est d’évaluer l’impact d’activités organisées par l’Opéra de Montréal à l’intention de ces deux populations marginalisées et à risque d’isolement social. L’étude, financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), s’est déroulée de février à juillet 2024 et se poursuit en 2025, au vu de premiers résultats prometteurs qui mettent en lumière les effets du chant sur la santé mentale et physique.
L’opéra comme outil d’affirmation pour les femmes transgenres
Anna Zumbansen explique que dans le cas des femmes transgenres, la voix peut être un facteur de marginalisation, d’isolement social et de mal-être. En effet, contrairement aux hommes transgenres, le traitement hormonal d’affirmation du genre pour les femmes transgenres n’a pas d’effet sur la voix, et il a été observé que la qualité de vie des femmes transgenres est d’autant plus élevée que leur voix est perçue comme féminine.
L’Opéra de Montréal a ainsi collaboré avec un orthophoniste spécialisé en harmonisation vocale, aussi appelée « féminisation » de la voix, pour élaborer un programme d’ateliers de chant basés sur des techniques d’opéra. Une dizaine de femmes transgenres ont participé ensemble à douze séances leur permettant de découvrir leur voix et leurs possibilités vocales.
Les ateliers pourront éventuellement être suivis de séances d’orthophonie, à l’extérieur du cadre de l’étude. La professeure Zumbansen affirme en effet que « ces ateliers aideront l’orthophoniste dans son travail, car ces femmes auront déjà expérimenté des choses plus extrêmes qu’à l’habitude avec leur voix ».
C’est notamment le cas de l’exploration de leur voix de tête, aussi appelée voix de fausset ou voix de falsetto, une voix plus aiguë que nous avons moins l’habitude d’utiliser. « Nous avons tous plusieurs cordes à notre arc en termes de possibilités vocales, mais pour des raisons culturelles, nous utilisons seulement une petite partie de nos possibilités vocales », explique la professeure. Ces ateliers pourraient ainsi faciliter, pour les femmes transgenres, la recherche d’une façon de parler étant davantage en harmonie avec leur genre.

Chanter pour mieux respirer
Les femmes transgenres ne sont pas les seules pour qui la pratique du chant peut avoir des effets bénéfiques. La seconde population sur laquelle portait l’étude est celle des personnes présentant des symptômes de COVID longue. Ce groupe distinct, composé d’une dizaine de personnes, a suivi lui aussi des ateliers de chant d’opéra pendant douze séances (en ligne, étant donné les difficultés de déplacements).
Selon la professeure Zumbansen, la technique d’opéra demande une gestion particulièrement athlétique du souffle. Les ateliers ont été créés par une chanteuse d’opéra, qui est également professeure de yoga. Cette double formation a permis d’intégrer des aspects respiratoires aux exercices, dans le but de rétablir une utilisation optimale de la voix chez les participantes et participants.
Évaluer les bienfaits du chant
Chez les deux populations étudiées, l’objectif était d’atteindre un meilleur sentiment de bien-être et de diminuer les problèmes de santé mentale, ce qui est aussi permis par le soutien social apporté par le groupe. Cependant, comment évaluer les effets de la pratique du chant?
Pour ce faire, Anna Zumbansen a eu recours à une multitude d’outils de mesure, allant d’outils orthophoniques sur le langage et la parole à des questionnaires d’auto-évaluation. Par exemple, a été mesuré chez les personnes ayant un trouble respiratoire chronique « le temps maximum de phonation, c’est-à-dire qu’on leur demande de tenir le son “a” le plus longtemps possible ». Un autre exemple est la lecture d’un texte, pendant laquelle a été compté le nombre de pauses respiratoires par minute.
Pour les femmes transgenres, les outils de mesure incluaient des questionnaires mesurant le niveau de handicap vocal ressenti, ainsi que des évaluations acoustiques « pour déterminer la note la plus grave et la plus haute qu’elles puissent faire ».
Des tests ont été réalisés au début et à la fin de la période d’étude, auprès des personnes participantes et du groupe contrôle. La professeure affirme que les premiers résultats sont encourageants : comparés au groupe contrôle, le niveau de détresse psychologique et la qualité de vie liée à la santé mentale tendent à s’améliorer. Les participantes transgenres ont vu leur degré de handicap vocal diminuer, et toutes ont rapporté une découverte de leurs possibilités vocales à la suite du programme. Quant aux personnes atteintes de COVID longue, elles ont ressenti moins d’essoufflement et ont rapporté mieux comprendre leur respiration.
Plusieurs tendances positives ont ainsi été révélées sur les effets bénéfiques de ces programmes de chant, mais les résultats ne sont pas statistiquement significatifs en raison de la petite taille de l’échantillon. C’est pourquoi le partenariat avec l’Opéra de Montréal a été renouvelé pour reproduire l’étude en 2025. Les résultats combinés seront présentés en mai, lors de la conférence annuelle de l’Institut de recherche en musique et santé.