Recherche-création engagée pour une justice multiespèces : Changer les représentations d’une plante dite « invasive » à Ottawa
La piètre qualité exceptionnelle de l’air à Ottawa en juin 2023, causée par des feux de forêt au nord du Québec, nous a rappelé avec force notre vulnérabilité face à la dégradation environnementale qu’engendre l’industrie extractive. Ces feux, faut-il le souligner, n’étaient pas que le produit du réchauffement climatique, mais aussi de l’industrie forestière, qui priorise la cultivation de monocultures d’épinettes hautement inflammables à la régénération de forêts biodiversifiées qui le sont nettement moins. Certes, l’idée que notre bien-être est fondamentalement lié à celui des autres espèces de notre milieu vie, qu’elles soient animales, végétales ou minérales, est loin d’être nouvelle. Pour le peuple anishinaabe gardien du territoire non cédé qu’occupe notre université, elle est plutôt une notion clé depuis des millénaires. La multiplication de catastrophes environnementales de nature anthropogénique a néanmoins eu pour effet de conscientiser de plus en plus d’entre nous à l’indéniable vérité de notre interdépendance avec les autres formes de vie qui nous entourent.
En anthropologie, cette prise de conscience a mené à une redéfinition des objets, approches et méthodes de la recherche ethnographique, donnant lieu notamment au développement de « l’anthropologie de la vie » (Kohn 2007, ma traduction). Cette anthropologie « ne se limite pas à l'être humain », comme cela a généralement été le cas depuis la fondation de la discipline, « mais (…) s'intéresse aux effets de nos relations avec d'autres types d'êtres vivants » (Kohn 2007, p.4, ma traduction). La méthodologie préconisée pour mieux tenir compte de ces relations interespèces est « l’ethnographie multi-espèces » (Kirksey et Helmreich 2010, ma traduction), soit une ethnographie consacrée aux « zones de contact » où il est impossible de distinguer ce qui relève de la « culture » (de la perception ou de l’agir humain), de ce qui relève de la « nature » (qui demeure indépendant de nos perceptions et actions humaines). Les monocultures d’épinettes en sont un bon exemple. Ces forêts cultivées ne sont ni complètement naturelles, ni complètement artificielles. Or dans ces espaces à la fois sauvages et cultivés, les ethnographes multiespèces s’efforcent de développer « l’art de remarquer » (Tsing 2015, ma traduction) tant les formes de vie conventionnellement prisées (telles les plantes dites « indigènes »), que celles qui sont ignorées ou activement détestées (telles les plantes dites « envahissantes »). Ce faisant, face au constat que nos relations avec toutes ces formes de vie sont loin d’être égales, plusieurs chercheurs et chercheuses multiespèces puisent conjointement dans des approches critiques plus anciennes (telles les études féministes) pour mettre en lumière ce qui sous-tend la priorisation du bien-être de l’une par rapport à une autre (Petitt 2023). Certain.e.s d’entre eux et elles pratiquent également des formes plus engagées de la recherche, alors qu’ils et elles ne se limitent pas à documenter ou à théoriser ces situations d’inégalités, mais tentent aussi de contribuer de manière significative à une « justice multi-espèces » (Chao, Bolender, and Kirksey 2022; Celermajer et al. 2021).
Ce cours vise à initier les étudiant.e.s à cette notion de « justice multi-espèces », à l’ethnographie multiespèces critique et aux pratiques de la recherche-création engagée qui parfois l’accompagnent, à partir d’une étude de terrain sur les interrelations entre une plante conventionnellement considérée comme étant « envahissante », la renouée du Japon, et les acteurs de la protection de l’environnement dans la région de Gatineau-Ottawa. L’Union internationale pour la conservation de la nature, qui classe la renouée parmi les 100 espèces les plus préoccupantes du monde, définit une « espèce exotique envahissante » comme ayant été introduite par l’être humain en dehors de son aire de répartition naturelle, et dont l’implantation et la propagation menacent les écosystèmes, les habitats ou les espèces dites « indigènes » avec des conséquences écologiques, économiques ou sanitaires négatives (UICN 2000). La renouée du Japon, toutefois, n’est pas exempte de qualités, celle-ci ayant entre autres la capacité de stabiliser les contaminants des sols pollués. Dans le cadre du cours, il s’agira donc d’examiner la relation des acteurs de la protection de l’environnement de la région de Gatineau-Ottawa avec la renouée, et les contextes idéologique, socio-économique, législatif et politique dans lesquelles elles s’inscrivent. Puis nous présenterons les résultats de notre enquête à ces acteurs sous la forme d’un conte, d’une exposition, ou autre intervention artistique, de manière à générer une discussion sur le type de relation qu’il serait souhaitable de cultiver avec cette plante, compte tenu à la fois, entre autres choses, de sa nature « envahissante », et de sa capacité à régénérer les sols contaminés.
Ce cours est un cours bilingue offert en français et en anglais aux étudiants de premier cycle du 23 juin 2025 au 11 juillet 2025.
Coordonnées de la professeure :
Karine Vanthuyne
École d’études sociologiques et anthropologiques
Courriel: [email protected]
Téléphone: 613-562-5800 poste 1193, Room FSS 10029
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