Le 22 juillet 2021, l’organisme Dialogue Science & Politique (DSP), l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique (ISSP), le Conseil national de recherches (CNR) et l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) ont accueilli un évènement de diplomatie scientifique, dont le but était de sensibiliser les chercheuses et chercheurs en début de carrière à de réels problèmes internationaux situés à l’intersection de la science et de la politique, et de les guider au travers de divers scénarios politiques éclairés par des données probantes. Le présent article de blogue est une adaptation de l’allocution de l’auteure.
La diplomatie scientifique nous est essentielle pour bien faire face aux grands enjeux de notre temps. Changements climatiques, COVID-19, nouvelles technologies et innovations de rupture; tous ces enjeux nous obligent à rapprocher et à concerter nos impératifs sociétaux, politiques et scientifiques, tant chez nous qu’avec les autres pays. Concrètement, cela veut dire jeter des ponts, tous secteurs confondus, entre les personnes, l’expertise, les connaissances et les institutions, pour penser collectivement la solution qui ouvre la voie au changement.
Complexe? Certes, mais c’est justement là que la diplomatie scientifique entre en scène.
Qu’est-ce que la diplomatie scientifique?
Jean-Christophe Mauduit et Margua Gual Soler (2020) définissent ce concept en distinguant chacun de ses éléments:
Science: tout ce qui a trait à « la science au sens large : sciences sociales et naturelles, pures comme appliquées, sans oublier la technologie et l’innovation ».
Diplomatie : « l’art et la manière d’entretenir des relations internationales entre États grâce au dialogue, à la négociation et à la coopération ».
L’association de ces deux concepts permet de définir l’ensemble comme un « champ en pleine expansion par lequel on cherche à comprendre et favoriser les rapports entre la science, la technologie et les affaires internationales en vue de répondre à des problèmes tant nationaux qu’internationaux ».
La diplomatie scientifique comprend plusieurs dimensions, distinctes mais interdépendantes. Une étude de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) et de la British Royal Society parue en 2010 (New Frontiers in Science Diplomacy: Navigating the changing of power), qui fait d’ailleurs office de référence en la matière, les regroupe sous trois catégories principales :
- La science pour la diplomatie : se servir de la coopération scientifique pour améliorer les relations entre pays.
- La science dans la diplomatie : éclairer les dossiers de politiques étrangères à l’aide de l’expertise scientifique (processus décisionnels fondés sur des données probantes).
- La diplomatie pour la science : promouvoir la coopération scientifique entre pays.
À ces trois catégories s’ajoute enfin la « science de la diplomatie scientifique », à savoir les théories et la pratique de ce domaine.
Quelle est la portée de cette quatrième catégorie, et que nous dit la recherche à ce sujet? Voilà les questions que nous tenterons d’éclairer sommairement dans ce billet.
La science de la diplomatie scientifique
On dit souvent de la diplomatie qu’elle est « un art » : il n’existe pour ce domaine aucune recette ou formule toute faite. En l’absence d’un gouvernement mondial en effet, bien des affaires internationales reposent sur la négociation, le dialogue, la coopération et la création de liens durables et de confiance. Être un bon diplomate scientifique ne va donc pas de soi : c’est un savoir-faire qui se nourrit.
Ainsi, la science de la diplomatie scientifique se définit comme un ensemble de théories et de modèles dont les méthodes reposent sur l’expérience, l’enseignement et la formation pratique.
Côté théorique, le champ des relations internationales constitue un excellent socle de connaissances. Le modèle diplomatique de Robert Putnam, le « jeu de la négociation à deux niveaux », est un bon exemple d’étude – parmi bien d’autres – permettant de faire progresser ce domaine, tant dans le développement de la notion que dans son exercice.
Côté pratique en revanche, il s’agit de développer pour les scientifiques et les diplomates divers savoir-faire, élément pour lequel Mauduit et Soler soulignent le potentiel du partage de connaissances.
Pour les scientifiques, on parle alors : de connaître les bases de la négociation (p. ex. au moyen de jeux sérieux) ; de savoir s’exprimer en public, communiquer et se faire comprendre ; de savoir nouer des liens, constituer des réseaux, établir des partenariats et bâtir des coalitions ; de s’ouvrir à la diversité culturelle et à la transdisciplinarité ; de savoir gérer des projets d’envergure internationale ; de trouver la juste mesure entre les faits scientifiques et les intérêts et valeurs d’une diversité de parties prenantes ; et d’être capables de rédiger des notes et des notes de breffage.
Quant aux diplomates, il s’agit de : mieux connaître les méthodes de recherche quantitative et qualitative (analyse de données et pensée critique) ; pouvoir composer avec des données non objectives ou incomplètes ; comprendre et gérer l’impact de l’incertitude scientifique ; savoir différencier causalité et corrélation ainsi que raisonnement inductif et déductif ; distinguer les sciences des pseudosciences et reconnaître une source d’information fiable ; se construire un réseau d’expertises dans divers domaines ; et d’apprendre à effectuer des analyses de risque.
Mais n’oublions pas non plus l’importance, à côté de ces savoir-faire, de s’intéresser aux savoirs les uns des autres. Pour les scientifiques, cela revient à : développer leurs connaissances dans les sciences sociales, dans l’administration publique, la machinerie gouvernementale et l’économie mondiale, et savoir faire la part des choses entre avis scientifique, sensibilisation et activisme. En retour, les diplomates devraient : approfondir leur compréhension des sciences (sciences naturelles, sciences sociales, domaine de la santé, de l’ingénierie), de la réflexion épistémologique ainsi que de la gestion de la recherche et des réseaux scientifiques.
Un regard tourné vers l’avenir
La diplomatie scientifique jouera un rôle de premier plan dans les grands enjeux de demain. Mais comment nous préparer collectivement aux défis qui nous attendent?
En premier lieu, il s’agit de cultiver les intérêts, les capacités et les compétences de la relève. La simulation sociale organisée l’été dernier par DSP, l’IIASA, le CNR et l’ISSP pour les scientifiques en début de carrière n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’activités à cet effet. Un effort notamment du côté de l’enseignement et de la formation pratique doit aussi être fait, à la fois sur le campus et hors campus. La participation des scientifiques novices et des leaders est ici absolument cruciale.
En deuxième lieu, on doit e promouvoir l’importance de ce champ pour des relations multilatérales apaisées et constructives lors de crises mondiales, un aspect d’autant plus important ces jours-ci, avec la lutte contre la COVID-19 et les changements climatiques. Ces exemples ne représentent qu’une infime partie des possibilités que renferme cette dimension. Pensons par exemple à une situation où des relations tendues entre deux pays rendent la collaboration politique ardue. Les connexions entretenues par les scientifiques – du secteur public comme privé – pourraient mettre au jour des intérêts communs, et d’ouvrir la voie à de meilleures relations.
En troisième lieu, il faut améliorer la capacité des ministères étrangers à accueillir l’expertise scientifique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières. En effet, la demande de conseils scientifiques et l’ouverture à cet égard dépendent de la capacité à percevoir les avantages de cette contribution pour atteindre les objectifs politiques intérieurs et extérieurs. Le rôle clé de la diplomatie scientifique dans la lutte contre la COVID-19 nous ouvre par ailleurs les yeux sur la valeur inestimable d’une collaboration scientifique à l’échelle internationale.
Enfin, toute préparation adéquate repose sur une compréhension fine des règles du jeu. À cet effet, il s’avère indispensable d’approfondir le champ de la science de la diplomatie scientifique, ce qui nécessite une collaboration entre ceux et celles qui font la science et qui l’utilisent, et ce dans de multiples champs disciplinaires. La tâche est colossale, certes, mais exploiter le plein potentiel de la diplomatie scientifique ne peut que se montrer bénéfique pour la société – un potentiel vital devant les grands enjeux de notre temps!