Ce programme vise à combler un vide dans le paysage universitaire en offrant une plateforme où les perspectives africaines peuvent s’exprimer pleinement, loin des stéréotypes et des biais occidentaux qui ont longtemps dominé l’étude du continent. Dans ce contexte, la Table ronde sur les études africaines, co-organisée par l'École d'anthropologie et de sociologie et le Comité consultatif sur la lutte contre le racisme à l’endroit des personnes noires dans les programmes de recherche et de formation en recherche (CRSH), a été une occasion unique de réfléchir à l’importance de cette discipline et aux défis qui l’accompagnent. Grâce aux interventions de :
- Tirsit Yetbarek – Chercheuse en socio-politique qui occupe actuellement le poste de directrice du Centre d’études africaines du Somaliland (SCAS) au sein de la Fondation culturelle de la mer Rouge à Hargeysa, Somaliland. Elle est également l’animatrice du Dialogue académique de Hargeysa (ADIH), une plateforme académique dédiée à la promotion des réseaux intellectuels et des discussions critiques parmi les universitaires du monde entier.
- Professeure Dorothy Ekuri Ekuri – Universitaire éminente titulaire d’un doctorat en Histoire, spécialisé en Relations internationales, obtenu à l’Université de Yaoundé, au Cameroun. Elle possède également une solide formation en sociologie et en anthropologie, acquise en tant que disciplines secondaires lors de ses études à l’Université de Buea, au Cameroun.
- Karine Coen-Sanchez – Candidate au doctorat en sciences sociales à l'Université d'Ottawa et co-présidente du CRSH. Karine est une activiste, une organisatrice et une chercheuse infatigable à l'origine d'un changement systémique pour les étudiants diplômés noirs et racialisés au Canada. Leader visionnaire, elle a été le fer de lance d'initiatives antiracistes transformatrices, mobilisant les parties prenantes, façonnant les politiques institutionnelles en matière de diversité et encourageant la solidarité communautaire. Son travail remet en question les inégalités systémiques, amplifie les voix marginalisées et redéfinit l'inclusion dans le monde universitaire.
- Professeure Nathalie Mondain – Démographe et sociologue de formation, Nathalie Mondain a réalisé sa thèse de doctorat au département de démographie à l'Université de Montréal en 2004. Depuis lors, elle a continué ses recherches en Afrique de l'Ouest s'intéressant à divers enjeux de population. Il s'agit notamment des dynamiques familiales et des questions de santé reproductive; de la migration internationale et circulaire; son intérêt porte également sur les dimensions méthodologiques et éthiques des pratiques de recherche telles qu'appliquées dans des contextes de populations vulnérables. Ses projets de recherche ont porté sur le mariage et la transition à l'âge adulte au Sénégal, sur l'éthique des pratiques de recherche dans les observatoires de population au Sénégal et au Burkina Faso, et sur l'effet des migrations internationales sur les dynamiques sociales et familiales au Sénégal. Elle a mené récemment un projet sur les dynamiques socio-éducatives en Afrique sub-saharienne au prisme de la famille et du genre. Elle collabore également à un projet sur la participation sociale et politique des immigrants et groupes ethnoculturels à la société québécoise.
Cet événement nous a permis de mieux comprendre comment l’Afrique est étudiée, comment ses savoirs sont produits et reconnus, et surtout, comment les institutions académiques peuvent œuvrer pour une approche plus inclusive et représentative.
Un des sujets majeurs abordés lors de cette table ronde est la tension entre la pratique (ou les cultures) de transmission orale des savoirsafricains et l’hégémonie du savoir écrit dans le monde académique. En Afrique, la transmission du savoir repose depuis toujours sur l’oralité : contes, proverbes, musique et échanges communautaires. Pourtant, dans le cadre universitaire occidental, l’écrit est souvent considéré comme la seule preuve tangible du savoir, reléguant ainsi les traditions orales à un statut de "savoir inférieur".
Comme l’explique un article de Atlantis Journal, il est impératif d’intégrer ces modes de transmission du savoir dans l’éducation, plutôt que de les exclure sous prétexte qu’ils ne correspondent pas aux normes académiques traditionnelles. Cette approche plus inclusive permettrait de mieux reconnaître l’ampleur et la richesse des connaissances africaines.
Toutefois, les changements structurels nécessaires à cette transformation se heurtent encore à une forte résistance institutionnelle. Comme le souligne Applied Worldwide, les universités occidentales restent réticentes à adopter des méthodologies alternatives qui ne s’inscrivent pas dans leur cadre traditionnel.
Un des points soulevés par les panélistes de la table ronde est la difficulté pour les chercheurs africains à s’imposer dans les cercles académiques internationaux. En effet, la production du savoir est souvent biaisée en faveur des chercheurs occidentaux, qui occupent une place dominante dans les publications et la reconnaissance institutionnelle, alors même que ce sont les chercheurs africains qui possèdent l’expertise locale et la connaissance intime des réalités du terrain.
De plus, paradoxalement, de nombreux programmes d’études africaines sont dirigés par des universitaires non africains. Cela soulève une question cruciale : comment garantir une approche véritablement inclusive si les voix africaines restent marginalisées même dans des espaces dédiés à l’étude de leur propre continent ?
Une des solutions avancées au cours de cette discussion est l’adoption d’une pédagogie culturellementadaptée, une approche qui valorise la diversité des modes d’apprentissage et de transmission du savoir. Comme l’explique EdCan, intégrer la culture et les recherches africaines dans l’enseignement permettrait non seulement d’améliorer la représentation des étudiants africains dans le milieu académique, mais aussi d’enrichir la compréhension globale des sociétés africaines.
En outre, une collaboration plus étroite entre les universités africaines et occidentales pourrait favoriser un échange de savoirs mutuellement bénéfique. Cela implique de dépasser la logique extractive qui caractérise trop souvent ces partenariats, où l’Afrique est vue comme un simple "terrain d’étude" plutôt que comme un acteur actif de la production du savoir.
La Table ronde sur les études africaines a mis en avant l’importance de reconsidérer la manière dont nous étudions l’Afrique. Il ne s’agit pas seulement d’intégrer davantage de contenus africains dans les programmes, mais aussi de revoir en profondeur les méthodologies et les structures académiques qui perpétuent les inégalités dans la production du savoir.
L’intégration des études africaines dès le niveau primaire et secondaire pourrait être un premier pas pour changer la perception du continent et sortir de la vision simpliste et homogénéisante qui lui est souvent attribuée. L’Afrique ne peut plus être uniquement un sujet d’étude universitaire : son histoire, sa diversité et sa complexité doivent être enseignées à un plus large public, tant en Afrique qu’ailleurs.
On entend souvent dire que "l’Afrique est le futur". Or, cette table ronde nous a prouvé que l’Afrique est déjà un acteur majeur dans la production du savoir, de l’innovation et du progrès intellectuel. Elle n’a pas à attendre un futur hypothétique pour exister sur la scène mondiale.
Les discussions ont mis en lumière la richesse des contributions africaines dans divers domaines, du savoir traditionnel aux recherches scientifiques contemporaines. Ce n’est pas l’Afrique qui doit "s’élever" pour s’adapter aux normes académiques occidentales, mais bien les institutions globales qui doivent reconnaître et intégrer pleinement les perspectives africaines.
L’enjeu des études africaines ne réside donc pas dans un simple rattrapage ou une mise à niveau, mais dans la reconnaissance d’une réalité évidente : l’Afrique contribue déjà énormément à la production de connaissances. Il est temps que cette contribution soit reconnue, respectée et valorisée à sa juste mesure.
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