Résumé
Considérer l’initiative sur le plan des politiques en ce qui a trait à la fourniture de logements comme un droit fondamental et un besoin de tous les citoyens. La Stratégie nationale sur le logement de 2017 marque un retour au leadership fédéral en matière de logement, après presque trois décennies de négligence politique. Toutefois, de nombreux commentateurs ont noté qu’il existe un écart important entre l’objectif louable de la stratégie, consistant au cours des dix prochaines années à répondre aux besoins de 1,7 million de ménages qui vivent dans des logements inabordables et/ou inadéquats, et les mécanismes existants pour atteindre cet objectif.
Une bonne stratégie en matière de logement a besoin de définitions claires, d’objectifs réalistes mais ambitieux et de mécanismes permettant de passer d’un modèle fondé sur l’habitation spéculative de luxe à un système qui répond aux besoins de la plupart des Canadiens.
Contexte
- La dernière stratégie du gouvernement fédéral en matière de logement remonte à 1993.
- En 1996, le gouvernement fédéral a transféré la responsabilité du logement abordable aux gouvernements provinciaux et territoriaux (P/T); en Ontario, cette responsabilité a été transférée aux administrations locales en 2000.
- Depuis la fin des années 1980, lorsque le gouvernement fédéral a commencé à désinvestir dans le logement sans but lucratif, l’itinérance a augmenté de façon exponentielle. Actuellement, parmi les quelque 235 000 personnes qui vivent au moins un épisode d’itinérance au cours d’une année, on trouve une proportion croissante de femmes, de familles, de jeunes et de nouveaux arrivants au Canada, et un nombre honteusement disproportionné d’Autochtones (28 à 34 % de la population des refuges, comparativement à 4,3 % de la population nationale).
- Plus de la moitié des ménages canadiens ont de la difficulté à payer leur loyer (et c’est sans parler de l’accession à la propriété) dans la plupart des zones urbaines les plus proches des emplois, des services et du transport en commun. La dépendance qui en résulte à l’égard de l’automobile a d’énormes répercussions du point de vue du changement climatique, tout comme l’inefficacité énergétique de nombreuses habitations, en particulier dans le Nord. Lorsqu’on évalue le véritable coût sociétal d’un logement inabordable, il faut tenir compte des coûts du transport et de l’énergie.
Facteurs à considérer
- De 1965 à 1980, environ 10 % des nouveaux logements au Canada ont été construits directement par le gouvernement et d’autres promoteurs sans but lucratif. En 1972, un rapport d’un groupe de travail fédéral recommandait que 45 % de la production de logements soit sans but lucratif, de préférence des coopératives, appuyées par des prêts gouvernementaux à des taux inférieurs au marché et des subventions au logement. Le gouvernement fédéral ne divulgue plus d’information sur les logements sans but lucratif achevés, mais en 2018, seulement 540 des 83 056 logements achevés étaient occupés en mode coopératif, soit une proportion de 0,65 %.
- Au début des années 1970, alors que la population était bien moindre, plus de 100 000 logements conçus spécialement pour la location étaient construits chaque année au Canada. À la fin des années 1990, ce nombre avait chuté à moins de 10 000 par année.
- Le problème actuel n’est pas lié à l’offre globale de logements, mais à une offre excédentaire de logements de luxe destinés aux investisseurs nationaux et étrangers. Vancouver, par exemple, présente un taux élevé d’offre de logements par habitant, mais à des prix qui ne répondent pas aux besoins de la plupart des résidents.
Recommandations
- Le Canada doit commencer par rétablir une définition nationale du logement abordable, fondée sur une proportion du revenu médian des ménages d’une région métropolitaine ou régionale (appelé RMM, ou revenu médian régional) consacrée au loyer ou à l’hypothèque, plus les impôts fonciers. Dans les années 1980, il s’agissait de 30 % du revenu pour 40 % de la population la plus pauvre. Il serait préférable d’établir trois catégories de ménages qui ont besoin d'aide, à savoir les ménages à revenu extrêmement faible (moins de 20 % du RMM – ménages touchant des prestations d’invalidité ou autres), les ménages à faible revenu (ménages se situant entre 20 et 50 % du RMM – souvent au salaire minimum) et les ménages à revenu moyen (entre 50 et 80 % du RMM – souvent de jeunes professionnels). Une définition normalisée permettrait d’obtenir une information comparable d’une administration à l’autre et de s’éloigner de la notion nuisible que le logement abordable a quelque chose à voir avec les loyers moyens actuels dans les grandes villes.
- Le gouvernement fédéral doit accorder la priorité aux besoins des ménages à très faible revenu qui risquent de devenir sans-abri. Le principe du logement d’abord fonctionne. Les loyers des ménages à revenu modéré peuvent subventionner de façon indirecte les ménages à très faible revenu dans les ensembles de logements abordables, mais il n’existe aucun moyen de fournir des logements à loyer modéré qui ne bénéficient pas d’un niveau élevé de subventions de construction. En outre, les ménages à très faible revenu peuvent avoir besoin d’une allocation de logement transférable pour couvrir leur part des coûts de fonctionnement.
- Le gouvernement fédéral doit également accorder la priorité aux besoins de logement des peuples autochtones, que ce soit dans les réserves, dans le Nord ou dans les zones urbaines. Cette stratégie parallèle doit être autogérée par les peuples autochtones, en utilisant autant que possible des matériaux locaux et en renforçant leurs capacités financières et de construction.
- Les trois ordres de gouvernement doivent travailler ensemble dans le cadre de leurs rôles respectifs. Le gouvernement fédéral, qui reçoit la part du lion de l’argent des contribuables, doit assumer la responsabilité principale du financement direct de la construction de logements abordables et des hypothèques, ainsi que de la réforme des leviers fiscaux et financiers indirects pour accroître l’offre de logement abordable. Les provinces et les territoires doivent assumer la responsabilité première de relier d’autres infrastructures, comme le transport en commun, les écoles et les services de santé, au logement abordable. Les administrations locales doivent quant à elles permettre la création de logements abordables en établissant des objectifs ambitieux, en identifiant, réservant et attribuant des sites prioritaires pour des logements abordables, en procédant au zonage dans une optique d’abordabilité, en accélérant le traitement des demandes de logements abordables et en éliminant les obstacles comme les exigences minimales de stationnement dans les zones bien desservies par le transport public.
- Le gouvernement fédéral doit élaborer un ensemble d’objectifs liés aux besoins en logements abordables pour les catégories à faible revenu, établir les coûts de mécanismes axés sur ces objectifs au cours des dix prochaines années, et fournir un processus de surveillance transparent. Il doit également lier tout partage des coûts ou toute subvention directe aux provinces/territoires et aux municipalités à l’existence de plans de logement assortis de critères semblables. Certains groupes, notamment les Autochtones, les femmes seules plus âgées, les femmes et les enfants qui fuient la violence, les jeunes qui ne sont plus placés en famille d’accueil, les personnes handicapées et les réfugiés, ont des problèmes particuliers qui influent sur leur capacité d’accéder aux logements abordables disponibles en quantité limitée dans la plupart des régions du Canada. Leurs besoins en logement doivent faire l’objet de plans particuliers.
- Le gouvernement fédéral doit appuyer des solutions de rechange sans but lucratif au logement spéculatif, en visant à accroître la part de ces solutions de rechange à 30 % de toute la production de nouveaux logements au cours des dix prochaines années. Il s’agit, entre autres, des logements sociaux, des logements communautaires, des coopératives d’habitation, des modèles de propriété avec participation limitée et des fiducies foncières communautaires. L’une des meilleures façons pour le gouvernement fédéral d’appuyer ces solutions de rechange est d’offrir des garanties de prêts afin de renforcer, au sein du secteur financier, la confiance à l’égard de ces solutions de rechange. Un deuxième grand mécanisme pour les trois ordres de gouvernement consiste à louer ou à donner des terrains gouvernementaux sous-utilisés et « paresseux » à des projets de logements abordables sans but lucratif. Une troisième option, telle que pratiquée au Québec, est de financer l’assistance technique pour le développement sans but lucratif.
- Le gouvernement fédéral doit également recommencer à encourager le secteur privé à offrir des logements construits spécialement pour la location et assortis de loyers maximaux, l’objectif étant que ceux-ci représentent 20 % du parc de logements neufs au cours des dix prochaines années. Afin d’être en mesure de « concurrencer » le développement de condominiums de luxe, il devrait garantir les prêts à la construction et les hypothèques. Il devrait obliger les administrations locales à redéfinir le zonage des terrains près des corridors de transport en commun pour y construire des logements locatifs abordables, dont 20 % seraient réservés aux ménages à faible revenu bénéficiant d’une allocation-logement transférable. Les administrations locales devraient également revoir les impôts fonciers et les autres mécanismes qui favorisent la construction de condominiums. Elles devraient aussi protéger les logements locatifs abordables existants de la démolition ou de la conversion en propriété privée. Les gouvernements provinciaux doivent améliorer les droits des locataires, y compris la protection contre le racisme et d’autres formes de discrimination par les propriétaires. Le gouvernement fédéral devrait appuyer les programmes d’efficacité énergétique visant à améliorer les logements locatifs privés, en imposant comme condition un plafonnement des augmentations de loyer.
- Les trois ordres de gouvernement doivent revoir leurs mécanismes fiscaux, lesquels soutiennent actuellement la spéculation dans un marché du logement de luxe surchauffé. Le gouvernement fédéral devrait éliminer l’exonération de l’impôt sur les gains en capital pour les ménages à revenu élevé. Il devrait envisager l’adoption d’exigences en matière d’investissement dans le logement abordable pour les banques. Les provinces et les territoires devraient envisager des « taxes sur les propriétés de luxe » d’une valeur supérieure à deux millions de dollars, augmenter les droits de cession immobilière pour les maisons de luxe et améliorer la réglementation sur les propriétés vacantes, les locations à court terme et les investissements étrangers. Les administrations locales devraient envisager d’augmenter les taux d’imposition foncière pour les maisons de luxe.
- Le gouvernement fédéral doit tirer des leçons de ce qui fonctionne en allouant 10 % des budgets de tous les projets pilotes à l’évaluation et à la diffusion des pratiques fructueuses. Il doit fournir des données transparentes qui permettent de suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs et les coûts réels (et non de réannoncer diverses sources de financement sous un nouveau nom). Il doit faire de la SCHL (Société canadienne d’hypothèques et de logement) un organisme indépendant apte à entreprendre des recherches et à transformer les politiques, quel que soit le parti au pouvoir. Il doit soutenir, comme par le passé, l’enseignement et les travaux savants axés sur les politiques dans le domaine du logement.
- Ce genre de changement transformationnel ne se produira pas si l’on augmente la capacité des planificateurs des politiques de logement à tous les échelons du gouvernement, ainsi que des fournisseurs de logements sans but lucratif. Il n’existe pas de grade universitaire en planification et politiques du logement au Canada. Cela doit changer.
A propos de l'auteur
La professeure Carolyn Whitzman est chercheure invitée de 2019 à l’Institut d’études féministes et de genre de l’Université d’Ottawa. Après avoir passé 16 ans à l’Université de Melbourne, elle travaille aujourd’hui pour le Réseau conjoint de recherche en matière de logement, financé par le CRSH et la SCHL et basé à l’Université d’Ottawa.