L’Allemagne a voté : une table ronde pour décrypter un tournant politique majeur

Développement international et mondialisation
École d'études politiques
École d’études sociologiques et anthropologiques
Allemagne
Le 4 mars 2025, l’Université d’Ottawa a accueilli une table ronde d’envergure pour analyser les conséquences des récentes élections fédérales allemandes, marquées par une percée historique de l’extrême droite. Organisé en collaboration avec plusieurs partenaires académiques et diplomatiques, l’événement a rassemblé des expert.e.s reconnu.e.s pour explorer les impacts potentiels de ce changement sur la politique européenne et les relations transatlantiques.

Le point de départ : un constat sans équivoque. Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) a obtenu plus de 20 % des voix, devenant ainsi une force politique incontournable. Face à cette montée, les partis de gauche traditionnels – sociaux-démocrates, Verts, et Parti de gauche – peinent à rassembler plus d’un tiers de l’électorat. Cette recomposition du paysage politique allemand soulève de nombreuses interrogations sur l’avenir du pays, mais aussi sur la stabilité de l’Union européenne et des alliances occidentales.

Modérée par le professeur Benjamin Zyla (École de développement international et mondialisation), la table ronde a donné la parole à :

Chaque panéliste a apporté une perspective complémentaire sur les causes et les implications du virage électoral allemand.

Bien qu’il n’ait pas pu participer à la discussion en tant que panéliste ou modérateur pour des raisons administratives, le professeur Jan Voelkel, professeur invité du DAAD (Office allemand d’échanges universitaires), a joué un rôle central dans l’organisation de l’événement. Le DAAD a également généreusement soutenu la rencontre en fournissant les rafraîchissements, contribuant ainsi à créer un cadre convivial et propice à l’échange.

L’un des moments forts de la discussion a porté sur le vote des jeunes : près de 21 % des 18 à 24 ans ont soutenu l’AfD. Cette donnée a surpris et inquiété les panélistes, d’autant plus qu’elle reflète une rupture générationnelle profonde :

« Les partis centristes parlent aux retraités, pas aux jeunes. Il y a un besoin urgent de renouveler le langage politique et les canaux de mobilisation. »

Autre point saillant : la fracture persistante entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne. Le vote populiste y est beaucoup plus prononcé, ce qui renvoie à des inégalités économiques durables, un sentiment d’abandon et un manque de représentation politique.

Le rôle des réseaux sociaux a également été souligné, notamment comme vecteurs de radicalisation et de désinformation, particulièrement auprès des jeunes électeurs. L’AfD y mène des campagnes efficaces, souvent virales, qui concurrencent les stratégies plus institutionnelles des partis traditionnels.

Le débat a aussi porté sur la perception de l’immigration comme facteur mobilisateur, bien que les faits contredisent souvent les peurs véhiculées :

« Ce n’est pas la réalité migratoire qui explique le vote pour l’extrême droite, c’est la manière dont cette réalité est instrumentalisée. »

La montée de l’AfD incarne également une remise en cause plus large du système politique, où une partie de la population exprime son désenchantement face à la gouvernance actuelle, à la perte de pouvoir d’achat ou encore aux difficultés d’accès au logement.

Malgré l’inquiétude, plusieurs intervenants ont rappelé un élément encourageant : la participation électorale a été exceptionnellement élevée, signe d’un engagement démocratique réel, même s’il s’exprime de manière polarisée.

Enfin, la discussion s’est ouverte sur une comparaison avec le contexte canadien, soulevant la question : nos démocraties libérales sont-elles prêtes à faire face aux mêmes secousses ?

Cette table ronde a permis de réfléchir collectivement aux défis majeurs posés par la montée des populismes : fracture générationnelle, déconnexion politique, usage stratégique des réseaux sociaux, sentiment d’exclusion. Les panélistes ont appelé à une réinvention des formes de participation citoyenne, une meilleure prise en compte des préoccupations des jeunes et des régions marginalisées, ainsi qu’une adaptation des discours aux réalités sociales actuelles.

L’Allemagne est peut-être le miroir de tensions plus larges à l’échelle occidentale. À nous de décider si nous voulons regarder ou agir.