Présenté comme une réforme politique ambitieuse, ce projet de loi soulève pourtant de vives inquiétudes, notamment pour les groupes déjà marginalisés dans nos établissements d’enseignement et nos milieux de travail.
Dans une tribune percutante, Karine Coen-Sanchez (École d’études sociologiques et anthropologiques), chercheuse et militante engagée, analyse le projet de loi sous l’angle des inégalités systémiques. Si l’intention affichée est d’améliorer les conditions pour les étudiants, le risque est grand que cette loi aggrave en réalité les injustices existantes, si elle n’est pas pensée avec une vraie perspective intersectionnelle.
Voici les principaux enjeux soulevés :
Pouvoirs excessifs au ministère : Le projet de loi confère au ministre des Collèges et Universités un pouvoir accru, notamment pour imposer des directives aux établissements. Cela pourrait compromettre la liberté académique et faire taire les voix critiques, surtout sur les sujets sensibles.
Lutte contre le racisme : Bien que la mise en place de politiques contre le racisme et la haine soit nécessaire, l’absence de cadre clair risque de détourner ces politiques de leur objectif, voire de les instrumentaliser contre les communautés racialisées.
Le “racisme poli” : Concept-clé de la tribune, le racisme poli désigne ces formes subtiles mais destructrices de discrimination qui se manifestent par des microagressions, des exclusions voilées, ou des attentes injustes envers les personnes racisées. Un phénomène fréquent dans les milieux prétendument “inclusifs”.
Santé mentale ignorée : Les mesures prévues ne tiennent pas compte des réalités spécifiques vécues par les étudiants issus de communautés marginalisées, laissant ainsi d’importantes lacunes dans les systèmes de soutien.
Des leçons à tirer d’expériences passées
Karine Coen-Sanchez s’appuie aussi sur d’autres exemples à travers le Canada pour souligner que de bonnes intentions ne suffisent pas. Qu’il s’agisse de la Loi sur l’équité en matière d’emploi en Ontario, des stratégies antiracistes en Colombie-Britannique ou des politiques québécoises en matière d’équité, un manque de consultation, d’ancrage dans les réalités de terrain et d’outils de responsabilisation a souvent conduit à des réformes inefficaces.
Un appel à l’action
Pour Coen-Sanchez, il ne s’agit pas seulement de critiquer, mais de proposer, dialoguer, co-construire. Les chercheur·e·s, les éducateur·rice·s, les communautés et les acteur·rice·s politiques doivent travailler ensemble pour intégrer les expériences vécues au cœur des politiques publiques.
« Nous devons continuer à poser les questions difficiles. Comment ce projet de loi va-t-il réellement s’attaquer aux préjugés raciaux ? »
En conclusion
Le projet de loi 166 a le potentiel d’être un catalyseur de progrès… ou une nouvelle occasion manquée. Tout dépend de l’intention réelle derrière les mots, et surtout, de la capacité à écouter les voix marginalisées et à agir en conséquence.