Des excréments de chauve-souris dévoilent 4 300 ans de données alimentaires et environnementales

Salle de presse
Artibée de la Jamaïque
Une grotte difficile d’accès a préservé dans des couches sédimentaires de guano – des déjections de chauve-souris – des indices de l’histoire du climat jamaïcain

Dans les profondeurs d’une grotte de Jamaïque se cache un véritable trésor : un amas de guano déposé en strates séquentielles par des générations de chauve-souris sur une période de 4 300 ans.

Tout comme les sédiments des lacs et des glaces antarctiques préservent les annales du passé, le monticule recèle de l’information sur les changements climatiques : selon une nouvelle étude, le dépôt de guano, d’une taille de deux mètres et pour la plupart intact, met au jour les transformations dans les sources d’alimentation des chauves-souris au fil des millénaires.

« Les chercheurs se fient principalement aux sédiments lacustres pour étudier les archives de la nature et reconstruire l’histoire naturelle. À notre connaissance, c’est la première fois qu’une équipe de recherche lit dans l’alimentation passée des chauves-souris », explique Jules Blais, limnologue à l’Université d’Ottawa et coauteur d’une nouvelle étude publiée dans le Journal of Geophysical Research: Biogeosciences, la revue scientifique de l’AGU sur les interactions entre les processus biologiques, géologiques et chimiques des différents écosystèmes terrestres.

Ses collègues et lui ont appliqué les mêmes techniques utilisées pour les sédiments lacustres à l’amas de guano découvert dans la grotte Home Away From Home, en Jamaïque : ils ont extrait une « carotte » verticale incorporant les strates les plus récentes aux plus anciennes, puis acheminé l’échantillon au laboratoire pour analyse biochimique.

Selon l’équipe de recherche, quelque 5 000 chauves-souris de cinq différentes espèces se réfugient actuellement dans la grotte pendant le jour.

« Comme les sédiments lacustres un peu partout, le dépôt de guano a tenu une chronologie de l’histoire en strates bien distinctes, ajoute le chercheur. C’est un dépôt massif qui a continué de s’accumuler et dont les couches inférieures remontent à 4 300 ans, selon la datation radiocarbone. »

La nouvelle étude s’intéressait tout particulièrement à des marqueurs biochimiques alimentaires appelés stérols, une famille de substances coriaces que produisent les cellules végétales et animales présentes dans l’alimentation des chauves-souris et d’autres animaux. Le cholestérol est un exemple de stérol animal bien connu. Les végétaux produisent des stérols distincts. Ces marqueurs stéroliques traversent le système digestif, s’intègrent aux excréments et se préservent pendant des milliers d’années.

« En tant que démonstration de ce qu’on peut faire avec des excréments, cette étude fait œuvre de pionnière », affirme Michael Bird, chercheur spécialisé en changements environnementaux dans les tropiques à l’Université James Cook de Queensland (Australie), qui n’a pas participé à l’étude en question. « L’équipe vient d’accroître l’arsenal à la disposition des chercheurs pour analyser les dépôts de guano partout dans le monde. »

Climats et régimes alimentaires d’autrefois

Tout comme les carottes sédimentaires et glaciaires, l’échantillon de guano prélevé dans la grotte en Jamaïque contient des signatures chimiques propres à l’activité humaine, comme des essais nucléaires et la combustion de l’essence au plomb; de pair avec la datation carbone, ces indices ont aidé les chercheurs à corréler l’histoire décelée dans le guano à d’autres événements de l’histoire climatique sur Terre.

Les chauves-souris pollinisent les plantes, contrôlent les populations d’insectes et répandent des semences lorsqu’elles cherchent leur nourriture. Tout changement à leur alimentation ou à la représentation des espèces en raison du climat peut se répercuter sur les écosystèmes et les systèmes agricoles.

« Les résultats nous permettent d’inférer que le climat d’autrefois a eu un effet sur les chauves-souris. Compte tenu des changements climatiques à survenir en ce moment, on s’attend à voir des transformations dans la façon dont elles interagissent avec leur environnement », explique Lauren Gallant, chercheuse à l’Université d’Ottawa et coauteure de la nouvelle étude. « Il pourrait y avoir des répercussions sur les écosystèmes. »

Pour l’étude, l’équipe de recherche a comparé les quantités relatives de stérols végétaux et animaux dans l’échantillon de guano, reculant dans l’histoire couche par couche pour découvrir comment les espèces de chauves-souris ont collectivement changé leurs sources d’alimentation par le passé.

L’équipe, qui comptait des biologistes spécialisés en chiroptérologie et un spéléologue de la région, s’est aussi intéressée à des spécimens vivants au Bélize; elle a analysé leur consommation de nourriture et leurs déjections pour se donner une référence quant aux types de stérols qui s’ajoutent aux excréments en fonction des différents groupes d’aliments consommés.

Selon les données de l’étude, les stérols végétaux ont connu un fort bond comparativement aux stérols animaux il y a environ 1 000 ans, pendant l’optimum climatique médiéval (900 à 1 300 de notre ère). Les échantillons lacustres en Amérique centrale suggèrent que le climat des Amériques était anormalement sec à cette époque. Une hausse semblable s’est aussi produite il y a 3 000 ans, pendant l’optimum climatique minoen (1 350 avant notre ère).

« Les conditions climatiques très sèches sont souvent néfastes pour les insectes, explique Jules Blais. Nous avons présumé que les chauves-souris se sont surtout alimentées de fruits pendant les sécheresses. »

L’étude a également relevé des changements dans la composition carbone du guano, résultat probable de l’arrivée de la canne à sucre en Jamaïque au 15e siècle.

« Il est remarquable que l’équipe ait découvert des marqueurs biochimiques qui demeurent révélateurs après 4 000 ans d’existence », signale Michael Bird. « Dans les tropiques, tout se décompose rapidement. »

L’approche présentée dans la nouvelle étude pourrait servir à recueillir des données écologiques à partir de dépôts de guano partout dans le monde, même auprès de ceux qui ne datent que de quelques centaines d’années, ajoute-t-il.

« Comme il arrive fréquemment qu’il n’y ait aucun lac à proximité, le guano devient une option intéressante pour se renseigner sur le passé. Il contient aussi des données biologiques qu’on ne trouve pas dans les lacs, poursuit le chercheur. Il y a encore beaucoup de travail à faire, et une foule de grottes à explorer. »

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Remarques à l’intention des journalistes

L’étude « A 4,300year history of dietary changes in a bat colony determined from a tropical guano deposit » sera disponible en libre accès pendant 30 jours. Vous pouvez télécharger une copie de l’article en format PDF. L’article et le présent communiqué de presse ne sont pas sous embargo. Vous pouvez consulter la version anglaise du communiqué et des fichiers multimédias connexes à l’adresse https://news.agu.org/press-release/poop-core-records-4300-years-of-bat-diet-and-environment.

Auteurs et auteures

  • Lauren Gallant (Université d’Ottawa, Canada)
  • MB Fenton (Université Western Ontario, Canada)
  • Chris Grooms (Université Queens, Canada)
  • Wieslaw Bogdanowicz (Musée et institut de zoologie, Pologne)
  • RS Stewart (Jamaican Caves Organisation, Ewarton, Jamaïque)
  • Elizabeth Clare (Université Queen Mary de Londres, Royaume-Uni)
  • John Smol (Université Queens, Canada) 
  • Jules Blais, auteur-ressource (Université d’Ottawa, Canada)

Personne-ressource pour les médias à l’AGU
Liza Lester, +1 202 777-7494, [email protected]

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