Image obtenue par microscopie à fluorescence d’un champignon mycorhizien à arbuscules (CMA) Dans deux grosses spores brillantes, on distingue des milliers de noyaux appartenant à deux génotypes différents à l’intérieur d’une seule cellule, preuve de la structure génétique particulière du CMA. De fins filaments fongiques s’étendent en arrière-plan. (photo de Vasilis Kokkoris)
Image obtenue par microscopie à fluorescence d’un champignon mycorhizien à arbuscules (CMA) .
Les champignons microscopiques qui se trouvent sous terre détiennent la clé pour combattre les changements climatiques et révolutionner l’agriculture. Apprenez comment le professeur Nicolas Corradi et son équipe de l’Université d’Ottawa ont révélé le potentiel des champignons pour séquestrer le carbone, accroître le rendement des cultures et créer des biofertilisants durables.

Ni plantes ni animaux, les champignons font partie des organismes les plus sous-estimés sur la planète. Ils ont pourtant joué un rôle déterminant dans l’évolution : sans eux, il n’y aurait ni plantes ni animaux terrestres. Par exemple, un type particulier de fongus, le champignon mycorhizien à arbuscules (CMA), supporte la vie terrestre depuis au moins 450 millions d’années. Ces champignons forment des relations symbiotiques avec les racines des plantes, créant de vastes réseaux souterrains sous les maisons, les parcs et les trottoirs de tous les continents, à l’exception de l’Antarctique.

Bien qu’ils ressemblent à de simples fils, les CMA peuvent absorber le carbone du CO2 atmosphérique qui se fixe dans les plantes hôtes, puis l’emmagasiner dans le sol. Le professeur Nicolas Corradi, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université en génomique microbienne, s’intéresse tout spécialement à leurs caractéristiques génétiques, uniques en leur genre.

« Ce qui m’a poussé à étudier les CMA, c’est leur structure génétique rare. Ces champignons possèdent des milliers de noyaux coexistants dans le même cytoplasme, ce qui est extrêmement inhabituel. En 2016, nous avons découvert que certains de ces noyaux, qui cohabitent dans la même cellule, ont des génotypes différents. Cette singularité génétique m’a captivé et elle a orienté la direction que nous avons prise dans nos recherches », explique le professeur Corradi.

On voit des rangées de pots de sorgho du Soudan cultivé en conditions contrôlées dans une chambre fermée et très éclairée utilisée pour la recherche scientifique sur la croissance des plantes et les interactions avec les champignons.

Le professeur Corradi et son groupe étudiant ont fait équipe avec Micro-Tek, une grande entreprise de foresterie et d’agrotechnologie, pour transformer les découvertes scientifiques en applications pratiques pour la séquestration du carbone. Leur projet porte sur la création de nouvelles souches de CMA, l’identification de leurs traits particuliers grâce au séquençage du génome et de l’ARN, et l’évaluation de leur potentiel de stockage du carbone.

L’équipe place en chambres de culture des plantes inoculées et non inoculées avec des CMA, puis en compare la croissance. À l’œil, les différences sont subtiles, mais les plantes cultivées avec les CMA ont invariablement un plus grand poids sec, retiennent davantage de carbone et absorbent mieux le phosphate. Une analyse statistique détaillée a confirmé que ces augmentations sont significatives et qu’elles ne sont pas dues à une variation aléatoire. Les techniques de génétique et de génomique permettent de savoir quelles caractéristiques du CMA expliquent ces effets.

« Pour vraiment comprendre la biodiversité, nous devons analyser tant les interactions macroscopiques que microscopiques. Notre compréhension ne sera pas complète si nous négligeons d’étudier les dynamiques souterraines. C’est en explorant les mondes macro et microscopiques que nous découvrirons toute l’essence de la biodiversité. » – Professeur Nicolas Corradi

Les membres de l’équipe étudiante jouent un rôle prépondérant, que ce soit en procédant à des expériences en serres ou en analysant les données génétiques. De plus, le partenariat avec Micro-Tek les met en contact avec les applications commerciales et industrielles de la recherche scientifique.

Robert Ferguson, étudiant au doctorat et stagiaire chez MITACS, se tient près d’une chambre de culture remplie de sorgho du Soudan inoculé avec différentes souches de CMA.

Le travail du professeur Corradi a de vastes ramifications, particulièrement dans le secteur agricole canadien. Son équipe étudie la capacité des souches natives de CMA d’améliorer le rendement des cultures, ce qui contribuerait directement à la sécurité alimentaire. À l’échelle mondiale, ces recherches sont également utiles pour la séquestration du carbone, puisque le CMA en capte annuellement environ 18 gigatonnes. Grâce aux CMA, on pourrait réduire la quantité de carbone dans l’atmosphère tout en améliorant la santé du sol et la productivité agricole. Ces travaux pourraient aussi mener à la mise au point de biofertilisants enrichis de CMA, ce qui fournirait une solution de rechange durable aux fertilisants chimiques et encouragerait l’adoption de pratiques agricoles écologiques partout dans le monde.

Cette collaboration entre la recherche et l’industrie est un exemple de l’innovation au service des enjeux planétaires. En révélant le potentiel du champignon mycorhizien à arbuscules, cette étude ne fait pas seulement avancer la science; elle pave la voie à un avenir durable sans insécurité alimentaire. Il ne sera pas simple d’arriver à exploiter le potentiel de ces champignons, mais leur utilisation promet d’intéressantes percées en matière d’agriculture et de développement durable.

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