Combattre la mésinformation et la désinformation au sein de la société : on en parle au Congrès de l’Acfas

Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

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Société
Acfas 2024
Illustration d'une personne se noyant dans une mer d'informations constituée de journaux.
En 2018, la « mésinformation » est désignée mot de l’année. Quatre ans plus tard et après avoir vécu la pandémie de COVID-19, les concepts de mésinformation (fausse information diffusée involontairement) et de désinformation (fausse information diffusée avec la volonté de nuire) sont plus pertinents que jamais.

Pourtant, les débats mondiaux, marqués par des opinions contradictoires, des messages politiques polarisants et des thèses conspirationnistes, affectent la confiance du public envers ce qui est vrai et faux.

Dans ce contexte, exacerbé par les sources Internet douteuses et les algorithmes des médias sociaux qui renforcent les idéologies, que peut-on faire pour combattre la mésinformation et ses effets de division sur la société? Avec quels outils fondamentaux la société devrait-elle se doter pour lutter contre les fausses informations afin d’éviter qu’elles se transforment en crises sociales et organisationnelles?

En mai, l’Université d’Ottawa accueillera le 91e Congrès annuel de l’Acfas, le plus grand rassemblement scientifique multidisciplinaire de la francophonie. Quatre membres de notre communauté de recherche animeront des colloques autour de la mésinformation et la désinformation. 

Voici un avant-goût de ce qui vous attend.

Cultiver l’esprit critique au sein de la société

Mitia Rioux-Beaulne, Faculté des arts 

Les recherches du professeur Rioux-Beaulne portent sur les perspectives des philosophes du XVIIIe siècle qui s’interrogeaient sur le rôle des institutions scientifiques comme lieux de création, de validation et de diffusion des connaissances.

Les deux institutions principales de l’époque étaient les académies – des centres où le savoir était déterminé et diffusé auprès de la population, comme une université – et l’encyclopédie, un livre de savoirs créé par et pour la population. L’Encyclopédie fut rédigée sous la direction de Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert, encyclopédistes français qui voyaient le savoir comme étant toujours en mouvement.

« Que ce soit dans les académies ou dans l’encyclopédie, il existait des systèmes de modération interne, des règles d’écriture et une procédure de légitimation des connaissances », explique le professeur de philosophie à l’Université d’Ottawa. 

« Ce n’était pas juste de dire “croyez à ceci, ne croyez pas à cela”. Il s’agissait plutôt d’expliquer les instruments qu’on devrait développer pour devenir soi-même lecteur critique. »

Selon lui, les journaux et les médias d’aujourd’hui nous expliquent très rarement les outils et procédures de validation lorsqu’ils nous relatent les résultats d’études scientifiques. La frontière entre science et opinion tend ainsi à s’estomper, ce qui mine souvent la crédibilité de certains résultats. « Pour moi, il y a une véritable interrogation sur l’effet nuisible de cette approche sur le débat public », dit le professeur.  

En ce qui concerne la manière de concilier la divergence des points de vue dans le milieu scientifique, Mitia Rioux-Beaulne évoque encore une fois l’exemple de Diderot. Le philosophe des Lumières rassemblait les contributeurs à l’encyclopédie, des personnes aux manières de penser très différentes, les invitant à revoir le contenu, à le critiquer, et à répondre aux contributions des autres.  

Le professeur précise que les contradictions étaient considérées comme complémentaires à une compréhension plus élargie des informations. « L’idée n’est pas de créer une science qui a un discours unique imposant, mais de créer les conditions de possibilité d’un débat sain. Un débat qui s’appuie sur des procédures scientifiques adéquates. »

D’autre part, il affirme que les philosophes de l’époque avaient pour but de cultiver chez le public un regard plus approfondi et critique sur les connaissances – et les institutions jouaient un rôle pédagogique dans la formation de cet esprit critique.

« Pour donner un exemple contemporain, on peut se mettre d’accord qu’un système d’éducation fonctionnel est un préalable indispensable à une démocratie saine. Les citoyens devraient être capables de voter de manière éclairée. Ainsi, désinvestir dans les systèmes d’éducation compromettra presque inévitablement tout effort démocratique. Car ceci crée un environnement favorable à la manipulation, où les pratiques et décisions citoyennes sont influencées par une conception inadéquate de la réalité. » 

Ajoutez le colloque du professeur Rioux-Beaulne, Qu’est-ce qu’un héritage philosophique ? la philosophie et son rapport au passé, à votre programme du Congrès de lAcfas.

Développer les compétences de vulgarisation scientifique

Adam Brown et Elaine Beaulieu, Faculté des sciences 

En 2013, le professeur Adam Brown a réussi à créer le premier cours de vulgarisation scientifique dans un programme scientifique universitaire au Canada. Une tâche pas si facile, étant donné que la discipline en question avait jusque-là été confinée aux contours des sciences humaines.

« Le monde d’aujourd’hui nécessite que les scientifiques aient la capacité de communiquer avec le public. Ce n’est pas juste de communiquer des données et des résultats scientifiques », commente le professeur Brown. « On veut que le public développe un intérêt, un engagement, avec la science. »

De son côté, la professeure Elaine Beaulieu s’intéresse à la transformation d’informations scientifiques en images visuelles. Dans ses cours, elle demande à ses étudiantes et étudiants de trouver les informations clés à communiquer, puis de les transformer de manière visuelle. « Ça nous permet de rejoindre un public plus large. »

À cet égard, la professeure de biologie explique qu’avec la pandémie et la fréquence accrue des événements naturels majeurs, ces dernières années ont fait émerger un nouveau public en sciences : le grand public.

« Désormais, le développement des compétences de cette discipline émergente devrait être considéré comme essentielle dans la formation des scientifiques », affirme-t-elle. « Ça nous permettra d’agir plus en amont qu’en aval et d’instaurer ces capacités chez les scientifiques avant que les crises frappent ou que les mésinformations se propagent. »

Pour le professeur Brown, lutter contre la mésinformation par la transmission de faits n’aura pas de résonance particulière, car la mésinformation est rarement fondée sur des faits. « Elle provient plutôt de valeurs ou d’émotions. »

« Il est essentiel d’analyser la situation attentivement et de miser sur le caractère interdisciplinaire de la vulgarisation scientifique », préconise-t-il. « Celle-ci englobe plusieurs domaines non scientifiques comme la culture, l’histoire, l’économie, la politique, les enjeux internationaux, l’éthique, la sociologie, et bien plus encore. Ce serait dommage de ne pas en tirer parti. » 

Ajoutez le colloque du professeur Brown et de la professeure Beaulieu, Défier les normes pédagogiques : repenser la formation en vulgarisation scientifique dans l’enseignement supérieur, à votre programme du Congrès de lAcfas.

L’évaluation continue, clé d’une bonne stratégie de communication de crise

Ivan Ivanov, Faculté des arts

Ivan Ivanov est professeur de communication organisationnelle à la Faculté des arts. Il nous explique qu’en temps de crise, « il y a un double processus informationnel. Au début, il y a un manque d’informations, donc on consulte différentes sources pour en amasser. Mais très rapidement, on commence à se noyer dans les informations. »

C’est à cette étape qu’on doit se méfier de la mésinformation, de la désinformation et des rumeurs. « C’est comme une boule de neige. Et l’arme la plus redoutable contre la mésinformation réside dans une communication institutionnelle officielle, une information transparente, et une gestion de crise structurée », ajoute le professeur Ivanov, qui mène actuellement des recherches sur l’évolution des pratiques de relations publiques à l’ère du numérique au sein du gouvernement fédéral canadien.

Pour établir une bonne stratégie de communication de crise et lutter contre la mésinformation, il est important « d’être évolutif, élastique, et de s’adapter à l’environnement. Le secret, c’est d’être en évaluation continue. Il faut savoir combiner différentes stratégies de communication et être agile pour changer l’approche lorsque l’information change et la crise évolue. Sinon, la stratégie ne fonctionnera pas. »

Et il ne faut pas s’attendre à revenir à la normale, car la « normale » en dehors de la crise n’existe véritablement pas. Selon le professeur Ivanov, étudier les crises par étapes – la pré-crise, l’étape aiguë, et l’étape post-crise – ne fait plus de sens dans un monde de crises permanentes. D’après les travaux de son équipe de recherche, ces étapes doivent être considérées comme un processus continu et itératif plutôt que morcelé par des phases successives.

Le professeur Ivanov déconseille la croyance populaire qui veut qu’une remise en question des stratégies de gestion de crise adoptées soit considérée comme un échec. « Au contraire, c’est une étape clé du processus qui nous permet d’être meilleurs. On doit constamment faire l’analyse de la situation et (ré-)évaluer l’environnement autant que nécessaire. » 

« C’est un retour sur le moment passé pour comprendre le moment présent et ajuster la stratégie pour les moments à venir. » 

Ajoutez le colloque du professeur Ivanov, Crise ! Quelle crise ? faire dialoguer des approches et des pratiques communicationnelles quand la crise devient l’ordinaire, à votre programme du Congrès de lAcfas.