Un amour décolonialiste

Par Erica Violet Lee

Poet, essayist, political theorist, MoontimeWarrior.com

Soutien  aux études 
Indigenous
A man and woman pose together with a residentail area in the background.
Ce qui m’a surpris le plus après qu’on m’ait demandé d’écrire au sujet de l’histoire d’amour d’un couple autochtone d’enfer pour la Saint-Valentin, c’est que Renee et Joel aient le courage d’étaler leur vie à la vue de tous. L’amour est une chose magnifique, mais qui comprend aussi de nombreuses variables inconnues, alors de publier leur histoire pour la Saint-Valentin? Je parie que ce serait terrifiant même pour les âmes les plus romantiques.

Malgré tout, c’est vrai que de nos jours, l’amour a déjà un aspect « public » auquel on est habitué. Surtout en tant que personnes autochtones, l’amour est très politisé, ce qui complique souvent les choses. Quand on pense aux politiques passées et actuelles qui dictent la façon dont on doit vivre (avec qui tomber en amour, qui marier, comment élever nos enfants et toujours avoir en tête les sept générations précédentes et futures pour chacune des décisions importantes qu’on prend), ça rend les choses encore plus complexes.

Mais tout ça, c’est très lourd. Revenons plutôt à la case départ.

Joel et Renee se sont rencontrés en 2009, au Centre de ressources autochtones de l’Université d’Ottawa. Renee, qui vient de Rama et qui s’identifie comme une Autochtone urbaine de Toronto, étudiait l’éthique et la religion, tandis que Joel (Dakota et Ojibwé) était en Études autochtones. Les deux participaient à un atelier de confection de mocassins au Centre, et la légende raconte que Joel était tellement distrait par Renee qu’il n’a même pas réussi à en finir un.

Renee, quant à elle, est certaine de l’avoir remarqué en premier; volubile et tapageur, Joel connaissait tout le monde. Personnellement, j’aurais tendance à la croire; étant moi-même une femme crie, je sais que les aptitudes de chasse traditionnelles des femmes autochtones sont souvent sous-estimées. Nous sommes nombreuses à avoir hérité d’un bon œil pour ce genre de chose, en apprenant entre autres à repérer des fruits à cueillir ou du gibier à chasser des kilomètres plus loin.

Peu importe qui a attiré l’attention de l’autre en premier, les deux tourtereaux ont gardé contact après l’atelier. Leur relation s’est entamée à distance pendant les premiers mois, ce qui leur a permis d’établir un lien fondé sur l’indépendance et le soutien mutuel envers leurs rêves et leurs objectifs.

À ce stade de l’entrevue, j’avais déjà laissé tomber les questions sur « l’amour au temps de la Loi sur les Indiens » que j’avais soigneusement préparées. J’étais reçue chaleureusement (bien que virtuellement) dans la cuisine de deux personnes dévouées l’une envers l’autre qui étaient incapables de déterminer le moment exact où ils sont tombés en amour, parce qu’ils ont tous les deux le même objectif depuis le début. Comme Renee l’a dit, Joel et elle s’engagent à vivre leur vie de façon à « assurer le meilleur avenir possible pour leur peuple. »

Après plus de dix ans de relation sous la ceinture, qu’est-ce que les dix prochaines ont en réserve pour eux? La réponse de Joel est simple : « On sera parents! » (Pas de pression.) Sourire aux lèvres, Renee avoue qu’elle a l’intention de continuer sur leur lancée : « Pour moi, s’épanouir ensemble est ce qui importe le plus. On a traversé tellement d’épreuves : l’école, les emplois et les villes. On fonctionne bien ensemble. »

Et pour la Saint-Valentin? Renee et Joel ne sont pas du genre à préparer des soirées romantiques extravagantes dignes d’Hollywood; comme beaucoup de gens, ils croient que dernièrement (et peut-être depuis toujours), les fêtes inscrites au calendrier grégorien sonnent un peu faux. C’est comme si on devait attendre que notre calendrier colonialiste nous donne la permission de passer du temps de qualité ensemble, parce que la productivité reste au cœur de notre société capitaliste. Les personnes autochtones du Canada n’ont jamais eu besoin d’occasions spéciales pour se réunir avec leurs proches. On connaît les répercussions de la violence causée par le colonialisme, que nos rassemblements soient rendus illégaux, que nos proches nous soient volés.

Et donc, au même titre qu’ils vivent au gré des saisons, Renee et Joel n’attendent pas la Saint-Valentin pour se dire « je t’aime ». Le secret de leur amour décolonialiste, c’est de chérir le moment présent en consacrant du temps quotidiennement à ceux qui leur sont chers.

Renee et Joel travaillent tous les deux pour la gouvernance et vivent ensemble à Ottawa avec leur chat, Totem Pole.

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Kinanaskomitin à Renee et à Joel de m’avoir permis de faire cette entrevue avec vous. C’est un honneur pour moi d’avoir pu prendre conscience de tout le travail que vous faites dans nos collectivités et d’avoir un aperçu de vos vies palpitantes.

Affirmation autochtone

Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire, qui demeure non cédé. 

Nous rendons également hommage à toutes les personnes autochtones qui habitent Ottawa, qu’elles soient de la région ou d’ailleurs au Canada. 

Nous reconnaissons les gardiennes et gardiens des savoirs traditionnels de tous âges. Nous honorons aussi leurs dirigeantes et dirigeants d’hier, d’aujourd’hui et de demain, au courage indéniable. 

À propos de l’affirmation autochtone.