Ce consensus autour du concept net zéro semble d'autant plus fragile après l'éviction d'Erin O'Toole du poste de chef du Parti conservateur. Cette évolution n'est pas une exception. Dans l'histoire de la politique fédérale, les conflits sur les politiques énergétiques et climatiques sont la règle, et non l'exception. Dans le cadre d'un nouveau rapport pour l'initiative d’Énergie positive de l'Université d'Ottawa, j'ai interviewé 50 experts afin de mieux comprendre cette histoire et d'évaluer comment rendre les politiques énergétiques et climatiques ambitieuses plus durables et moins vulnérables à la partisanerie.
Il n'est pas surprenant que la politique ait joué un rôle démesuré dans la polarisation des principaux enjeux énergétiques et climatiques. D'après nos entrevues, la politique partisane semble imposer trois limites principales à la recherche d'un consensus. Examinons-les une par une.
La partisanerie toxique
La première limite est la partisanerie toxique. Le mot "partisan" a beaucoup de connotations, mais la politique est un sport d'équipe et il n'y a pas vraiment d'autre solution que de choisir une équipe. Ce qui compte vraiment, c'est ce que nous ressentons à l'égard des autres équipes. Le défi de la toxicité s'étend au-delà de la politique énergétique et climatique, mais nous ne devrions pas sous-estimer les risques qu'il pose pour les ambitions du Canada en matière de net-zéro.
L'incivilité dans les environnements partisans tels que les législatures se répercute sur les autres. Si nos dirigeants politiques jouent un rôle majeur dans la perpétuation de cette toxicité, ils ont également le pouvoir de corriger la situation. La civilité devrait aller de soi, mais le fait de voir davantage de politiciens ouverts à la collaboration constituerait un grand pas dans la bonne direction. Des acteurs non partisans peuvent faciliter ces efforts. Le Canada est un pays vaste et diversifié. Si nous ne pouvons pas être en désaccord de façon constante et respectueuse sans perdre de vue la situation dans son ensemble, le net-zéro est illusoire.
Nous contre eux
Le deuxième défi est l'attitude "nous contre eux", qui est désormais omniprésente dans nos politiques. Pour dissiper cette mentalité, il faut comprendre ce qui la suscite dès le départ. Les progrès rapides dans les domaines de la psychologie sociale et politique ont fourni une feuille de route à quiconque cherche à semer la confusion, à provoquer la colère ou à se créer des ennemis. Si nous ne modifions pas les incitatifs politiques du Canada, notre seule option est de résister à la création stratégique de groupes d'appartenance et de groupes de rejet. Il est essentiel de faire comprendre comment le "nous contre eux" est utilisé pour diviser et enflammer.
La fausse polarisation
Le troisième défi est la fausse polarisation, qui fait référence aux croyances inexactes sur la polarisation réelle des différents groupes. Les enquêtes publiques menées par Énergie positive suggèrent que de nombreux Canadiens ont une vision déformée de la position de leurs voisins sur l'action climatique. Cela crée une boucle de rétroaction néfaste où nous nous fâchons ou nous nous aliénons en fonction de ce que nous pensons que nos adversaires partisans et idéologiques pensent. Dans la pratique, environ deux tiers des Canadiens s'identifient comme étant idéologiquement modérés. Bien que les modérés soient généralement moins inspirés à s'exprimer ou à agir, un nombre suffisant de Canadiens semblent être d'accord sur les éléments de base pour faire des progrès.
Nous disposons de multiples moyens pour lutter contre la fausse polarisation. Plus de dialogue, plus de nuances, plus de médiation honnête, moins de jugements préventifs, plus de collaboration au-delà des lignes partisanes, moins de pensée catégorique et moins de simplification excessive des points de vue des adversaires sont autant d'éléments importants.
Mais qu'en est-il des personnes qui ne sont pas d'accord et qui ne veulent pas l'être ? Parmi les 50 experts que nous avons interrogés, 13 ont indiqué qu'ils n'étaient pas nécessairement intéressés à rapprocher les points de vue ou à favoriser un plus grand consensus. Cette perspective reflète le défi des contextes polarisés : une minorité qui croit que certaines positions idéologiques ou politiques sont indignes de négociation ou de compromis.
La bonne nouvelle est qu'il semble y avoir un accord commun sur plusieurs initiatives clés au-delà de ces frontières. Parmi les participants que nous avons interrogés, les technologies à faibles émissions, les politiques de marché telles que la tarification industrielle du carbone et le principe du net-zéro font l'unanimité pour diverses raisons. Les acteurs frustrés par leurs homologues idéologiques peuvent encore progresser ; il n'est pas nécessaire d'être d'accord sur le pourquoi pour être d'accord sur le comment.
Un autre défi majeur est que les objectifs de 2050 sont suffisamment éloignés pour que les engagements de certains gouvernements et entreprises soient considérés à juste titre comme des fausses promesses. Ces engagements et les actions qui les sous-tendent méritent un examen approfondi. Mais si les chercheurs, les analystes et les partisans prennent les promesses de net-zéro au sérieux et fournissent des conseils réalistes sur les compromis à faire, l'espace des solutions deviendra plus clair, plus rapidement.
Les acteurs engagés avaient les prémices d'un important consensus politique sur lequel travailler, mais le temps presse pour construire autour de ce consensus. Plus que toute autre politique, la dépolitisation de l'action climatique reste une tâche urgente.