Il y a plusieurs textes constitutionnels disparates, adoptés à des époques différentes dans l’histoire canadienne, qui créent une obligation de légiférer en français et en anglais. Ces textes s’appliquent à des juridictions différentes.
L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 impose au Parlement fédéral ainsi qu’à la législature du Québec l’obligation d’imprimer et publier leurs lois en français et en anglais, ce que la Cour suprême du Canada a interprété comme incluant l’obligation de les adopter en français et en anglais (Blaikie c. Québec no. 1, 1979). Cette obligation s’étend aussi aux règlements du gouvernement (Blaikie c. Québec no 1, 1979), mais elle ne comprend pas les règlements municipaux ou scolaires ni les règlements d’organismes qui n’ont pas besoin d’une approbation du gouvernement (Blaikie c. Québec no 2, 1981) [CSC]. L’obligation de légiférer dans les deux langues ne peut pas être modifiée par le Québec sans au moins le consentement de cette province et du fédéral (Blaikie c. Québec no. 1, 1979; article 43b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Le même article permet l’usage du français ou de l’anglais dans les débats et travaux du Parlement fédéral et de l’Assemblée législative du Québec. L’article 17(1) de la Charte canadienne des droits et libertés permet l’usage du français ou de l’anglais dans les débats et travaux du Parlement.
L’article 18(1) de la Charte canadienne des droits et libertés reprend l’exigence du bilinguisme des lois fédérales et précise que chaque version de ces lois a une égale valeur. L’article 18(1) ne peut pas être modifié sans le consentement unanime de toutes les provinces canadiennes et du fédéral (article 41c) de la Loi constitutionnelle de 1982). Parce que le texte de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 a été repris dans le texte de l’article 18(1) de la Charte canadienne, on peut raisonnablement affirmer que la règle de l’égale valeur des deux versions postulée à l’article 18(1) pour les lois fédérales s’étend aux lois du Québec.
L’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870, qui fait partie de la Constitution du Canada en raison de l’article 5 de la Loi constitutionnelle de 1871, impose à la législature du Manitoba la même obligation qu’au Québec : le Manitoba doit adopter et publier ses lois en français et en anglais. Cette obligation ne peut pas non plus être modifiée par le Manitoba sans le consentement de cette province et du fédéral (Forest c. Manitoba 1979 [CSC]; article 43b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Le non-respect de cette obligation par le Manitoba pendant près de 100 ans a conduit la Cour suprême du Canada à prononcer l’annulation totale de toutes les lois de la province du Manitoba qui avaient été adoptées en anglais seulement depuis 1891. Cependant, puisque cela signifiait que le Manitoba n’avait plus d’existence juridique et que cela serait contraire à la primauté du droit, la Cour a suspendu sa déclaration d’invalidité pendant le temps requis par la province pour traduire et ré-adopter ses lois (Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba 1985) [CSC]. Parce que le texte de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba reprend celui de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et a été repris dans le texte de l’article 18(1) de la Charte canadienne, on peut raisonnablement affirmer que la règle de l’égale valeur des deux versions postulée à l’article 18(1) pour les lois fédérales s’étend aux lois du Manitoba.
L’exigence de bilinguisme s’étend aux décrets du gouvernement qui créent des règles et aux documents incorporés dans les lois et règlements, qu’ils aient été produits par le Manitoba, par un autre gouvernement ou par une compagnie ou un organisme privé, « à moins qu'on ne puisse démontrer que son incorporation sans traduction est fondée sur un motif légitime » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba,1992, sommaire de la décision) [CSC]. Dans la même décision la Cour précise qu’un motif légitime serait la référence aux lois d’une autre province ou d’un autre pays à des fins de coopération inter-gouvernementale, des règles internationales, ou des normes techniques (comme ISO ou ICANN) adoptées par des organismes privés.
L’article 18(2) de la Charte canadienne des droits et libertés impose la même obligation au Nouveau-Brunswick : cette province doit adopter ses lois en français et en anglais, chaque version ayant la même valeur. L’exigence s’étend aux règlements, mais aussi aux arrêtés municipaux (Charlebois c. Moncton (ville), 2001). L’article 18(2) ne peut pas être modifié sans le consentement de cette province et du fédéral (article 43(b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Et l’article 17(2) de la Charte permet l’usage du français ou de l’anglais à l’Assemblée législative.
La Cour suprême a décidé que l’exigence constitutionnelle d’adoption des lois bilingues ne s’étendait pas aux provinces de Saskatchewan et d’Alberta, qui ont été créées en 1905 à partir d’une loi fédérale. Le Décret d’annexion des Territoires du Nord-Ouest au Canada de 1870, adopté presque en même temps que la Loi sur le Manitoba de 1870, ne contenait aucune garantie explicite d’adoption bilingue des lois, contrairement à la Loi sur le Manitoba; la Loi sur la Saskatchewan de 1905 et la Loi sur l’Alberta de 1905 ne contenaient pas de clauses linguistiques explicites non plus; selon la Cour, cela signifiait que les parties aux négociations entre les Métis et le gouvernement canadien savaient comment garantir et protéger les droits linguistiques et leur omission, dans le décret d’annexion ou dans les lois de création de ces provinces, était donc voulue (Caron c. Alberta 2015) [CSC]
Les autres provinces et territoires n’ont pas d’obligation constitutionnelle explicite d’adopter leurs lois dans les deux langues officielles. Il faut alors consulter les lois de chaque juridiction pour connaître la situation.