Comment les États choisissent-ils leurs politiques linguistiques? Pourquoi ces politiques diffèrent-elles d’un pays à l’autre? Cette section portera sur les fondements institutionnel et politique de l’aménagement linguistique au Canada. Par l’expression « fondements institutionnel et politique », nous entendons le rôle particulier des traditions étatiques, soit le bagage normatif, institutionnel et administratif qui guide l’action de l’État dans le domaine des politiques linguistiques.
Tous les pays font des choix dans le domaine de la langue. La recherche sur les régimes linguistiques montre que la présence ou l’absence de politiques linguistiques au sein d’un pays donné prend appui sur les représentations et les pratiques de la langue en son sein [1]. De plus, ces représentations et pratiques ont un fondement institutionnel et politique indéniable. À titre d’exemple, aux États-Unis, la langue repose sur une approche de laisser-faire comparativement à l’approche de la France qui est caractérisée par la tradition jacobine. Ces traditions influencent les choix des États américains et français dans le domaine des politiques linguistiques. Les États-Unis privilégient le principe de non-intervention de l’État préférant ainsi laisser les langues rivaliser entre elles, ce qui permet à l’anglais de s’imposer comme langue dominante. Pour sa part, la France a une approche dirigiste, qui impose le français partout sur son territoire tout en permettant certains accommodements favorables aux langues régionales comme le basque, le breton ou le corse [2].
Au Canada, les traditions normatives et institutionnelles les plus importantes qui guident le choix des politiques linguistiques sont le compromis politique et le fédéralisme. La tradition étatique fédérale canadienne est née du développement de l’État canadien depuis la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques. Celle-ci oriente les choix de politiques linguistiques, dont la caractéristique principale est d’être le résultat d’un compromis politique.
Par ailleurs, depuis sa fondation, le Canada s’est doté de principes, d’instruments et d’infrastructures dans le domaine de la langue, dont la reconnaissance constitutionnelle de l’égalité du français et de l’anglais au sein des institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. L’octroi de droits linguistiques a constitué une avancée majeure dans le domaine des langues officielles. Il existe aussi des politiques linguistiques distinctes dans les provinces. Le fédéralisme rend possible une grande diversité de politiques linguistiques au pays. D’évidence, le régime linguistique canadien s’est transformé et complexifié depuis ses balbutiements. Le Canada est un véritable laboratoire dans le domaine de l’aménagement linguistique. Nous verrons donc les rapports de continuité et de changement dans le développement du régime linguistique canadien, notamment comment les traditions étatiques continuent de guider la formulation des politiques linguistiques.
Je vous souhaite une bonne lecture!
[1] Linda Cardinal et Selma Sonntag, « Traditions étatiques et régimes linguistiques : comment et pourquoi s’opèrent les choix de politiques linguistiques ? », Revue internationale de politique comparée, vol. 22, no 1, 2015, p. 115-131.
[2] Jean-Baptiste Harguindéguy et Alistair Cole, « La politique linguistique de la France à l’épreuve des revendications ethno-territoriales », Revue française de science politique, vol. 59, no 5, 2009, p. 939-966.